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Premier tour de la présidentielle au Chili où l’extrême droite vire en tête : « Un danger pour la démocratie ! »

Publié le 22 novembre 2021 par Anthony Quindroit @chilietcarnets
Premier tour de la présidentielle au Chili où l’extrême droite vire en tête : « Un danger pour la démocratie ! »Pierre Lebret, politologue

Le premier tour de la présidentielle au Chili s’est tenu ce dimanche 21 novembre 2021.

Et si les sondages tenaient pour acquis la présence du candidat José Antonio Kast Rist dans les favoris, le fait que le candidat d’extrême-droite soit en tête au premier tour et capable de l’emporter lors du second tour, programmé en décembre, jette le trouble. Défenseur de Pinochet, admirateur de Trump et Bolsonaro, il devance, avec 27,91% des suffrages, le candidat de la coalition de gauche Apruebo Dignidad Gabriel Boric (25,83%), député trentenaire, ancien leader étudiant très en pointe sur les questions sociales qui ont secoué le pays ces dernières années.

Le duel entre les deux hommes diamétralement opposés a balayé les politiques traditionnels et complètement polarisé le débat alors que le pays est à l’aune d’un renouveau historique avec un vote récent en faveur d’une nouvelle constitution, visant à remplacer celle héritée de la dictature.

Pierre Lebret, politologue spécialiste de l’Amérique latine fait le point pour Chili et carnets sur cette situation inédite au Chili.

Kast en tête de ce premier tour, vous vous y attendiez ?

Pierre Lebret : « C’est absolument déconcertant. Un séisme politique. Des sondages le donnaient bien présent au second tour; Mais premier… C’est totalement contradictoire avec les mouvements sociaux qu’a connu le pays ces derniers mois, totalement contradictoire avec le changement de constitution demandé par une large majorité des Chiliens…Oui, c’est absolument déconcertant. Et source d’instabilité pour le pays. »

Premier tour de la présidentielle au Chili où l’extrême droite vire en tête : « Un danger pour la démocratie ! »
Kast et Boric : deux candidats aux antipodes pour le second tour de la présidentielle au Chili (montage via les photos de profil Twitter des candidats)

Comment expliquer cette percée ?

« Il y a le candidat du centre droit qui s’est effondré car il était lié au président sortant Sebastián Piñera aux prises avec des affaires de corruption. Kast, lui, protège et rassure la droite oligarchique ainsi que les nostalgiques de la dictature. Et de l’autre côté, il y a Boric… Les électeurs de centre droite qui auraient voté Sebastián Sichel ne pouvaient pas voter pour lui. « 

Surfe-t-il sur un effet Donal Trump ou Jair Bolsonaro ?

« Il peut y avoir un effet. Mais Kast est aussi quelqu’un qui a une grande assurance. Et qui a fait campagne notamment sur les questions de migration, sur le retour de l’ordre. Les manifestations de ces deux dernières années ont provoqué une instabilité. Ce sont des revendications légitimes qui ont été mises sur le devant de la scène. Mais cela s’est accompagné de violences et a eu un impact économique qui a pu jouer en faveur de Kast. »

Mais tout n’est pas joué, Gabriel Boric peut-il faire la différence au second tour ?

« Il arrive au second tour donc, non, tout n’est pas perdu. Mais c’est le candidat des mouvements sociaux et il est plombé par une gauche divisée. Toute la gauche, de Marco Enríquez-Ominami à Yasna Provoste, lui a tapé dessus depuis trois semaines. Cela a pu dissuader les électeurs de voter pour lui. Ce sont eux, ces candidats de gauche, qui ont savonné la planche. Maintenant, MEO, avec 7%, a déjà annoncé qu’il soutenait Gabriel Boric pour le second tour. Mais c’est le seul. Il faut qu’il y ait des accords cette semaine. Et depuis le soir du premier tour, on n’est pas sur une dynamique d’union. Et, franchement, je pense que ceux qui sont progressistes et humanistes attendaient la constitution spontanée d’un bloc à l’annonce des résultats. »

Quel crainte pour le pays si Kast est élu ?

« Le plus dangereux, c’est pour la Constituante. Elle ne survivra peut-être pas car Kast n’y croit pas. Or, elle a été portée par 80% des électeurs chiliens. L’enterrer serait source d’instabilité pour le pays. Et ce serait une régression pour les droits des femmes, des homosexuels… Un vrai danger pour la démocratie chilienne ! »

La jeunesse peut-elle faire la différence au second tour ?

« Nous n’avons pas les chiffres de la participation. Mais la jeunesse ne s’est pas forcément déplacée aux urnes et cela peut être bon signe pour Boric au second tour. Mais comment mobiliser cette jeunesse ? Il va falloir des négociations à gauche et personne ne veut signer un chèque en blanc à Boric. »

Dans un pays encore marqué par la dictature, qu’est-ce qui a pu motiver un tel vote ?

« Je pense qu’il y a une peur ridicule du communisme et de la gauche radicale qui est, finalement, proche française. Elle est juste considérée comme radicale au Chili car elle réclame le droit à l’éducation, à la santé… Ce qui, pour certains Chiliens, est encore vu comme du bolchevisme ! C’est l’antithèse des réformes sociales et sociétales engagées au Chili. Eux, voient ça comme si le Chili allait virer comme le Venezuela [l’expression Chilezuela était récurrente chez les partisans de droite pendant la campagne, NDLR]. »

Il y a quand même une chose étonnante, c’est que le troisième homme, le « faiseur de roi » est Franco Parisi, candidat de la droite libérale… qui ne peut plus mettre les pieds au Chili en raison de poursuites judiciaires pour non-paiement de pensions alimentaires. Comment expliquez qu’un candidat ait pu se présenter et faire campagne depuis les Etats-Unis ?

« C’est la deuxième mauvaise surprise de ce scrutin. Comment un candidat absent peut-il détenir la clé du scrutin ? Mais bon, même si c’est un candidat de la droite libérale, je ne suis pas sûr que tous ses soutiens se tournent vers Kast. »

Donc Boric est encore dans la course même si les chiffres ne sont pas favorables ?

« Il ne faut pas oublier qu’il a remporté la primaire, Il va être obligé d’être beaucoup plus ouvert même s’il l’était déjà. Il a toujours dit qu’il voulait parler à tous les Chiliens. Ce n’est pas quelqu’un de violent dans ses propos. Et je pense qu’il peut miser sur son côté rassembleur, cela peut être son leitmotiv. Mais il va falloir qu’il y ait de nouvelles rencontres avec les candidats malheureux de gauche, et ce, rapidement ! »

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