Scène 3
Cunégonde, Fifi, Daktari
CUNEGONDE
L’heure est grave, messieurs ; il va falloir montrer
Une fermeté noble et l’efficacité
Qui fit de nos actions un exemple parfait.
DAKTARI (mielleux)
L’enfer courba la tête et Satan fut défait.
FIFI (Ne voulant pas être en reste)
De l’Empereur de Mars vous sauvâtes la cour
Par votre dévouement et votre beau discours.
DAKTARI
Sans parler de Genève où vous fîtes merveille
Car des banquiers véreux vous sauvâtes l’oseille.
CUNEGONDE (Minaudant)
Ne me parlez donc plus de ces vaillants exploits.
Je ne suis plus celle que j’étais autrefois.
Mon prestige est tombé, je n’ai plus de pouvoir,
Et n’ai que souvenirs de mon ancienne gloire.
Et pourtant je sais bien que tout n’est pas fini :
Si tel était le cas, serais-je donc ici ?
A de belles actions je puis encore prétendre,
L’heure n’est pas venue dans l’ombre de descendre.
Même mon ex-époux en a la conviction :
C’est vous dire, Messieurs, l’enjeu de ma mission.
FIFI
Comptez sur nous, Madame, et soyez assurée
De notre entier soutien et de notre amitié.
(On frappe à la porte.)
CUNEGONDE (Etonnée)
Rosie n’a donc pas pris ses clefs ?
DAKTARI
Si, il me semble.
CUNEGONDE
Pourquoi frappe-t-elle donc ?
FIFI
Seigneur ! La porte en tremble !
CUNEGONDE
Elle a le coup de poing digne d’un grand boxeur.
(Les coups redoublent.)
Mais ouvrez-lui, enfin ! J’ai ce bruit en horreur.
(Fifi ouvre précautionneusement la porte de l’igloo. Il est violemment repoussé en arrière et va s’affaler sur le fauteuil de Rosie la Terreur. Trois silhouettes emmitouflées dans des fourrures entrent en gesticulant.)
Scène 4
Les mêmes, La Madone des Déshérités, La langoureuse Arielle, Lanlan.
CUNEGONDE (Inquiète)
Je ne sais d’où me vient cette affreuse impression,
Mais je crois avoir vu au cours d’autres missions
Ce paquet de saindoux et ce blond délavé
Qui là devant mes yeux viennent de se montrer.
LA MADONE (enlevant sa pelisse)
Ton accueil, ma chérie, me met du baume au cœur.
DAKTARI
Arrière ! L’autre folle et sa blonde consoeur !
CUNEGONDE
Dieu, je chancelle !
FIFI
Moi aussi.
DAKTARI
Moi de même.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (faisant des mines, à Fifi)
Remets-toi, mon biquet. Pourquoi es-tu si blême ?
FIFI
C’est que de cet émoi, j’ai bien failli claquer.
CUNEGONDE
Ce n’est pas le moment.
FIFI (la main sur le cœur)
Mais je vais expirer.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (se serrant contre Fifi)
Comme tu m’as manqué, mon beau Premier Ministre !
A Genève sans toi, c’était vraiment sinistre. (1)
CUNEGONDE (Abasourdie)
Que font là cette idiote et l’autre azimutée ?
LA MADONE (Tout sourire)
Comme toi mon amour. Nous venons parader.
CUNEGONDE (Joignant les mains)
Leila avait raison, ses craintes étaient fondées.
L’hypocrite Madone a rejoint ses quartiers,
En douce a préparé sa venue dans ces lieux.
Voilà le résultat !
LA MADONE
Et oui ! C’est merveilleux.
On se retrouve enfin et tu m’en vois ravie.
LANLAN
Deux âmes si nobles restent toujours amies.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Et moi j’ai retrouvé là toutes mes ardeurs.
Oh Fifi, cher Seigneur, sois de moi le vainqueur !
FIFI (Epouvanté)
Il n’en est pas question. Enlevez donc ces bras
Qui enserrent mon cou, reculez de cent pas.
CUNEGONDE (Inspirée)
A peine est-elle là c’est déjà le bordel.
Ce coup du sort infâme est vraiment trop cruel !
Est-ce ma punition pour avoir expédié
La cour et mon époux bien loin de mes pensées ?
La colère de Dieu sur ma tête innocente
Vient-elle donc de tomber ?
(Elle chancelle)
DAKTARI (la conduisant vers le fauteuil)
Seyez-vous, Présidente.
LA MADONE
Vraiment, quel beau raffut ! La cause en est stupide !
Je suis là et c’est tout.
DAKTARI
Que ton œil est cupide !
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Le mien est enflammé par un si noir regard.
Embrasse-moi, Fifi, ô mon vaillant loubard !
FIFI (La repoussant)
Plutôt crever !
LA MADONE (Intéressée)
Ah bon ?
CUNEGONDE (se levant et criant)
Arrêtez ce délire !
Vous me rendez cinglée ! Encore un cri, j’expire !
J’exige le silence et la tranquillité !
Faut-il pour les avoir vous couper le gosier ?
(Un grand silence. On se regarde avec des sentiments mitigés.)
(A suivre)
(1) On peut s'étonner d'une telle familiarité de la part de la Langoureuse Arielle. Voir Cunégonde en Enfer et Cunégonde sur Mars.