Le bureau d'Hoffmann Ophelia © Marie-Laure Briane
La production munichoise est essentiellement en noir et blanc, toute en ténèbres et en lumières architecturées en binôme. La taverne de Luther et le bureau d'Hoffmann se confondent en un simple parallélogramme grisâtre à l'apparence bétonnée qui s'élève des dessous de scène. La scène est souvent sombre et envahie de brumes et de fumées, c'est le monde de la tabagie et de l'alcoolisme, des passions et de la débauche amoureuses, des tromperies et des diableries, et celui de la destruction et de la mort. La rédemption n'est possible que par la création artistique ; le véritable amour, c'est l'amour de l'art, qui élève et illumine. Les hautes parois blanches du décor sont tapissées d'un crépi blanc dont on comprendra en cours d'opéra qu'il est constitué de myriades de feuilles de papier qui ne sont autres que les travaux scripturaires de l'écrivain romantique E.T.A Hoffmann (Ernst Theodor Amadeus Hoffmann), qui fut aussi compositeur, dessinateur et juriste. Niklausse, le comparse de Hoffmann, qui est aussi sa muse, tente pendant toute la durée de l'opéra de l'arracher aux vaines mondanités des amours dérisoires pour se donner tout entier à l'amour de son art. Comme à Lausanne, Stefano Poda peuple la scène de cages vitrées mobiles qui renferment des personnages ou des sculptures symboliques. Le socle de ces vitrines donne à voir des inscriptions changeantes : titres d'oeuvres musicales, noms de cantatrices célèbres avec les dates de leurs naissances et de leurs morts, chiffres qui renvoient aux jeux de hasard des casinos, titres des contes de Hoffmann, etc. Les déplacements des cages vitrées sont soit mécaniques (par l'utilisation du plateau tournant ou par élévation de parties du plateau de scène) soit manuelles, et l'ensemble des ces mouvements est magnifiquement chorégraphiée et architecture toute la représentation. Certains des personnages principaux se voient démultipliés : c'est ainsi que la poupée mécanique Olympia et que Giulietta sont reproduites à une dizaine d'exemplaires. Olympia est le premier personnage à trancher sur le bichromatisme noir et blanc avec sa robe filet très sexy faite de cordages rouges collés aux corps de la poupée ou de ses doubles, figurantes encagées à la gestuelle mécanique et saccadée. Lors de l'évocation des amours de Hoffmann avec Antonia, les vitrines se peuplent de cantatrices célèbres défuntes que définissent leurs perruques, leurs silhouettes ou leur embonpoint : Callas, Flagstaff, Tebaldi ou Caballé (particulièrement réussie), autant de veuves noires aux visages emplâtrés debout dans leurs vitrines, cercueils de verre, autant de compagnes de la mère morte d'Antonia qui annoncent à la jeune femme sa prochaine destinée. Giulietta porte quant à elle une longue robe d'un blanc lumineux et surtout une immense coiffe en éventail faite de plumes de paons. Les belles prostituées du monde interlope dont elle pourrait bien être la maquerelle sont vêtues de robes-filets aux cordages argentés et ont parfois le chef couvert d'un masque adamantin. Toute la mise en scène est millimétrée au cordeau et fonctionne à la manière de déclinaisons latines ou de tableaux de conjugaisons qui seraient combinées avec des tables de multiplication. Tous les rouages sont parfaitement huilés : c'est captivant du début à la fin de la représentation qui se déroule comme dans un rêve éveillé.
L'orchestre dirigé par Anthony Bramall rend avec brio le mouvement virevoltant et la magie entraînante de la musique d'Offenbach, à laquelle les choeurs entraînés par Pietro Numico rendent un semblable hommage. Le rôle d'Hoffmann est interprété par le bouillant ténor roumain Lucian Krasznec, qui, tout en travaillant en puissance, a su relever les défis d'un rôle qui exige une belle endurance. Il donne une composition crédible et convaincante du personnage. La troupe du théâtre de la Gaertnerplatz est réputée pour l'excellence de son esprit d'équipe et cette production aux si nombreux personnages en est la parfaite illustration. La mezzo Anna-Katharina Tonauer donne une muse incisive et percutante, avec de superbes entames. Le puissant baryton Mathias Hausmann se joue sans problème aucun de ses changements de rôles. Les trois amours du récit de Hoffmann sont interprétées avec bonheur par Ilia Staple dans le rôle de la poupée mécanique, Jennifer O'Loughlin, — coqueluche du public d'habitués, — dans celui de la jeune chanteuse Antonia et une admirable Camille Schnoor dans celui de la dangereuse Giuletta.
La mise en scène de Stefano Poda donne une grande lisibilité et apporte une cohérence au livret de cet opéra aux enchevêtrements parfois ressentis comme complexes. L'étincelante beauté de ses costumes, la précision de ses décors et de ses mouvements de scènes parfaitement chorégraphiés et l'entrain d'une troupe et d'un orchestre soudés sont le gage d'une excellente soirée. Tout cela donne l'envie d'y revenir pour en apprécier davantage encore le détail et avoir le plaisir de revoir cet opéra dans la seconde distribution.
Agenda
"Les Contes d'Hoffmann", Gärtnerplatztheater, première A jeudi 27 janvier à 19h30, première B dimanche 30 janvier à 18h, autres représentations les 6, 8, 24 et 26 janvier, billets sous www.gaertnerplatztheater.de ou par téléphone (+49 89 2185 1960).
Distributions
Hoffmann: Lucian Krasznec / Cameron BeckerDie Muse / Niklas: Anna-Katharina Tonauer / Emma SventeliusLindorf / Coppelius / Dr. Mirakel / Dapertutto: Mathias Hausmann / Matija MeićAndreas / Cochenille / Franz / Pitichinaccio: Maximilian Mayer / Caspar KriegerOlympia: Ilia Staple / Andreja ZidaricAntonia: Jennifer O'Loughlin / Judith SpießerGiulietta: Camille Schnoor / Mária CelengAntonias Mutter: Anna Agathonos / Ann-Katrin NaiduNathanael: Caspar Krieger / Harin LeeSpalanzani: Juan Carlos FalcónHerrmann: Alexander Grassauer / Marcus WandlSchlemihl: Timos Sirlantzis / Alexander GrassauerLuther: Holger Ohlmann / Martin HausbergCrespel: Sava Vemić / Levente PállStella: Karin Kreitner