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Maigret, Simenon et Magritte

Publié le 02 mars 2022 par Alexcessif
Maigret, Simenon et Magritte
Maigret Sans masqueQuel bonheur!Pas vraiment le film mais la salle obscure.Pas de "je n’aime pas Depardieu ganagagna, je n’aime pas Leconte gnagnagna" … J’y suis allé sans à priori. Page blanche, balles neuves, que j’aime ou pas ces gens, ils ont fait leurs preuves et correctement leurs métiers (aïe déjà un jugement de valeur et une contradiction ou une prétérition, ce doit être mon côté féminin) pourtant il est difficile de ne pas voir une mise en abyme entre ce Jules Maigret en fin de carrière et l’acteur désabusé. J’ai regretté la couleur au début mais j’ai vite pigé qu’elle était nécessaire à l’image du corps sanguinolent "de la jeune fille morte" rouge Ripolin ou Picasso, Paloma Picasso déclenchant la dernière enquête avant la retraite du commissaire. Modulée sur un spectre sobre en couleurs la photo est en guest dans le casting du film. Elle sublime la langueur et l’état d’âme de ces êtres bouffés par leur métier, terrifiés par le vide qui les attend. Ensuite, la couleur s'estompe discrètement en sfumato de peinture italienne qui convient assez bien à la Seine du quai de la Tournelle. Elle devient plus proche de ce noir et blanc si nostalgique vers Passy embrumé, un crépuscule square de l'Alboni et place du Costa Rica. J'ai regardé ce film comme je lisais Simenon il y a très longtemps (mais pas celui qui a servi de prétexte au film). La construction est très classique, chronologique, l’intrigue progresse lentement à la façon lémurienne de se mouvoir de Depardieu. Je dis Depardieu et pas Maigret car la caméra s’attarde sur sa silhouette, son ambulation claudicante avec transfert des masses d’un pied sur l’autre, sa terreur des escaliers qui fait de son interprétation une incarnation plutôt qu’une composition. Sinon, Paris est filmé de façon nostalgique, raccord avec la reconstitution des bistros, rues, objets et ambiance de l’époque, sans doute crédible, mais très spéculative de ma part puisque je n’ai pas connu le Paris de ces années là. Je la situe vaguement entre 1945 et 55 car il n’y a pas de moto qui m’aurait permis la datation. La mobylette, pour moi c'est le carbone 14 de l'archéologue). Je n’ai pas lu ce "Maigret et la jeune fille morte" disais-je, mais le scénario du film truffé de clichés, cette provinciale naïve à l’outrance, ces rêveurs "qui montent " à Paris et ces déçus qui peinent à en redescendre. Décrite comme une oie blanche désargentée, vêtue d'une robe de grand couturier, ce dress code permettant son intrusion dans une réception guindée dans un dessein incompréhensible. Parvenant à troubler, de sa seule présence, le monde de l’argent, par nature dénué de scrupules, habité de personnages cyniques pour qui l’être humain n’est qu’un élément du dispositif de leurs divertissements, est assez indigeste en termes de stéréotypes, mais j'ai marché puisqu'à chaque film il convient d'adopter la suspension temporaire de la crédulité sinon on passe à coté du même Depardieu chez Bertrand Blier marié à Carole Bouquet avec Josiane Balasko pour maitresse* . Entre autres poncifs, il y a le personnage joué par cette admirable et intemporelle actrice (merci à la maquilleuse) Aurore Clément en mère matricielle, caricaturale, fusionnelle d'un fils dénaturé gardant "des gestes barrières" avec une belle fille vénale et manipulatrice. Il faut se laisser aller à l’indulgence et au plaisir de l’image sans sombrer dans l’ennui. Comme chez Bergman, à filmer la lassitude on obtient la lassitude et Leconte y parvient très bien. Est-ce de l’art, du talent ou de la fumisterie … Ça parle, aussi et beaucoup, de pipes avec les dialogues sobres de Simenon d’un Maigret renonçant au tabac pour raisons de santé et retrouvant sa chère pipe l’enquête conclue ponctuant son sevrage, la reprenant des mains maladroites de son adjoint qui ne sait pas s’en servir. J'ai imaginé le message subliminal du bon vivant pressé de mourir avant une retraite mortelle dans un appartement sinistre et une relation conjugale sans bouffarde. J’ai aimé cet humour subtil aux antipodes du mien, que je reconnais de et à Simenon, du double emploi docteur de Maigret/médecin légiste et l’habileté de Leconte séparant, mais pas trop, ces deux plans entre le praticien des vivants sauveur des poumons de Maigret et le légiste des défunts ouvrant ceux de la victime.Subtilité aussi ce clin d’œil de Leconte à la Belgique de Magritte et de Simenon faisant dire à Maigret qui lève sa pipe comme on lève un verre dans le bureau du juge d'instruction vertueux, coincé et anti tabac le morigénant:     "- Ceci n’est pas une pipe, Monsieur le juge!"Ceci n'est pas une critique!* " Trop belle pour toi"

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