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La scène d’adieux (partie 1)

Publié le 04 août 2008 par M.

Voilà comment ça se passe :

c’est une journée qui ressemble à un décors de cinéma. Vous savez, quand le ciel est si bas qu’il ressemble plus à une toile de bache tendue entre les branches des arbres, qu’à un ciel. Très gris, avec des nuages plus gris encore. Un temps triste, quoi.

Vous avez remarqué comme le temps est annonciateur, dans les films et les histoires ? C’est toujours par une belle journée de printemps que Roméo rencontre Juliette. Et c’est sous une pluie dilluvienne qu’il meurt pour elle. Mais nous n’en sommes pas là. Pour le moment, ni Roméo, ni Juliette, ni Tibalt contre Mercutio, juste un ciel gris et bas. Une place, en ville. Des piétons, des cafés. Et elle. Vous la voyez ? Là, juste là. Derrière la vitre, près de la porte.

Une petite table pour deux, où elle est seule assise.

Le regard plongé dans le noir de sa boisson, elle enchaîne les cigarettes. Elle joue avec la buchette de sucre qu’elle n’a pas utilisée, la tape contre la tasse, la sous-tasse, la pince, la tord. Le fin papier ne tarde pas à céder, répandant son contenu sur la table. Elle lache un merde tout juste perceptible par le serveur, qui lui propose aussitôt un autre sucre. Non merci. Elle joue maintenant avec sa petite cuillère.

Elle n’a de cesse de s’agiter. Elle cogite, ça se voit. Nerveuse, anxieuse, désespérée ? On peut se le demander. A bien y regarder, son regard est triste, vous ne trouvez pas ? Elle fait tourner ce qui reste de café dans sa tasse. Le boit d’une gorgée. Allume une cigarette. Et là, comme un éclair dans le sombre de son regard. Vous avez vu ? Qu’était-ce ? Une lueur d’espoir ? Une presque lueur, elle n’est pas encore sûre, elle pense, pense encore et finalement… Pourquoi pas ?

Elle lève les yeux de sa table, parcourt la salle du regard. Elle examine, en fait. Elle cherche. Non… Non… Toujours non… Encore moins ! … Ah ? … Celui-là, peut-être ? … Suis pas très sûre, finalement…

Un jeune homme entre, achète des cigarettes au point tabac, un Marlboro rouge. Elle le regarde, l’évalue, et le choisit. Et comme le hasard fait toujours bien les choses dans les histoires, il s’assoit à la table voisine de la sienne, et commande un café.

- Bonjour.

- Bonjour, il répond.

- Je peux approcher ma table de la vôtre… ? Pardonnez moi, mais je me sens un peu seule.

Le type est surpris. Décontenancé, plutôt. Il répondrait certainement qu’il n’a pas l’habitude d’être ainsi abordé.

- Allez-y, je vous en prie.

Elle colle sa table à la sienne, donc. Et commande un autre café, histoire de l’accompagner. Allume une cigarette. Mais ne dit rien. Pas un mot. Pendant une bonne minute. Ça peut paraître très long une minute, surtout quand une inconnue colle sa table à la vôtre parce qu’elle se sent seule, mais n’engage pas la conversation que vous attendiez, à juste titre, tout le monde en aurait fait autant. Bref, il ne saisit pas le sens de sa démarche. Et puis :

- Je m’en vais.

- Pardon ?

- Dans… (elle regarde sa montre, qu’elle a jolie, d’ailleurs. Céramique blanche et acier.) Dans maintenant 5 heures, mon avion décolle. Paris. Puis Vancouver.

- Le Canada ?

- Non, l’Autralie ! Pardon… Veuillez m’excuser, je suis sincèrement navrée…

Le type ne dit rien. Et on peut le comprendre. La nana qui vous aborde et vous vanne dans les cinq premières lignes de votre conversation, vous lui direz quoi, vous ?

- Je ne suis pas si désagréable en temps normal, vous savez.

- Ah ?

- Oui. Je comprends vos doutes, mais je suis une personne plutôt sympathique, d’ordinaire. Seulement, aujourd’hui n’a rien d’ordinaire…

- Ah oui ?

Elle ne réponds pas. Hoche juste la tête, un peu. Et ne dis plus rien. Lui non plus, d’ailleurs.

Une minute de silence s’installe. Et se double. Se triple, même. Le type finit par régler son café, et s’en aller. Elle ne le regarde pas partir, elle a de nouveau les yeux plongés dans son café.

Bizarre, cette nana, pensez vous. Peut-être… Mais des gens bizarres, il y en a partout. Tout comme ils se passent des choses bizarres partout. Tout le temps. Sans compter que la bizarrerie est très subjective.

La réalité peut aussi être subjective, parfois.

Une heure passe.

Elle sait qu’elle devrait quitter le café, rentrer chez elle, finir ses valises et prévoir un taxi. Elle sait. Mais elle attend. Elle espère, peut-être. Quoi ? Vous et moi l’ignorons, mais les réponses vont venir, elles finissent toujours par venir.


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