maison

quand francis reddy demande à ma'
en deux mil dix-sept
ce que ça représente pour elle et pa'
de revenir à montréal
et qu'elle répond
que c'est un peu comme rentrer à la maison
et que ça fait brailler
tout le monde sur le set de l'enregistrement
j'ai bien l'impression
que c'est plutôt pour épater la galerie
et pas si vrai que ça
que c'est un retour au bercail
même s'ils y retrouvent
amis et enfants

pa' a vécu au québec
quatorze ans
et ma' y a vécu dix-sept ans
ils vivent maintenant dans la région de san francisco
depuis plus de vingt ans

revenir annuellement à montréal
n'est plus un retour à la maison

pa' et ma' y ont fait
leur dernier séjour 
en octobre deux mil dix-neuf
après que j'eus passé mon examen de cpa
pa' avait l'air mieux que l'année précédente
et légèrement animé
lorsque l'homme-chat lui versait
un petit verre de vin
mais généralement éteint
comme il l'est
depuis sa maladie
il y a environ dix ans
ma' comme toujours
est chez elle partout
organisant ses journées activement
pour ne pas sombrer
dans l'ennui
l'immobilisme
ou la démence

mais ce n'est rien
en comparaison
à leur vie chez eux
en californie
là où pa' a décidé de déménager
pour poursuivre son emploi
à l'âge de cinquante-huit ans
là où il a découvert les grands espaces
s'est mis en forme
a fait et dirigé de nombreuses randonnées
là où il a acheté une petite maison
pour que son épouse puisse l'y rejoindre
là où il a rencontré de nombreux amis chinois
immigrés aux états-unis
là où il est tombé malade
d'une infection très locale
là où il est soigné
dans un établissement universitaire qualifié
là où il vieillit tranquillement
entouré d'une communauté vibrante
même s'il est loin
de ses enfants

nous
chinois
vivons et mourons souvent
très loin de nos parents
et de nos enfants

après deux ans sans voyager
après deux ans sans avoir vu mes parents
l'homme-chat et moi avons décidé
très récemment d'aller les voir bientôt

plus tôt que tard

chez eux

je sens dans les courriels de ma'
cette fébrilité
et cette joie
de nous accueillir dans son univers
là où elle contrôle les éléments
même si elle et pa' vieillissent
dans un quotidien plutôt simple
ils sont beaucoup plus à l'aise là-bas
dans leurs affaires
dans leurs habitudes

pour tout dire
pa' n'est tellement plus chez lui
à montréal
que lors du zoom familial de nowell
le vingt-cinq décembre
il préférait plier le linge chez lui
que de nous rejoindre devant l'écran
et en deux ans on a fait 
quatre ou cinq zoom ou facetime ensemble
donc ce n'est pas comme si c'était la routine
c'était une occasion festive
mais non
il préférait faire ses trucs

alors dans quelques semaines
nous prendrons l'avions
l'homme-chat et moi
pour aller plier du linge avec pa' chez lui
prendre des marches le soir avec mes parents
jouer avec eux au billard
dans la salle communautaire de leur voisinage
et peut-être aller déguster quelques petits vins
en leur douce compagnie

d'ici là
on se terre loin de la civilisation
pour ne pas tomber malades
et saboter cette occasion
unique
dans les circonstances.

l'épisode d'août deux mil dix-sept
des parfums de montréal ici.