Compte-rendu du livre de Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Actes sud, (25/08/2021, réédition)
Je réalise à l’instant la pertinence de la remarque de Marx sur « l’animal borné de la ville et de la campagne » pourtant écrite en 1845-1846 dans L’idéologie allemande. Je savais que l’agriculture prônée par les écologistes d’aujourd’hui était celle de mon enfance, sans engrais, tracteurs, ni pesticides. Mais je ne mesurais pas à quel point un certain discours sur la nature résultait des bornes urbaines. Les « forêts urbaines » de quelques mètres-carrés m’avaient alerté mais voilà qu’un livre sur les animaux sauvages le montre jusqu’à la caricature. Il s’agit de celui de Baptiste Morizot, Sur la piste animale, un Maître de conférences de philosophie d’Aix.
Jamais il ne peut arriver à concevoir que les campagnes sont habitées et qu’y vivre implique une connaissance cumulative de l’environnement et donc des animaux sauvages. Certes ces savoirs sont inégalement partagés mais ils peuvent être, pour les meilleurs, très précis. Par exemple, il s’étonne qu’une meute de loups se rapproche d’une rivière. Il aurait dû m’en parler car renseigné par celui qui fut le lieutenant de louveterie lors de la présence de loups lâchés par l’historien Delperrier de Bayac en 1968, je savais que ces animaux s’approchent de l’eau – des lagunes dans les Landes – car à la différence des chiens et des renards, ils mangent des batraciens. Mais notre philosophe-animaliste et son entourage ne le savent pas alors que cela aurait aidé sa traque des loups. Il ne voit le monde que du « centre-ville » et pour accéder à la nature, il effectue des espèces de safaris, appelés « enquêtes », des « raids » à la poursuite de tel ou tel animal spectaculaire, l’ours, la panthère, le loup, du « gros ». Il croit y voir la nature et les moyens d’y accéder.
Cette traque appelée « pistage » pour échapper à l’analogie avec les chasseurs qui eux aussi sont friands de traces, pardon de « laissées », m’apparaît comme du tourisme animalier. Pourquoi pas ? Mais présenter cette façon de voir comme sérieuse, moi qui habite depuis quarante ans au milieu des pins (et des chevreuils, sangliers, blaireaux, renards… pour ne parler que des grosses bêtes), cela m’apparaît pour le moins singulier.
Cela se répercute sur les fondements de ses discours. Même n’étant pas spécialiste, cette philosophie qui oppose le corps à l’esprit (p.133) ou qui transforme tout propos en discours philosophique, me semble bien étrange. Sur un domaine qui m’est plus familier, je ne peux que m’étonner du retour à l’animisme tel qu’avant-guerre, bientôt un siècle, Lévy-Bruhl le trouvait dans les « sociétés prélogiques ». Enfin l’utilisation de l’anthropologie me semble particulièrement discutable entre l’invocation de sociétés imaginées et les références « new-age ».
Évidemment, il reste le recours de Descola qui ne semble pas s’être aperçu qu’il reprenait Lévy-Bruhl, en occultant toutes les enquêtes effectuées depuis, celles de Bensa en Kanaky ou de Doquet au Mali pour ne pas en citer des dizaines d’autres. Mais depuis est arrivé, en outre, le « New Age » avec comme tête de file un authentique anthropologue, Carlos Castaneda, même s’il n’est pas absurde de considérer son œuvre comme une supercherie, ainsi qu’il me semble l’avoir suggéré.
Mais peut être que le « pistage » permet surtout d’éviter de parler aux êtres humains, de rêver à un monde sans eux. Une nouvelle forme de misanthropie ?
Bernard Traimond