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Collecter l’urine des anges

Publié le 30 novembre 2021 par Aicasc @aica_sc

Si vous allez au François, dans le parc de sculptures de la Fondation Clément, au détour d’un sentier, entre les frondaisons frémissantes, votre œil sera happé par un végétal d’une étrange espèce. De longues tiges comme de cannes ou de bambous, des fleurs coniques rouges et blanches en forme de trompettes des anges ou datura. C’est l’Attrape-pluie d’Ernest Breleur. A priori déconcertant. Les hampes sont des tuyaux en PVC et les bourgeons, des cônes de signalisation routière. Des matériaux bruts, frustres, froids comme pour prolonger l’aventure de l’objet selon l’expression de Pierre Restany à propos des Nouveaux Réalistes.

Ernest  Breleur choisit de détourner  et de manipuler des éléments  du quotidien urbain et industriel. Il est vrai qu’il est familier de l’intégration dans l’art de matériaux inusités comme par exemple la radiographie médicale. C’est un choix assumé : Le rôle de l’artiste, c’est de déstabiliser le regardeur. Il s’engage dans la problématique du renversement de l’objet. C’est ce que tu fais du matériau qui le rend poétique. Comment un matériau brut devient- il  poétique ?

Nous connaissons les assemblages radiographiques, nous retrouvons ici le principe de l’assemblage appliqué à la création d’une sculpture. Les tuyaux s’emboîtent à la manière d’un lego.

L’une des questions plastiques induites par cette œuvre est celle du subtil dialogue entre le vide et le plein : Dans mon travail, la question du vide est fondamentale. Ce qui se manifestait déjà dans les installations de l’exposition Le vivant, passage par le féminin. Le spectateur était invité à déambuler  au cœur d’une installation tout en transparence et reflets pour vivre une expérience esthétique originale, une expérience sensorielle inédite et éphémère. Vide et plein s’associaient pour définir les formes.  Dans le monde occidental,le vide  a souvent pris à tort les couleurs du néant (Hegel, Schopenhauer et Nietzsche) alors que loin d’être synonyme d’absence, le vide rejoint une acceptation d’un réel vécu comme la manifestation de la respiration du monde. Avec les Constructivistes, le vide devient un élément sculptural, participe à  la substance de l’œuvre avec Gabo, Pevsner, Jorge de Oteiza  ou même  parfois certains objets ludiques de Calder.

Ce qui m’intéresse, dit encore Breleur, c’est la relation de l’œuvre avec le lieu. Quelles négociations mène l’œuvre avec le lieu pour exister ? Quels dialogues amorce t – elle avec les œuvres voisines ?

Echo à l’Attrape-soleil de Buren, l’Attrape-pluie de Breleur prétend récupérer l’urine des anges. Vous n’avez pas été sans remarquer, dans le bouquet, une fleur singulière : un cône renversé vient coiffer un cône réceptacle.  On rejoint ici la thématique de la genèse de la vie, de l’énigme du vivant. Selon l’artiste, la pluie,  principe masculin vient féconder la terre  à travers ce réceptacle, principe féminin. Les poissons présents dans le bassin s’inscrivent dans cette thématique  en assurant la présence  du vivant dans l’œuvre tout en assumant une fonction écologique, l’éradication des moustiques.

 Il y a là aussi la distanciation humoristique  et la légèreté  qui fleurissent dans l’œuvre de Breleur depuis les Paysages Célestes et Le vivant, passage par le féminin. L’attrape – pluie relève du même principe de fantaisie et d’espièglerie qui guidait les associations surréalistes des menues pacotilles des compositions des Paysages Célestes.

Ces deux séries confirmaient déjà qu’Ernest Breleur avait conquis une immense liberté de création. Comment ne pas répéter que l’artiste suit un cheminement que la propre nécessité de son développement lui invente. Chaque œuvre n’est qu’un maillon lumineux de la chaîne d’un développement poétique comme le disait Dominique Fourcade. Et ce qui m’attache, entre mille et une autres raisons,  à l’œuvre dense et toujours surprenante d’Ernest Breleur, c’est que je tâche de suivre ce cheminement et les thématiques, sans fin  déclinées (le renouvellement des formes plastiques, la question de l’espace, le vide comme élément sculptural, l’énigme du vivant, la distanciation humoristique) depuis les peintures de la Série blanche jusqu’à l’Attrape – pluie en passant par les dessins et installations du Vivant, passage par le féminin, par les babioles et colifichets détournés et customisés des Paysages Célestes.

Dominique Brebion

Le contexte n’a pas permis de réaliser le projet initial. En partage, cette animation sans prétention réalisée à partie de photos d’Ernest Breleur


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