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Ile de Wight — L'impératrice et le petit garçon blond — Helen Mackay — Le signe du rêve. Histoire vraie.

Publié le 22 février 2022 par Luc-Henri Roger @munichandco

 Ile de Wight — L'impératrice et le petit garçon blond — Helen Mackay — Le signe du rêve. Histoire vraie.

Steephill Castle sur l'île de Wight
LE SIGNE DU RÊVEHISTOIRE VRAIE
Dans un chemin creux de l'île de Wight un grand vieil abbé et un petit garçon blond, un Écossais, butaient contre le vent. Par-dessus les talus on ne voyait d'un côté que les vols de corbeaux sur les landes, et, de l'autre, que les mouettes hautes sur la mer.Le vent sifflait à ras des ajoncs et genêts. Le vent remontait le chemin creux, chargé de tous les bruits sauvages de la mer. Il refoulait le martèlement du galop emballé qui n'arriva que soudainement dans les remous des sons. L'abbé eut juste le temps de pousser Yves sur le talus et d'y grimper lui-même.Le cheval noir s'arrêta net, sans que la dame semblât lui tuer sur le mors. Derrière elle, l'alezan de l'écuyer se cabrait dans un giclement de terre et de cailloux.— Mon Dieu, j'aurais pu vous tuer!La dame se pencha vers Yves, les brides lâchées sur le col de sa bête.— Petit Écossais blond, je t'ai fait peur.— Je n'ai pas peur.Yves dégringolait du talus. — Je n'ai jamais peur et je ne suis pas Écossais. Je suis Breton.— Alors Français, reprit la dame, en l'autre langue.— Non, Breton, protesta Yves, glengarry à la main ; je suis du Morbihan.Le cheval tout fumant piaffait. Sans serrer les rênes, la dame le calma.— Eh bien, petit Breton, que fais-tu si loin de chez toi? Elle avait une masse de cheveux noirs sur la nuque, un visage blanc et mat, et de profonds yeux inquiets. Yves ne pouvait que la regarder.L'abbé répondit, enchanté de parler la seule langue qu'il connût :— Nous sommes ici en visite chez la grand'mère de cet enfant. Et vous, madame, vous êtes sans doute Française ?— Non, fit-elle. Elle dit à Yves :— Enfant du Morbihan, comment as-tu volé tes cheveux aux rayons de lune?Elle souriait. Elle n'était pas jeune ; trop de choses démentaient la jeunesse sur son visage. Mais son sourire avait un éclat dont Yves se souviendrait toujours.— Je vais te revoir, petit garçon aux cheveux de lune. Je tiens à savoir si tu n'es pas seulement un enfant que j'ai rêvé. A bientôt. Monsieur l'abbé, ne laissez pas votre élève m'oublier.Elle relança son cheval en un galop fou. L'écuyer eut peine à la suivre. Yves et M. l'abbé continuèrent dans le chemin creux.— Monsieur l'abbé, vous avez vu comme elle est belle? Vous avez vu comme elle est étrange? Elle a dit : « A bientôt, » n'est-ce pas?
Il parla d'elle tout au long de son sommeil, très avant dans la nuit.Le lendemain, sa mère le fit venir au salon après le déjeuner et lui dit :— Tu vas faire seul une très grande visite. C'est un secret, cette visite, personne ne doit savoir.Il partit dans la Victoria avec M. l'abbé. Il savait qu'il allait chez la dame. Le trajet se fit en silence, entre les haies aux baies rouges. La voiture tourna à gauche, prit une avenue où sous les roues bruirent les feuilles d'automne, et s'arrêta devant une maison de briques roses. L'abbé resta dans la voiture. On conduisit Yves à travers le grand hall carré.Le déclin du jour dorait la petite pièce. Il y avait un feu de ces bûches de pommier qui flambent si clair. La dame était assise au coin du feu, son profil volontaire dessiné en ligne d'or. Sans se détourner, elle tendit sa main vers Yves, une main longue et fragile, aux veines bleues. Elle le fit asseoir vis-à-vis d'elle sur un tabouret, de l'autre côté du feu. Elle lui apparaissait dans le contrejour, ses cheveux comme une sombre et lourde couronne. Une robe noire étalait autour de ses pieds sa traîne bordée de plumes d'autruche.Elle regarda Yves très longtemps sans rien dire. Dans l'attente, Yves se racontait les histoires des fées du Morbihan, toujours mélancoliques en leurs châteaux ensorcelés ; on suit la reine jusqu'au fond des forêts, de la mer, et plus loin que l'horizon. Avec les mêmes mots de ces histoires, s'oubliant, il dit tout à coup :— ... jusqu'au pays que le coeur désire.— Comment, petit garçon, que sais-tu du coeur et du désir?Yves se trouva très gêné. Mais la dame ne le questionna plus. Elle ouvrit son éventail noir et le mit en écran entre elle et le feu. Alors elle lui parla sans qu'il comprît, mais l'impression devait lui en rester et s'approfondir avec les années. Elle parla des grands espaces, des océans, des déserts, des landes sous le vent. Elle parla de rapidité, de sabots de chevaux, de voiles, d'ailes. Elle parla de la solitude, des sommets des montagnes, des abris des forêts. Sa voix avait une cadence.Yves pensait combien elle était belle et combien il l'aimait. Mais des fourmis montaient dans ses petites jambes tranquilles. Tout à coup elle ferma son éventail. Elle dit :— Si le coeur désire des bonbons, il y a quelque chose pour toi sur la table, là, à côté du paravent.Elle montrait une grande corbeille de chocolats, attachée avec des rubans bleus. Il y avait aussi une photographie d'elle, ses splendides cheveux dénoués sur ses épaules ; à l'angle du bas, une signature : Elisabeth. Il y avait encore une boîte de dominos. Ils jouèrent plusieurs parties jusqu'au goûter. On alluma les lampes.Elle parla des mamans qui aiment leurs petits garçons. Puis, abîmée dans quelque vision, elle parla d'un petit garçon devenu homme, que sa mère perdait dans une seule nuit, dont l'horreur, dont la pauvre petite tristesse ne s'effaceraient jamais de l'histoire du monde.— Et maintenant, adieu, Yves.Elle se leva, très belle dans sa longue robe noire. Puis elle fit un geste curieux. Ses cinq doigts joints, elle lui toucha le front une fois, deux fois, trois fois, de ses doigts glacés.— Je t'ai signé pour le rêve, dit-elle. Va-t'en vite, enfant qui as volé tes cheveux aux rayons de lune. N'oublie jamais que j'ai fait sur ton front le signe du rêve.
Peu d'années après, elle était assassinée. L'oiseau noir et tous les augures de sa race l'avaient prévenue. Mais le rendez-vous était fixé, là, sur le quai de Genève. Cette mort entoura Yves comme d'un crépuscule.Il avait parcouru nombre de pays et d'années, quand son chemin l'amena au pays de l'impératrice. Il allait en pèlerinage aux lieux qui gardaient d'elle un souvenir, quelque chambre intacte qu'elle avait occupée, des objets dont elle s'était servie.Au palais de Schoenhrunn, un vieux gardien lui récitait, monotone, quelques dates, quelques faits. Il devint un jour plus sympathique devant l'émotion inattendue du visiteur. Il lui confia :— J'étais son écuyer favori. Je l'ai suivie en Bretagne, en Irlande, à l'île de Wight. Monsieur a quelque chose d'anglais. Connaît-il l'île de Wight? Je me souviens d'un petit garçon que Sa Majesté aimait bien. Elle m'en parlait souvent. Elle me disait qu'il avait des cheveux rayon de lune.
HELEN MACKAY.
Une histoire publiée dans le Revue hebdomadaire du 17 juillet 1937

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