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Carte postale 9/ 10

Publié le 22 décembre 2021 par Alexcessif

Résumé

Voilà, voilà ! 

Retour par la Tchéquie et la Bavière. Pendant la traversée de l’Oural je n’ai pas dû dépasser le cinquante à l’heure. Groggy !

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Carte postale 9/ 10

    De retour à Paris, tout était en ordre dans le garage. Un peu moins dans ma tête et dans ce cas un peu de travail manuel me faisait du bien. L’appartement était devenu un cocon. En pleine perplexité, je me décidai à quelques réparations comme si j’en étais le propriétaire. Pour les étagères de la bibliothèque, cela ressemblait à l’étayage d’une mine menaçant de s’effondrer. Dans le salon,le parquet, d’un bois de belle qualité que je cirai à quatre pattes, se remettait de la verdure qui avait investi les lieux masquant la baie vitrée. La pièce y gagna en clarté et j’installai des rideaux. La vue sur Paris, jusqu’à la colline de Saint Cloud était vertigineuse. On pouvait y voir se former l'orage avant que crévent ses nuages une heure plus tard porte de Vanves et comme dans le  Lot & Garonne le dicton " Rouge au couchant, demain beau temps" valait tous les bulletins météo. Il m’arrivait de déjeunersur le balcon ombragé par le store en toile au milieu des plantes vertes que j’avais conservées et agencées sur une étagère en métal galvanisé. En bas, le jardin de la résidence arboré de sapins, de tilleuls et de hêtres renvoyait l’écho des parties de tennis qui se jouaient sur le court mitoyen.

Je devenais doucement un quatorzard.

Vers Edgar Quinet il y avait le Square Stéphane Hessel, auteur de "Indignez–vous !" et Jean Paul Kaufmann, otage avait résidé rue Didot. Brassens habita chez Jeanne, squatteur impécunieux, impasse Florimont puis devenu riche et célèbre était resté dans le quartier vers la villa Santos Dumont pas très loin de la rue des Morillons où finissent les sacs trouvés.

Pour qui ramassait les coïncidences comme des cailloux de Petit Poucet, je me régalais de savoir que Jacques Demy de "Une chambre en ville" était séparé de Agnès Varda par la traversée de la rue Daguerre et il me peina d’apprendre que Patrick Dewaere s’était tiré une balle impasse du Moulin vert.

Puisque le masque obligatoire convenait à ma paranoïa et à mon besoin d’anonymat, je m’accordais des promenades incognito vers la rue Gazan et le Parc Montsouris. C’était cool ce masque ! On pouvait trouver drôle   d’entrerdans une banque masqué mais surtout positiver de ne plus voir de gens vous postillonner à trois centimètres du visage et voir des crados contraints de se désinfecter les mains avant de tripoter les fruits & légumes etdécoller ceux qui vous collent dans une file d’attente. Je commençais à trouver la vie amicale. Méfiance !

Ma part de Seine commençait au pont Mirabeau au bout de la rue de la Convention. J’étais un pont trop loin, mes ricochets n’atteignaient pas son pont de Grenelle.

L’appartement bruissait la nuit, Paris étrécissait et mochissait – verbe mochir 3ème groupe – et surtout j’étais émotionnellement défoncé. Je chialais en écoutant l’interprétation magistrale de Beethoven par Martha Argerich. Pas Biolay, Beethoven !

Il n’était pas midi, il était surtout neuf cafés et trois biscottes. Il était temps de fuir.

   ––––

Il restait à "l’Intranquille" à visiter le descendant présumé du rescapé d’Ipatiev maintenant que le mystère de mes origines n’en était plus un. Cette fois, le voyage n’était pas le but, c’était bien le but qui en était l’objet.

Un matin d’automne, avant un hiver qui pouvait être le dernier, j'ai prisla moto pour le temps et l'envie qu'il me restait d’aller voir le géniteur dans un coin du Lot détenteur des secrets de famille et des morsures, à la poursuite d'une caduque quête identitaire de mon nombril, histoire de comparer nos fardeaux.

D'un seul de ses regards, j'ai su mon désir de ne pas troubler sa quiétude de dépositaire amnésique. A quoi bon lui dire que je savais désormais.
Je n'ai pas voulu faire revivre, sous prétexte de mon seul bien–être, à ce vieil homme un passé qu'il veut sans doute oublier.
J'ai laissé les questions au vestiaire des rancœurs pour que ce tout à l'ego ne devienne pas un tout à l'égoût et me suis régalé de cette soupe de bien, venue de dessus le poêle à bois "Godin", de ces patates qui ont pris le temps de cuire lentement et de cette barbaque d'origine inconnue tant elle est méconnaissable "de braise et de caramel" qu'il dit : moi j'appelle ça de la crâmure d'oignons.

Alors, au lieu de regarder derrière, j'ai observé mon futur de dans vingt ans à travers ce visage édenté toujours vivace malgré ses 70 années de labeur d'ouvrier entamées dès huit ans comme garçon de ferme, dormant quelques heures par nuit dans le lit cage d'un grenier sans chauffage.

Dans les misères antérieures du siècle d'avant, il y avait des tragédies banales et rurales où le fruit des amours ancillaires de Yachmenev et  de la lignée déchue d’Anastasia devenait à son tour domestique à bon compte. Un descendant de russe blanc devenu ouvrier agricole dans une campagne communiste pendant la période du front populaire est une vraie vacherie en termes de karma.Le mouflet issu de cette mauvaise pioche grandissait sans pain blanc mais avec un quignon et un oignon pour salaire. Le hasard donne, le hasard reprend. 

A bout de démarches, comme un saumon remonte le courant, j'ai suivi le fil de mairies en Ratusha* de ces eaux saumâtres pour conclure que je suis issu de cette hérédité là.

Sa vie se terminant aujourd'hui, encore vert, en aventures de cavaliers et, sans doute l'ai–je déjà rejoint dans la cavalcade peut–être, chevauchant une moto et, plus sûrement, dans la calvitie.
Contrairement à la maison de poupée de "chez ma sœur", il y a ici des licols et des selles enchevêtrés, des couteaux à la lame longue comme l'avant-bras, des outils sur la table et, au sol, la bouffe des canassons dans des sacs de céréales ou de flocons de maïs, des cuirs lustrés dans l'odeur du suif sur des tréteaux, des vareuses suspendues à des clous en guise de patères.
Beaucoup de place pour les chevaux et un peu pour des images d'enfants, des dessins d'arbres sans racines, des maisons sans fenêtres et des créatures dentues punaisées sommairement aux murs qui disent sa souffrance et son remord.
L'été, il me souvient d'un canasson à la porte d'entrée et qui parfois pénètre dans la pièce vers le sac de pain dur, des poules et du coq, de l'œuf que l'on va chercher au cul de la poule, des tomates qui saignent sur la planche à découper.
J'oublie encore et aussi ses colères rustiques du temps des jours de paye après les grandes grèves en oubliant ses reproches qu’il adressait en vrac à ma petite taille, mes études abandonnées, mes ratages, mes gestes maladroits, ma terreur des bourrins – lui qui était fasciné par ces montagnes de muscle obéissant à sa cravache – , mon divorce, mes faillites et ses espoirs déçus. Des couches enfouies de ma colère ressurgirent les fois où il jouait de la ceinture pour un carreau cassé. Ce surnom de bâtard qui m'écorchait les oreilles pesaient assez peu avec les regrets que je pouvais concevoir d'être maintenu dans l'ignorance de ma lignée. Que mon appartenance à la saga  des Romanov me fut révélée par un domestique étranger était plutôt cocasse pour ne pas dire Cosaque. Sans réfléchir à l'évidence que ce secret était une protection, je ne pensais qu'à ligne absente sur mon CV de la notoriété. Et le patrimoine? Avait-il conservé un œuf de Fabergé par devers lui? Avait-il des infos sur le trésor des Romanov?
Je crois que j'ai repris de la soupe.
Nous avons fait rouler des bottes de foin dans le hangar à côté des chevaux.
Deux sont morts cette année, reste une haridelle, avec un pedigree de pur sang quand même, et deux anglo–arabes bon pied bon œil.
Nous sommes rentrés boire un ersatz de café, une sorte de champoreau de Daudet, un jus de chaussettes chauffé/réchauffé qui nous attendait dans une débelloire* de Giono sur la fonte du poêle puisqu'il n'y avait plus de vodka.
Et j'ai repris de la soupe.

Et mes griefs.

Quelle famille !

*Mairie ; musée

*Un champoreau est une boisson chaude, à base de vins et/ou surtout de liqueurs. Il peut s'agir aussi en pratique soit d'un mélange de café et de liqueurs, ou encore de vin ou d'un autre alcool, soit d'un simple bouillon au vin rouge. En France, ce premier breuvage peut aussi être appelé café-goutte ou café-liqueur.

* Débelloire ou dubelloire. Cafetière en terre de grès, avec passoire de même nature, inventée par du Belloy. Le café qui est dans la dubelloire est ben meilleur que celui de la cafetière!
  « Sur le coin du fourneau, elle laisse toujours à côté du coquemar
, la dubelloire. Oui ! Manière que si quelqu'un I vient à l'improviste, qu'on s'attendait pas, ben on lui paiera toujours une petite tasse de café ! Savez ça que c'est ! »

Final cut

Cette porte un jour s’ouvrirait…

Je me souviens : ce fut le jour où je décidais d’attaquer la plomberie. On peut être terrorisé parune innocente odeur de curry quand on franchi le seuil d’un appartement. Ce fut mon cas ce matin là de retour du Bricorama de Chatillon.

Il y avait dans "ma" cuisine une femme entre deux âges, le mien et le sien, plutôt grande avec beaucoup d’élégance dans le maniement des ustensiles et de connaissance de l’emplacement des épices de cette cuisine dont il était évident qu’elle lui était familière. Elle m’invita au salon dontj’étais l’occupant fantôme en quête des réponses à l’instant où j’avais oublié les interrogations.

Dans l’évier le robinet gouttait !

Un détail sans importance, j’allais enfin savoir !

– Asseyez–vous et ne m’interrompez pas. Je suis la maman de Romeschka …

Cette habitude stupide que les propriétaires d’animal de compagnie ont de les traiter comme leur descendance…

– … et la propriétaire de cet appartement …

… Je savais qu’un jour cette porte–qui était celle du mystère, nous sommes bien d’accord ?– s’ouvrirait et dont je n'étais pas seul à détenir la clé : je le savais … à quelques détails prés…

– … dont je reprends possession…

… Tout est normal me dis–je, habitué des déménagements sans ménagements prévoyant une position de repli entre les points de suspension …

– Je vous remercie chaleureusement pour Romeschka et je vous félicite, vous avez passé le test magnifiquement.

… J’attendais la suite, mutique, discipliné…

    -  Sacré matière pour un roman, n’est–ce pas ?

Je viens d’ailleurs de lire votre manuscrit.

 ... hum c'est bon ça!!!

J'hésite entre le génie et la débilité. Vous possédez un dosage intéressant de mythomanie mais il reste cependant très en dessous de la réalité. C'est une succession de chapitres à 1ère vue assez décousus. Il y a quelques effets de style, mais c'est très monotone, les personnages n'ont pas d'épaisseur, on se lasse. Désolée de vous asséner ce vitriol, mais je ne vois pas un éditeur publier ça. Quand à votre colère envers les femmes, je n’ai pas le temps…

… Bienvenue dans le monde réel, Tom !

J’étais pétrifié !  La vérité sortait toujours de la bouche d’une femme. Je leur prêtais un meilleur discernement, une finesse, même celles que je ne calculais pas. Surtout celles que je ne calculais pas. Je comprenais souvent celle d’avant grâce à celle d’après. Je n’étais jamais connecté à elles en temps réel. Je venais de reconnaitre celle qui fit partie "des passantes que je ne savais retenir" de la rue d’Alésia le jour où j’étais venu prendre livraison de mes rollers, rue de Gergovie. Il doit y avoir  un philosophe perspicace qui choisissait les odonymesà la ville de Paris car, citer dans le même arrondissement, le nom d’une défaite Alésia, suivant une victoire, Gergovie,  est un raccourci saisissant sur le chemin qui va de la réussite à l’échec. Elle fit semblant de ne pas me reconnaître mais cela sentait la vengeance. Nous,les pisse–debout,nous avons tout à craindre des colères féminines. Gergovie/Alésia, nous étions dans la chronologie des choses. "La réussite est un malentendu" titre assez peu connu de Phalène de Lamparo…

Autant de constance dans l’inconstance et l’inconséquence a quelque chose de totalement fascinant. Laissons cela, il y a plus important.

Vous aviez raison : le hasard n’existe pas !

Pas plus que le bien/pas bien, d’ailleurs, il n’y a que des conséquences.

Putain, on partait de loin. Je régressais vers une maternelle très manichéenne, mais je me taisais. Je sentais qu’il allait y avoir de l’info genre entre le bien et le mal il y a le "moins bien" et le  "pas si mal".  Merci bien, le "peut-être mieux" restera toujours dans ma ligne de mire. 

– Vous n’avez pas trouvé le sac en forêt, c’est le sac qui vous a trouvé ! Je dirai même "choisi". Il fallait satisfaire ce besoin viscéral en vous d’être élu. Un employé l’a déposé à un endroit où vous ne pouviez que tomber dessus. Le destin cela vous parle ? Rassurez–vous ou inquiétez–vous,il n’existe pas. Pas plus que le hasard. C’est votre construction mentale qui vous a conduit à vous rendre utile. La culpabilité, l’ego ont fait le reste. Comme un tournesol suit la course du soleil, grâce aux documents sur votre hérédité, votre prédisposition pour la fuite, grâce aux moyens mis à votre disposition, à ce goût irrationnel pour la difficulté, c’est à votre constance à courir derrière une obsession, votre volonté, vous si velléitaire, que nous devons d’avoir retrouvé le dernier des Romanov.

Je compris instantanément que seule la sincérité de ma démarche identitaire avait pu délier des langues dans ce pays qui gardait la méfiance et la peur des bolchéviks. Je décelai la vanité de ma sincérité bien planquée derrière une naïvetérecuite et ma volonté n’était qu’entêtement.

– Malheureusement pour vous, nous sommes les rouges.

… Dans cette temporalité le pouvoira toujours raison et de toutes les situations où je m’étais fourré, jamais je n’ai eu peur. Cette fois, oui ! Car, si j’ai bien suivi, le dernier des Romanov n’est pas l’homme du Lot, c’est Moi !

– … "Malheureusement" disais–je il y a ce manuscrit. Votre exhibitionnisme vous perdra et nous n’aimons pas le risque, si minime fût–il ! Veuillez prendre connaissance de ceci :

… Je reconnus l’enveloppe du laboratoire présente sur la table du salon depuis plusieurs jours. Figé par une procrastination de cerf aux abois cause de ma lâcheté ordinaire, je ne l’avais pas décachetée. Les résultats d’analyses stabilotés de rouge étaient incompréhensibles mais la couleur du danger recouvrait presque tous les chiffres.

– Je me suis permis de l’ouvrir puisque vous tardiez à le faire…

… Un putain de silence ponctuait chaque phrase, soulignant chaque information, et son débit de longue dame brune reprenait comme un robinet qui goutte. Cette goutte d’eau, au rythme d’un métronome tombant sur les crânes rasés des dissidents dans les geôles de la Loubianka et qui les rendait fous.

  

– … Comme Romeschka, mais pour d’autres raisons moins naturelles et tout aussi injustes, votre espérance de vie résiduelle est estimée à deux mois…

… La goutte suivante était en avance…

– … Ainsi que je l’ai déjà dit je reprends possession de mon appartement…

… Le diable est dans les détails. Pendant que la sueur coulait le long de ma nuque, je me demandais où j’allais installer ma brosse à dent, ce soir…

– … mais vous pouvez dormir sur le canapé, je vous borderai, je vous raconterai une histoire…

… Problème réglé, il suffit parfois d’une prise électrique, elles sont souvent dans un appartement chauffé !

– … l’hospitalité slave, la coutume du thé au polonium dans la plaine du Don que vous avez aimé sans modération.

Le hasard a donné, le hasard a repris !

Je me disais bien que ce thé était plus amer que moi. La réponse à tous les "pourquoi" est toujours "parce que".Pendant que je me faisais des nœuds au cerveau pour décoder un mystère qui n’en était un que pour moi, j’avançais comme brouette que l’on pousse. Je n’étais qu’un objet dans un dispositif. Et le polonium, c’est dégueulasse.

De toutes façons, j'avais plus d'un tour dans mon sac . Je ne tenais pas plus que ça à cette enveloppe charnelle, rénovée certes mais obsolète. Il était temps d'emporter mes 21 grammes dans l'ailleurs et l'autrement. Cette carcasse n'était plus utile à personne. La vérité est polymorphe, l'important, c'est l'âme.  


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