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Daniel Cordier : « C’est la guerre, que diable, le temps de tous les risques ! À quoi bon les précautions ? Il faut foncer. »

Publié le 20 novembre 2021 par Sylvainrakotoarison

" J'ai consacré beaucoup de temps et de soins à traquer la vérité (...) pour évoquer le parcours du jeune garçon d'extrême droite que j'étais, qui, sous l'étreinte des circonstances, devient un homme de gauche. La vérité est parfois atroce. " (Daniel Cordier, 2009).
Daniel Cordier : « C’est la guerre, que diable, le temps de tous les risques ! À quoi bon les précautions ? Il faut foncer. »
Résistant du début, à l'origine, maurrassien mais ne comprenant pas qu'un nationaliste puisse s'abandonner aux mains de l'ennemi, Daniel Cordier, l'un des derniers héros de la Résistance avec quelques autres, est mort il y a un an, le 20 novembre 2020 à l'âge de 100 ans. Résistant à 19 ans, mort à 100 ans, et pendant 77 ans en état d'effondrement psychologique. Il l'a expliqué dans son autobiographie "Alias Caracalla" publiée en 2009 chez Gallimard, la tragédie de sa vie fut la mort de son patron Jean Moulin, dont il était le fidèle, efficace et discret secrétaire. Il a fallu d'ailleurs attendre la fin de la guerre pour qu'il connût le nom véritable de son chef appelé Rex.
Le 23 juin 1943, il a dîné à Paris avec Georges Bidault, qui a pris la succession de son patron : " En le voyant, je suis au bord des larmes. Sa présence souligne irréversiblement l'absence de Rex. (...) Grâce à lui, je ne suis plus seul pour apprivoiser la catastrophe. Afin d'être fidèle à mon patron, je vais accomplir simplement mon devoir : expédier les affaires courantes. Cette tâche sans gloire masquera au regard des autres la tragédie de ma vie, rivée à la solitude depuis l'effondrement de la France, en juin 1940. ".
Le Président Emmanuel Macron avait souvent rencontré Daniel Cordier les dernières années de sa vie. Le courant passait bien. Ils pouvaient parler de la Résistance mais aussi d'art. Daniel Cordier revendiquait d'être de gauche, mais contrairement à de nombreux résistants de sa génération, il n'avait pas voulu s'engager dans la vie politique. Au contraire, il voulait définitivement tourner la page et voir l'avenir d'un garçon de 25 ans autrement que celui d'un ancien combattant. Il ne voulait pas être comme son père, qui lui faisait des leçons de morale tous les jours en rappelant les combats de la Première Guerre mondiale. Lui ne serait pas son père pour la Seconde Guerre mondiale. Il n'a pas eu d'enfant.
Le métier dans lequel Daniel Cordier s'est épanoui fut galeriste. Il a acquis de nombreuses œuvres d'art, parfois d'artistes pas très connus mais qui le sont devenus par la suite. Il a légué sa grande collection au Centre Pompidou dont il fut l'un des conseillers initiaux. J'ai eu la chance de voir des œuvres de la collection Cordier à Rodez et à Colmar. Il y en avait de peintres contemporains très jeunes, souvent torturés, parfois qui sont morts jeunes. Il avait le goût de trouver les bons artistes et cette passion de l'art contemporain, il la devait bien sûr à Jean Moulin dont le métier de couverture était galeriste à Lyon. Jean Moulin l'a initié à l'art alors qu'il ne connaissait même pas l'existence de Picasso (qui était déjà très connu, depuis les années 1920).
Daniel Cordier : « C’est la guerre, que diable, le temps de tous les risques ! À quoi bon les précautions ? Il faut foncer. »
Ce n'est qu'à la fin des années 1970 que Daniel Cordier a refait surface, ou plutôt, a fait surface dans le débat public. Henri Frenay avait accusé Jean Moulin des pires rumeurs (d'être un agent soviétique) et Daniel Cordier s'est mis au travail pour défendre son ancien patron. Pas par le témoignage, mais par un travail scrupuleux d'historien. Il convenait que les simples souvenirs altéraient la réalité, la rendaient plus noire ou plus rose. Il voulait se documenter, apporter des preuves et c'est sur le tas, à l'approche de la soixantaine, sans formation préalable mais avec une énergie folle et une motivation de dingue qu'il est devenu un véritable historien de la Résistance, reconnu par les universitaires. On lui doit ainsi plusieurs livres sur Jean Moulin, puis son autobiographie déjà citée qu'il avait écrite avec la prudence des risques d'altération. Ce livre fut un grand succès en librairie, a fait l'objet d'une adaptation à la télévision (pas très réussie car elle collait trop au texte), et lui a donné l'occasion de venir dans les médias pour témoigner, témoigner et témoigner.
Avant-dernier Compagnon de la Libération à avoir été en vie, il ne voulait absolument pas être le dernier qui devait, selon la promesse de De Gaulle, être inhumé dans la crypte du Mont-Valérien, une dernière place lui était réservée. Son autre Compagnon, Hubert Germain, lui, avait accepté puisque c'était ainsi. Le destin les a aidés, Hubert est parti après Daniel.
L'an dernier, Emmanuel Macron a présidé l'hommage national à Daniel Cordier le 26 novembre 2020 dans la cour d'honneur des Invalides : " Lui qui traversa les plus sombres chapitres du siècle dernier (...) ne s'était jamais départi d'une lumineuse légèreté, d'une élégante pudeur quand les honneurs lui étaient rendus. Il nous aurait regardé avec ce sourire d'éternel enfant, aurait prononcé quelques mots dans un souffle et aurait pris congé, sans doute en riant, simplement. À 20 ans en 1940, il fit partie des résistants de la première heure, de ceux qui restèrent debout quand tout s'effondrait, prêts à tous les sacrifices pour que la France restât à la France. ".
Puis, le Président a évoqué le galeriste : " Les plus beaux espoirs et les futurs grands noms de la peinture abstraite se côtoient dans les galeries qu'il ouvre à Paris, à Francfort, à New York. Il voyage, explore le monde, organise des expositions, participe à a Fondation du Centre Pompidou, dont il étoffe les collections par ses conseils et par ses dons. ".
Et se tournant vers Hubert Germain qui assistait à l'hommage dans son fauteuil roulant, tous ses sens bien en alerte, lui qui occupait une chambre aux Invalides, Emmanuel Macron lui dit : " Et aujourd'hui, en cette cour d'honneur des Invalides, il n'en reste qu'un, à qui les braises ardente sont rendues. C'est vous, Hubert Germain. Mon lieutenant, je compte sur vous, et vous le savez, vous ne serez jamais seul. Daniel Cordier a rejoint Jean Moulin et tous vos camarades ; et leur souffle, leur bravoure sont intactes qui vous porteront un jour. ".
Daniel Cordier : « C’est la guerre, que diable, le temps de tous les risques ! À quoi bon les précautions ? Il faut foncer. »
Revenant au secrétaire de Rex : " Daniel Cordier a toujours agi par amour. L'amour de la patrie où se mêlent le passé, la terre et le goût de l'universel ; l'amour de la liberté qui justifie de prendre tous les risques ; l'amour du beau qui le conduisit à révéler tant d'artistes ; l'amour de la vérité qui lui fit écrire l'histoire. ".
À peine onze mois plus tard s'est éteint Hubert Germain. Le 15 octobre 2021, le Président de la République lui a aussi rendu un hommage dans la même cour d'honneur des Invalides : " Mon lieutenant, ces derniers mois, vous avez livré votre ultime combat, votre courage et votre dignité face à la mort furent une leçon pour nombre d'entre nous. L'humilité et les doutes vous ont accompagné et vous êtes devenu chaque jour un peu plus l'incarnation de tous vos compagnons, vibrant de cette flamme première, celle de l'amour de la France et du service de la patrie. Alors, en ce jour, le silence millénaire de l'esprit de résistance et de l'acharnement français vous accompagne. C'est cette cohorte chevaleresque qui vient du font des âges (...). Notre tâche sera de poursuivre avec la même ardeur ce combat. Nous le ferons. ".
Un mois plus tard, à la cérémonie du 11 novembre 2021, Emmanuel Macron a prononcé un autre discours pour honorer la mémoire d'Hubert Germain dont les restes allaient être transférés l'après-midi au Mont-Valérien : " Certaines nations sont faites de frontières partagées, d'hérédités de sang. La France s'est construite sur ses terres par une histoire, une langue, un État, par une volonté. La France vit, survit, surmontant les épreuves des temps grâce à des femmes et des hommes qui, unis par un amour pour sa terre, ses idéaux et ses valeurs, acceptent de risquer jusqu'à leur vie pour une cause plus grande qu'eux. La France est liberté. La France est transmission. Elle vit, survit et surmonte ses épreuves parce que de génération en génération, des femmes et des hommes se transmettent le flambeau de l'idéal. (...) Alors oui, oui, leurs braises ardentes [celles de Compagnons de la Libération] sont dans nos mains. Et quand viendra le jour, quand sonnera l'heure, nous saurons les raviver de ce souffle qui fit lever tous ceux qui nous précédent et qui nous ont fait libres Français et sans lesquels nous ne serions pas là. ".
Après Daniel Cordier et Hubert Germain, après Pierre Simonet et Edgard Tupët-Thomé, après tant d'autres, nous, citoyens, sommes tous dépositaires de cette larme de bravoure, de cette petite flamme qu'il ne faut jamais éteindre, même par temps de forte tempête.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Daniel Cordier est mort.
Comment devenir résistant ?
Premier de Cordier.
Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Jean Moulin.
Pierre Simonet.
Edgard Tupët-Thomé.
18 juin 1940 : De Gaulle et l'esprit de Résistance.
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Témoignage : mon 11 novembre, le songe de l'histoire.
Lazare Ponticelli, le dernier Poilu.
Chasseur alpin, courageux jusqu'au bout de la vie.
Les joyeux drilles de l'escadrille.
10 et 11 novembre 2018 : la paix, cent ans plus tard.
La Grande Guerre, cent ans plus tard.
Hubert Germain, le dernier Compagnon.
La Libération de Paris.
Fête nationale : cinq ans plus tard...
Les 75 ans de la Victoire sur le nazisme.
La Fête de l'Europe.
Daniel Cordier : « C’est la guerre, que diable, le temps de tous les risques ! À quoi bon les précautions ? Il faut foncer. »
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211120-daniel-cordier.html
https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/daniel-cordier-c-est-la-guerre-que-237328
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/24/38670695.html


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