Jour(s) de pluie

Il pleuvait

J’étais porte de Chatillon un matin de novembre. Pieds nus! Elle était pieds nus, elle s’est approchée, j’ai ouvert ma vitre. L’odeur du malheur et de la misère m’a submergé de honte. Je n’avais pas de pièce, je le savais mais j’ai ouvert ma vitre par réflexe. Elle a sourit puis s’est dirigé vers la voiture suivante. Le feu vert m’a libéré et je me suis dirigé vers la première station service. Je n’avais pas besoin de carburant, j’avais besoin de dissimuler au fantôme féminin sur le siège passager vide cette boule dans la gorge, cet étau dans la poitrine, ce direct à l’estomac que je venais d’encaisser. J’ai mis quelques litres de SP 95 dans le réservoir et me suis dirigé vers la caisse et un sachet de fraises Tagada*. Du sucre, vite ! J’étais en hypoglycémie. Sans doute avais - je ma dose de cette misère qui nous pète à la gueule à chaque feu tricolore des rues de Paris. J'ai "oublié" la jeune femme aux pieds nus me résignant à l'acceptation des inégalités d'un mauvais tirage génétique. Ce n'était pas la première fois que j'acceptais les injustices et mon impuissance à les corriger. Après tout, cette fausse charité n'était rien d'autre que le signe déiste d'un ego démesuré croyant être responsable d'un vaste Tout mais le syndrome de Zorro me tenaillait certains jours plus que d'autres. Par manque de sucre, sans doute Jour de pluie bis. A quelques jours de là et quelques centaines de mètres* Porte d’Orléans à chaque feu de l’intersection des Maréchaux et de l’avenue du G. Leclerc, mendigots, mendigotes tendent la menotte aux automobilistes. Ils sont TOUS pieds nus. Une autre émotion m’envahit : la colère ! A moins que la Halle aux Chaussures n’ait pas leur pointure, il y a visiblement une stratégie de l’émotion, un profiteur metteur en scène d’une compétition du remplissage de sébile à la conjonction de la météo et de la pitié. Un réseau. Comme « on » mutilait des enfants pour émouvoir le chrétien aux portes de l’église de la cour des miracles, la charité est un bizness comme un autre. Seul le profit compte, pas les scrupules. Ni Hugo ni Zola à l’horizon mais la réalité, violente, sèche, frontale. La vie se passe sur un ring et je suis dans les cordes subissant ses uppercuts, la face cachée derrière mes petits poings serrés et impuissants. Le chaland à pieds ou en bagnole est la cible du marketing ignoble de l’affect. Le taux de pitié ressentie est proportionnel à la générosité de l’aumône augmenté de la culpabilité d’avoir les pieds au sec.Je me souvins de ma rencontre avec mon premier roumain un petit matin du siècle dernier quelques mois après la chute de Ceausescu. Il s’est approché, a dessiné un cœur sur mon pare brise. Je venais de traverser la Garonne par le pont Saint Jean dans les dispositions émotionnelles de l’amour d’après de la femme de la rive droite que je ne reverrai jamais rive gauche de ma vie. C’était inédit – le roumain, pas la rupture- la mendicité de pare brise était inexistante aux feux rouges bordelais et d’ailleurs. J’avais lâché une grosse pièce et beaucoup d’automobilistes dans l’émotion post rupture avec une Magali avaient dû faire de même car, quelques mois plus tard, des cohortes venues de l’est prenaient le café au Mac Do de tous les Lormont de France avant d’embaucher au rond point des Quatre Pavillons, la célèbre timbale en carton de l’empoisonneur américain en sébile improvisée. J’imaginais - Que la misère était contenue toute entière derrière le mur de Berlin, - Que mon roumain était rentré au pays fortune faite- Qu’il avait racheté son village - Qu’il avait crée son entreprise embauchant quelques congénères constitutifs d’un réseau pour faire le boulot à sa place. Une délocalisation que fera plus tard Renault dans l’autre sens pour fabriquer ses Dacia.Ainsi que l’affirmait Oscar Wilde "Faites la charité vous entretiendrez la misère !"* Il y aura un truc à gagner à celle qui donnera le nombre de zeugme dont j'abuseJ’aimeCommenterPartager