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Temps mort

Publié le 16 janvier 2022 par Alexcessif
Temps mort
     Et …

    Qu’as-tu fais juste après ?

    Après Duroc j’ai travaillé à ma survie. Je ne concevais même pas un plan A puisque seul le B fonctionnait. Bien sûr j’avais sécurisé mes 16 m2 à Chartres avec un vélo coincé à la verticale dans un placard à balai mais je tenais à rester à Paris. A Paris tout était possible. Vous étiez un roi à raconter une de vos vies. Les cocasseries ne manquaient pas dans la mienne. Par exemple, m’être retrouvé à 5 heures du matin entassé à l’arrière d’un utilitaire pourri avec des inconnus flatulents ou se curant le pif pour  terminer ma nuit et attaquer ma journée sur le parking d’un concessionnaire à essuyer des bagnoles la raclette d’une main et la peau de chamois dans l’autre. Certains semblaient avoir dormi dans leurs vêtements et j’imaginais aisément que le recrutement se faisait sur un trottoir en échange d’un repas chaud. Puisque le boulot ne requérait que peu de compétence une paire de bras suffisait et j’étais dans cette zone de ma vie étrécie où j’avançais courbé,  les épaules rentrées, évitant les regards. Chacun devait avoir son propre parcours mais je n’avais pas envie de faire partie de cette communauté-là. Le jour vous étiez le gérant des vestiges de l’entreprise de transport fondée 5 ans plus tôt à bout de trésorerie et dès l’aube un préparateur auto. Il y avait un petit malin bien informé de l’offre et la demande qui faisait bosser incognito une quinzaine de mecs rarement les mêmes, parce qu’il fallait qu’à l’ouverture le parc occasion de Renault Le Bouscat devait présenter des carrosseries débarrassées de la rosée matinale et que des crevards dont j’étais avaient besoin de gratter un billet. 

Moi aussi j'avais eu l'idée géniale à la quarantaine. Créer un entreprise. Encore un faux choix. Je ne faisais, comme à chaque fois que transformer une apparence de hasard en dualité inéluctable. Pour le dire plus clairement, je faisais une carrière évolutive et sympa, débutant de coursier plafonnant à chef de trafic, passant par la maîtrise pour parvenir à l'encadrement. La logique voulait que je franchisse une marche et le hasard fit que l'entreprise venait d'être vendue à une entreprise de soi-disant transport avec l'objectif de réaliser une opération immobilière sur le cadavre de cette vénérable mais poussiéreuse société familiale. Avec l'enthousiasme que procure le dos au mur, je me retrouvai devant la  page blanche de la création: une entreprise de services: on livre comme tout le monde mais à l'étage et on déballe, on branche, on installe, on change les gicleurs de cuisinières, on règle une télé, on débride une machine à laver, on monte une armoire. Bingo! l'offre correspondait à une demande pas encore exprimée, sans concurrence donc. Les grandes surfaces adhérent car elles préfèrent payer un prestataire que d'assumer une chiée de SAV consécutifs à des installations mal réalisées. Sans un rond, sans véhicules, sans personnel mais avec des sous-traitants sans imagination bien équipés en utilitaires inemployés par le nouveau propriétaire, que j'avais su convaincre d'être payés à 90 jours contre l'assurance d'une garantie de roulage sans préciser que j'avais négocié le paiements  des prestations tous les quinze jours, je me retrouvais assez vite assis sur un tas d'or. Plus banquier que transporteur, j'ai tenu cinq ans. Dés le début, je sus que j'allais dans le mur avec des  marges aussi faibles et une surface financière ultra light face aux acheteurs/négociateurs  de la grande distribution rompus à l'essorage de leurs fournisseurs mais cela ne m'a jamais dissuadé de foncer dans le brouillard pied au plancher. Puis vint le: "SARL clôturée pour insuffisance d'actifs ". Une fois cette conclusion officialisée par le liquidateur, j'ai brûlé les archives de la boîte dans le jardin et savouré la grenaille de Noirmoutier, dont j'avais  oublié la présence, cuite sous la cendre  et retrouvée cuite à point. Sans aucun droit au chômage, rincé financièrement, récemment divorcé mais avec le soulagement de ne pas être endetté à vie pour faute de gestion, je ne me souviens pas avoir savouré d'aussi merveilleuse patates. 

Ce petit malin était un des anciens chauffeurs dont j’avais dû me séparer qui m’avait engagé sans rancune mais en se marrant. Je l’avais croisé par hasard dans ma nouvelle réalité. Un hasard doté d’un solide sens de l’humour peu crédible dans une fiction. Raconter à Paris cette tranche de vie qui  avait eu lieu dans une petite ville du Sud-Ouest, avec l’accent et la patine des ans, était aussi exotique que le scénar du "Salaire de la peur" avec Montant et Vanel. Votre seule présence dans la capitale était la preuve que vous en étiez sorti grandi et supposément indemne. Cela suffisait pour vous prêter une compétence, au moins d'aventurier, restait à trouver les circonstances pour la monnayer. J’ai trouvé drôle de lâcher une pièce au SDF assis à l’angle de la rue de la Gaité et de l’avenue du Maine. Lui savait où dormir cette nuit, pas moi. Le dernier train pour Chartres était parti.

    Devais-je poursuivre cette route ? Oui, bien sûr, il y a quelqu’un au bout, pas trop moisi, du genre humain, de sexe féminin parce que la différence cognitive enrichissait les échanges. J’ai cru que c’était toi, qu’importe ! On peut renoncer à tout mais on peut continuer à marcher sans savoir où l’on va il y a forcément un "quelque part" accessible un peu au-delà de la lassitude. L’idée de l’inconnu aux contours indéfinis est le meilleur moyen de s’éviter des déceptions. Il s’agit tout simplement d’aller le plus loin possible, sans état d’âme en ménageant sa monture. Rien d’irrationnel, ni d’obsessionnel là dedans. Il n’y a rien de plus naturel que la marche et de plus nécessaire que la surprise.

J’avais crée un lien épistolaire avec un parisienne avec une tête bien remplie et un fuseau horaire complice . Un distanciel convenable, pour employer un élément de langage de la future pandémie qui allait nous tomber sur les endosses. Nous savions qu’un jour je serai sur le palier ignorant qui était derrière la porte. Elle aussi. A vrai dire peu m'importais de l'aspect physique seul le critère incluant mon nouveau projet en phase balbutiante de réalisation m'importait et lui importait aussi semblait-il: un bouquin! Le présentiel c’était ce soir. C’était maintenant ou jamais.

Comme Shéhérazade j’avais mille et une nuits pour raconter mille et une histoires.

Depuis je vis de ma plume, "A la [poursuite] du temps perdu"

Temps mort


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