Prédiction choc ! Selon le cabinet Gartner, d'ici 2026, trois quarts des appels aux centres de service et de support des entreprises seront motivés par le désir du client de soulager sa solitude plutôt que la résolution d'un problème ou la réponse à une question. Les conséquences d'une telle évolution pourraient être considérables.
Bien que son ampleur paraisse démesurée, le phénomène ne doit pas réellement surprendre. De tout temps, les commerces et autres espaces de proximité (notamment les bureaux de poste, agences bancaires…) ont constitué un lieu propice au maintien d'un lien social pour une catégorie de population. Les restrictions imposées aux interactions face à face (non seulement en raison de la crise mais aussi à travers les fermetures de points d'accueil) entraînent automatiquement un report des besoins vers le téléphone.
À ces contingences physiques s'ajoutent en outre quelques facteurs sociologiques. L'augmentation constante de la proportion des personnes vivant seules, dans un isolement qui est également en forte progression (et là encore, la pandémie joue un rôle démultiplicateur), fait mécaniquement croître les demandes de contacts, de conversations, de relation humaine… Résultat (cumulatif), la projection établie par Gartner est loin d'être absurde… et devrait être prise en compte dès maintenant.
La première inquiétude pour les responsables de support concernera évidemment la performance. Plus précisément, leur faudra-t-il accepter que leurs équipes consacrent une partie conséquente de leur temps à des sujets non professionnels – soit dans des appels sans véritable objet, soit en bavardages inconséquents –, qui se justifierait alors par un impératif de satisfaction du client ? Mais, à l'inverse, quels moyens pourraient-ils donc mettre en œuvre afin de recentrer les échanges sur leur mission d'origine ?
Quelle que soit l'option retenue, son corollaire direct sera son impact négatif sur les téléopérateurs. Qu'il leur soit enjoint d'écourter les discussions avec leurs interlocuteurs ou qu'ils se voient encouragés à se transformer régulièrement en oreille attentive et compatissante, c'est une charge supplémentaire qui va leur échoir, pour laquelle ils n'ont pas nécessairement les compétences ni la formation requises et qui peut singulièrement affecter leur bien-être au travail (déjà rarement idéal dans ce genre de métier).
Enfin, la transformation « digitale » peut devenir une victime collatérale de la préférence d'une fraction des utilisateurs pour le canal téléphonique, si celle-ci n'est pas prise en considération dans l'évaluation de l'efficacité des outils en libre-service, voire, éventuellement, en amont, dans leur conception. À tout le moins, il faudra offrir des arguments extrêmement convaincants pour faire basculer vers les plates-formes mobiles et en ligne ceux qui veulent profiter de la moindre interaction pour s'épancher.
Face à une tendance aussi importante, les quelques recommandations de Gartner, qui ressortent essentiellement de la préparation des collaborateurs, montrent, par leur portée un peu dérisoire, combien il sera difficile d'y répondre de manière optimale, en conciliant les attentes des clients et les exigences propres à l'entreprise et à ses employés. Voilà un défi majeur pour les années à venir, qui mérite de déployer tout la créativité possible.