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La vengeance du pied fourchu 9

Publié le 06 août 2008 par Porky

diable02.jpg Pendant les deux premiers jours, il ne se passa rien. Le marchand était ravi d’avoir une aide gratuite, ce qui lui permettait de quitter son étal plus fréquemment qu’il n’était utile afin d’aller converser avec des confrères. Sous les ordres débonnaires de Madame Agnès, Missia avait vite appris les rudiments du métier et il n’avait pas fallu plus d’une journée pour qu’elle montrât la plus évidente facilité à accrocher les clients. Pendant qu’elle vantait la qualité des tissus, Martin, abandonnant quelquefois son troupeau, faisait le tour du lieu afin de repérer un éventuel collier d’émeraudes. En vain, bien entendu. Les marchands n’étaient certes pas à plaindre financièrement mais de là à pouvoir s’offrir une rivière de pierres précieuses, il y avait un abîme. De temps en temps, Madame Agnès, prise de remord de voir la jeune fille s’activer joyeusement pour un salaire qui brillait par son absence, lui disait de se reposer ou d’aller se promener ; Missia en profitait pour scruter tous les visiteurs, et ils étaient nombreux, sans trouver cependant une tête qui lui parut représentative d’un physique satanique.

Le mardi, un événement troubla la sérénité des échanges. Au mois de décembre, peu avant Noël, on avait appris que la grande maison bourgeoise qui se trouvait à deux kilomètres du village, au bord du ruisseau, presque au pied de la montagne et que son propriétaire n’habitait plus depuis longtemps avait été vendue. C’était une belle bâtisse d’apparence imposante, mais on disait que l’intérieur tombait en ruine. Un petit parc descendait en pente douce, à l’arrière de la maison, vers le cours d’eau. L’annonce de la vente avait provoqué de grands remous au village et on s’était demandé quelle allait être la tête du nouveau propriétaire. On attendit, mais on ne vit rien venir, sinon des ouvriers qui étaient chargés de remettre l’intérieur en état. La rapidité des travaux étonna bien un peu les gens, de même que le côté farouche et peu liant des ouvriers. Mais on était trop occupé à clabauder sur le compte de leur commanditaire pour s’arrêter à ce genre de détail. Les ouvriers partis, on attendit de nouveau. Et puis, à force d’attendre, on oublia qu’on attendait et on pensa à autre chose.

Trois jours avant le début de la foire, une belle voiture tirée par de superbes chevaux blancs s’arrêta devant la maison. Un jeune couple en descendit. Une des servantes de La Mairesse, drôlesse qui traînait dans le coin à faire des choses pas convenables, assista de sa cachette à l’arrivée, et à peine hors des bras de son galant, s’en alla porter la nouvelle aux quatre coins du village. Enfin, on allait faire la connaissance du nouveau maître de cette belle maison. On recommença à attendre. Encore une fois pour rien car ni le couple, ni un seul de ses domestiques ne parut au village. La seule chose que consentirent à faire ceux qui déchaînaient la curiosité locale, ce fut de baptiser la maison et d’appliquer sur le mur une grande pancarte indiquant que l’on se trouvait devant une demeure nommée Les Eglantiers. Le village s’esclaffa en douce. Jamais on n’avait vu la plus petite feuille d’églantier dans le coin, et surtout pas là-bas. On se prit à penser que les nouveaux arrivants devaient sans doute débarquer d’une ville, ou pour le moins d’en endroit où les églantiers étaient inconnus, vu le nom incongru qu’ils avaient donné à leur maison.

L’inauguration de la foire détourna quelque peu les esprits du jeune couple. Missia, qui n’avait pas été la dernière à accumuler les suppositions sur le compte des nouveaux propriétaires, avait elle aussi évacué leur existence de sa mémoire. Aussi leur apparition, dans la matinée du mardi, à l’entrée du champ de foire, provoqua-t-elle des remous dans l’assemblée. L’étal de Madame Agnès se trouvait dans les tous premiers rangs. Missia put donc se régaler du spectacle sans avoir besoin de se dévisser la tête.

Ils étaient tous les deux très beaux, il fallait en convenir. Jeunes, aussi. Lui ne devait pas avoir dépassé la trentaine et elle paraissait avoir à peine vingt ans. Tous les regards, tant masculins que féminins, s’étaient fixés sur la chevelure de la jeune femme. Elle était blonde, si blonde que ses cheveux semblaient presque blancs.

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 Elle n’avait pas trouvé utile de les coiffer savamment, ils tombaient librement sur ses épaules et lui faisaient une parure que le soleil rendait presque éblouissante. Ses yeux étaient d’un bleu clair et ses lèvres minces s’étiraient en un charmant sourire, un peu mutin, et empreint d’une vague malice. Sa peau blanche, sans doute d’une incroyable douceur, provoqua immédiatement l’envie des paysannes présentes sur le champ. L’envie fut également ressentie par les messieurs, mais elle n’était pas de la même nature. Elle était vêtue d’une robe claire agrémentée de rubans rouges et elle tenait à la main une petite ombrelle, sans doute pour se protéger des morsures –pourtant clémentes à cette époque- du soleil.

« Elle est vraiment superbe, chuchota Madame Agnès à l’oreille de Missia qui hocha la tête. Ses cheveux sont magnifiques. Elle n’est certainement pas d’ici. C’est sans doute une étrangère. » Le regard de Missia ne quittait pas le bijou qui entourait le cou de la jeune femme.

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 C’était un très beau pendentif, probablement en argent ; la chaîne se terminait par une sorte de médaillon rond, orné en son centre d’une pierre rouge. « Un rubis, dit Madame Agnès en plissant des yeux. Je suis sûre que c’est un rubis. Et bien… » Et la fin de la phrase se perdit dans un soupir.

Quant aux quelques dames de la ville voisine, visiteuses ennuyées que leur mari avait obligées à venir, elles dévoraient des yeux l’homme dont la main était posée sur le bras de sa compagne.

(A suivre)


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