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La faute à Trichet ?

Publié le 04 août 2008 par Omelette Seizeoeufs

Enfin l'exemple promis depuis trois jours et deux billets, je promets un exemple, ou un contrexemple plutôt, d'une sorte de réalisme de gauche. Le voici.

Depuis deux ou trois ans, au moins, la Banque Centrale Européenne a bon dos. C'est la faute à Trichet si tout va mal, c'est un banquier, un ultra-libéral, pire encore c'est un Français, ce qui fait qu'on ne peut même pas dire que c'est la faute aux allemands et leur peur ancestrale de devoir régler leurs dettes avec des brouettes pleines de billets. C'est même l'un des points qui rassemblent, de gauche à droite, nos responsables politiques. Car si à gauche il semble normal de taper sur une logique capitaliste et anti-sociale, il se trouve que le membre le plus volubile du club des anti-Trichet, ce n'est pas Laurent Fabius ou Ségolène Royal, mais bien notre Très Grand Homme (TGH) lui-même, qui est toujours ravi de trouver plus grand que lui dès lors qu'il lui faut un responsable pour ses propres échecs. Quand il n'était que ministre de l'Intérieur, il y avait Chirac et Villepin. Maintenant qu'il a les pleins pouvoirs, il a besoin d'importer des grandes forces pour faire son Poulidor.

Loin d'être un expert en finance internationale, je me disais, pendant tout ce temps, que ce n'étaient que des manoeuvres, puisque la possibilité réelle d'avoir une influence réelle sur la conduite du BCE, même pour un Très Grand Chef d'Etat, était à peu près nulle. Ce qui s'est avéré, puisque Nicolas Sarkozy a beau pleurer en se frappant la poitrine, la BCE n'a toujours pas baissé ses taux.

Or, il se trouve aujourd'hui qu'il est beaucoup plus difficile de dire que la BCE avait tort. L'inflation est là malgré tout. Et même si la peur de l'inflation est effectivement un truc des riches, de ceux qui ont déjà de l'argent, et moins un truc de ceux qui voudraient enfin en avoir, il faut constater que, oui, les "pressions inflationnistes" que la BCE n'a eu de cesse de signaler depuis si longtemps n'étaient pas simplement une expression de la misanthropie de Trichet, mais avaient une certaine réalité après tout.

Le 8 juillet, Sarkozy s'est trouvé seul contre tous. La revue belge Trends commente :

Nicolas Sarkozy entame son semestre à la présidence de l'Union européenne de la plus mauvaise manière, en se dressant contre la politique menée par la Banque centrale européenne. Même les plus sceptiques de ses partenaires européens se sont rangés derrière Jean-Claude Trichet.

Et il y a quelque chose de pitoyable, lorsque Sarkozy doit rappeler qu'il est, tout de même, Président de la R., pour protester contre la hausse des taux:

Mais quand même, sans remettre à bas tout ce à quoi je crois, je suis légitime, en tant que président de la République française, de me demander s'il est raisonnable de porter les taux européens à 4,25%, alors que les Américains ont des taux à 2%. (...) Doit-on subir en plus un dumping monétaire qui met à genoux les entreprises européennes qui veulent continuer à exporter? Cette question doit être posée de manière respectueuse et démocratique."

Sarkozy se bat contre le "dumping monétaire" ? Au risque de relancer l'inflation... En tant que défenseur du grand capital, on dirait qu'il n'est pas allé jusqu'au bout de sa réflexion. (Ce ne serait pas la première fois.) Car même si un taux plus bas et un euro un plus moins fort seraient profitable pour le business, et pour les copains du TGH, c'est encore voir à court terme que de penser qu'il suffirait de relancer la machine pour tout baigne à nouveau. L'erreur de Sarkozy était de ne pas prévoir les effets désastreux de la guerre en Irak (le TGH n'était pas tout à fait pour, mais il était contre le fait que Villepin soit contre...) sur l'économie mondiale via le prix du pétrole. En juillet, le reste du monde, le reste de l'Europe semble avoir pris la mesure de la situation, tandis que Sarkozy s'est retrouvé seul à s'entêter contre tout et contre tous. Contre, je dirais, la réalité économique.

D'après ce que j'ai compris, le problème actuel, c'est que les taux sont déjà assez hauts, l'économie s'approche de la récession et, fait plus ou moins inédit, l'inflation monte, à cause notamment du marché du pétrole. La marge de manoeuvre est donc beaucoup plus étroite que prévue. Si on avait suivi les conseils de Nicolas Sarkozy (ou de Ségolène Royal ou de Laurent Fabius ou de Benoît Hamon), cette marge n'existerait pas, ou encore on serait devant la possibilité d'une hausse de taux beaucoup plus importante, avec tous les risques de récession que cela comporterait. Véritable de "choc de méfiance" sans commune mesure avec ce que nous avons vécu depuis l'été dernier.

Logiquement, il faudrait remercier Trichet de n'avoir pas écouté le TGH, même si ce dernier est en effet "Président de République française", comme il a cru bon de nous le rappeler. Ce faisant, Trichet n'a pas non plus écouté les autres. Ainsi, la situation et les perspectives sont moins mauvaises, même si elles sont loins d'être bonnes.

Les lecteurs qui auront perservéré jusqu'ici pourront demander où je veux vraiment en venir. Je récapitule.

  1. Sarkozy continue à faire et dire des bêtises dans le domaine économique, là où il était censé être si fort.
  2. Les habituelles tentatives, à droite comme à gauche, de rendre l'Europe responsable des maux de l'économie française étaient à côté de la plaque.
  3. L'économie mondiale est plus grande que les petits bras de Nicolas Sarkozy, et même plus grande que ceux de la France ou de l'Europe. Il ne faut pas surestimer le pouvoir des léviers économiques dont les Etats bénéficient.

Et j'aboutis à une ébauche de maxime. (Non, oRélie, je n'ai pas dit "débauche de Maxime"... notez au passage le nouveau URL tout beau de Victoire au poing.)

Bref, ma maxime en ébauche :

Toute proposition de solution politique, économique ou sociale qui, pour réussir, doit être appliquée au niveau européen, voire mondial, risque de n'être qu'une opération de communication.

Enfin, ce n'est pas vraiment une maxime. Pas très belle, en tout cas. Tant pis.


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