Un article de Younss Fejaoui, rédigé dans le cadre des travaux de recherche menés au sein de l’IAE de Toulouse, aborde la problématique du leadership d’opinion sur Internet sous un angle universitaire. L’occasion de revoir les fondamentaux d’un e-influenceur.
Le concept de “leader d’opinion” émerge dans les années 50 avec les travaux du sociologue américain Paul Lazarsfeld. Il a notamment mis en évidence l’influence des cercles familiaux, d’amis et de collègues sur les décisions de votes lors des présidentielles américaine de 1940. Grand connaisseur de l’influence des média, il est néanmoins convaincu de la prééminence des relations interpersonnels dans la construction des opinions. Pour la petite histoire, Lazarsfeld a même collaboré avec l’OSS faute de crédits de recherche suffisants.
Pour caractériser l’activité du leader d’opinion, Lazarsfeld suggère que “quelques individus ont un niveau d’implication plus élevé pour des catégories de produits que d’autres et sont plus expressifs de leurs opinions aux autres”. L’influenceur fait donc autorité par sa présence intensive sur les média sociaux et/ou par ses connaissances dans un domaine d’expertise précis.
- Les statistiques des riverains de rue89 vont dans le sens de ce constat de présence, bien que l’on soit en dehors de la sphère marchande. En effet, 10% des riverains représentent 80% des commentaires postés. A ce titre, ils peuvent être considérés comme les leaders d’opinion politiques du site car ils occupent massivement le terrain informationnel. Au-delà de leur capacité à produire un argumentaire étayé et donc convaincant, ils tirent leur influence de la surreprésentation de leurs opinions. On retrouve des chiffres similaires dans le ‘social technographics report‘ de Forrester; ce qui me pousse à croire que, quelque soit le média social, la dynamique participative suit des règles grosso modo identiques [ 10% purs producteurs, 10% critiques périphériques, 80% observateurs plus ou moins réguliers ].
- Pour ce qui concerne l’expertise, on observe typiquement ce phénomène de leadership lorsqu’un coiffeur intervient sur un site communautaire féminin, un charpentier sur un forum de construction ou un conseiller patrimonial sur un forum d’assurance. Ils sont systématiquement sur-sollicités par les autres membres et leur opinion est rarement remise en question. Et pour avoir une idée de l’audience concernée, il suffit de jeter un oeil à la cartographie des forums les plus actifs réalisée par Christophe Druaux et d’observer que la grande majorité des produits de consommation font l’objet de critiques sur ces espaces.
Son autorité est d’autant plus grande que son opinion est considérée comme une source d’info non-commerciale. Les membres d’une communauté viennent donc s’adresser à un leader d’opinion pour se soustraire du poids de la publicité. L’anonymat joue également un rôle désinhibiteur dans certains cas. Pour reprendre les propos de Engel dans l’article, “ceux qui sont influencés utilisent la recherche d’opinion comme réducteur de risque dans le processus de prise de décision”; le risque étant de se faire avoir par le discours commercial et de ne pas être satisfait de son achat.
Pour revenir sur le leadership dans les média sociaux, Burt apporte un éclairage supplémentaire en considérant le leader d’opinion “comme un courtier d’opinion « opinion broker », transportant l’information à travers les frontières entre les groupes. Cette influence exercée par le leader d’opinion, dépendra de sa position et de son degré de « centralité » au sein du groupe, et la force des liens qui joignent les membres du réseau.” Il joue donc le rôle d’apporteur d’information et constitue un maillon essentiel de la chaîne virale en colportant les opinions d’un site à un autre. On pourrait transposer la notion de “centralité” abordée par l’auteur en analysant le net-linking d’un blog par exemple pour en déduire sa visibilité, son influence et sa capacité à faire circuler une information auprès de différentes populations d’internautes.
Dans la pratique, si l’on tient compte de ces réflexions, la 1ère chose à faire sera de suivre les conseils de Brian Solis en observant “intelligemment” les dynamiques de leadership propres à son entreprise pour en dresser une cartographie. Ensuite, l’enjeu d’une stratégie d’influence efficace sur le net sera:
- Soit de parvenir à créer un lien de confiance entre l’entreprise et le leader d’opinion pour devenir une source d’informations crédible ou en intégrant son expertise dans une création de produit ou service. Pour un tour operator par exemple, profiter des connaissances et de la notoriété d’un blogeur voyageur pour lui proposer de contribuer à la conception de voyages.
- Soit de court-circuiter son autorité en s’immiscant directement dans les conversations des membres influencées par ce dernier. Cette technique aura pour effet indirect de remettre en question son niveau d’expertise et de fédérer les opinions autour de son entreprise. Dans le débat sensible du nucléaire sur Internet, Areva a réalisé une belle opération de ce type avec le site Parlons.en.
En conclusion, Younss rappelle “l’importance de la prise en considération de la notion de communauté virtuelle au sein d’une stratégie marketing, et ce, en adoptant une vision structurée autour du concept du leadership d’opinion. La complexité des réseaux sociaux la composant, le jeu d’influence marquée qui s’y exerce avec des contours « virtuels » difficilement perçus, ainsi que son incontestable contre-pouvoir”.