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Montane Lapland Artic Ultra : 500 km au coeur du cercle polaire

Publié le 21 mars 2022 par Pascal Boutreau

PB - IMG_4885Petit recyclage du papier paru dans L'Equipe (papier ==> ICI) au retour d'un joli voyage du côté de la Laponie suédoise "Heart of Lapland" à l'occasion d'une course dingue sur le cercle polaire. La version parue étant un peu rabotée, je vous glisse ci-dessous la version complète ! D'autres parutions sont à venir sur Wider. 

Le Roumain Tiberiu Useriu a remporté samedi la première édition du Montane Lapland Artic Ultra, une épopée de 500 km au cœur de la Laponie suédoise. Un succès obtenu après plus de 6 jours à tracter sa pulka à travers la région du « Heart of Lapland » sur les lacs et les rivières, pris dans la glace, et au plus profond des forêts du cercle polaire.

Un chemin éclairé par la danse de virevoltantes aurores boréales, des pistes tracées sur des rivières et des lacs pris depuis plusieurs mois dans une glace épaisse et pour seul compagnon le bruit sourd du craquement de chacun des pas dans la neige. Pendant six, sept… et parfois même dix jours, les 36 participants (18 nationalités) de la première édition du Montane Lapland Artic Ultra ont vécu une expérience extrême. Après un peu plus de six jours, Tiberiu Useriu fut le premier à boucler les 500 km de ce défi. Le Roumain de 48 ans, venu de Bistrita, en Transylvanie, a déjà traversé d’autres déserts. Ceux de l’Alaska bien évidemment où il a remporté trois fois de suite (2016, 2017, 2018) la « Yukon Artic Ultra », course de 300 miles (483 km) disputée dans des températures extrêmes, souvent en-dessous des -30°, parfois même proche des -50, épreuve organisée comme la Montane Lapland Artic Ultra par l’Allemand Robert Pollhammer. Mais surtout ceux d’une vie. Condamné à 23 ans de prison alors qu’il n’a que 25 ans (peine réduite à 13 ans), pour vol à main armée, tentative de meurtre et deux évasions, il a passé finalement près de dix ans seul dans une cellule d’une prison allemande. Il en est sorti en 2010 et a écrit un livre, son histoire : « 27 pas ». Comme la distance qu’on lui permettait de parcourir chaque jour hors de sa cellule. C’est là, dans ces rares moments hors des murs qu’il s’est pour la première fois imaginé courir. Dans de grands espaces. Forcément.

En Suède, il a devancé Kevin Lehay, un Irlandais de 37 ans. Lui aussi est un habitué de ces déserts blancs. En février dernier, il a remporté cette fameuse Yukan en version pédestre (Jessie Gladish fut la première à franchir la ligne d’arrivée, en fat-bike). Une nouvelle édition hors normes où ils ne furent que 4 à boucler la distance.

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Pour cette première édition suédoise, pas de grand froid. A peine -12° au cœur de la nuit et même parfois des températures positives en pleine journée. L’épreuve n’en devient pas pour autant plus « facile » avec une humidité omniprésente, compagne permanente des coureurs. Une humidité parfois plus redoutée que le froid. Celle qui se fige sur les vêtements, trempe les chaussures et provoque les ampoules. « Avec des températures relativement clémentes, on transpire beaucoup, explique Luc Atgé, seul Français au départ et finisher après 8 jours d’effort (11e). Du coup, les vêtements sont tièdes et à leur contact, la neige fond. On a le sentiment d’être toujours mouillé. Même quand on dort. On met les fringues dans le sac de couchage pour essayer de les sécher… mais c’est compliqué. Essayez de dormir avec une serpillère froide collée contre vous ! » Et pourtant, après quelques heures de repos, dans un gymnase à un check-point, ou au bord d’une piste, posés sur la neige et emmitouflés dans un sac de couchage, tous, ou presque, repartent. Avec souvent l’obligation de mettre les raquettes ou les chaines pour ne pas s’enfoncer dans la neige ou glisser sur la glace. Et toujours cette pulka à trainer dans cette neige fraiche qui vient freiner la trace. A l’intérieur, tout le matériel de sécurité, de quoi dormir en pleine nature quand le checkpoint est trop éloigné, des tenues de rechange et le ravitaillement. La nourriture, un des points essentiels pour espérer réussir. Le Français a emporté avec lui des plats concoctés par son ami Simon Scott, chef étoilé basé à Castres. Un peu de luxe au milieu d’une nature d’une extrême brutalité. Étonnant contraste.  

Au fil des kilomètres parcourus sur ces glaces de « Heart of Lapland » (« Cœur de la Laponie » suédoise), la lutte entre le corps et l’esprit devient implacable. « C’est une succession de hauts et de bas, explique Luc Atgé. À un instant tu avances, tu te dis, ouah je suis une bête et cinq minutes après tu te dis que tu es la plus grosse merde qu’on n’ait jamais vue. À un moment, la douleur n’est juste qu’une information. Il faut savoir ce que l’on veut… Ces douleurs, les ampoules, tout ça, ça fait partie du business… Parfois, comme lors de la terrible montée en début de course, c’est un peu l’enfer. Dans ces moments là, il faut ruser avec son mental. » 

PB - Luc Atgé FRA
Au ravitaillement, les bénévoles sont là, bienveillants, attentifs. Pléonasme. Bien sûr, il y a la soupe, le plat chaud, les mots et les regards, tous réconfortants, apaisants. Mais plus encore que sur d’autres épreuves, ici on veille sur la santé des coureurs. Obligation de montrer ses pieds, ses mains, de prouver que le corps, même s’il est meurtri, est capable de repartir sans mettre en péril le coureur. Les températures relativement clémentes de cette première édition ont limité les risques de graves gelures. Néanmoins, impossible de repartir sans le feu vert de l’organisation.

Dans son ouvrage « La plus secrète mémoire des hommes », Prix Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr affirme que chaque individu est à la recherche de « sa question ». Ici, quelque part sur un lac gelé ou au cœur d’une forêt où quelques élans sortent parfois une tête observer ces drôles d’équipages, tous partagent la même, la plus élémentaire, la plus essentielle. La plus mystérieuse aussi. « Pourquoi ? » « Souvent, tu te dis mais pourquoi je fais cette course stupide, confie l’Américain Russ Reinbolt. Je suis fatigué, j’ai faim, j’ai soif, j’ai mal aux jambes, je veux dormir… Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Toutes les réponses, tu les trouves au bout du chemin. » Un chemin, plus qu’une course. « Ok, il y a un classement, poursuit Russ dont l’entraînement s’est résumé à tirer un pneu sur la plage de San Diego. Mais on ne se bat pas avec les autres, on se bat avant tout contre soi. Il y a les paysages fantastiques, les aurores boréales, tous ces gens formidables qui veillent sur nous, mais il y a surtout ce défi personnel. » Premier à boucler les 500 km, mais en fat-bike (3 au départ, 2 à l’arrivée), l’Allemand Florian Reitenberger partage la même philosophie. « Même si ça fait plaisir, gagner n’a aucune importance, explique-t-il. Dans une telle aventure, la motivation c’est de vivre tous ces instants, immergé au cœur de cette nature. Tu apprends tellement de choses sur toi. » Un autre point commun entre tous : l’humilité, valeur indispensable pour affronter ces grands espaces. Pas question ici de se prendre pour un surhomme ou pire encore pour un héros. Luc Atgé résume l’état d’esprit de la plupart des participants : « C’est pas extraordinaire, faut juste être un peu fou. »

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Le 184 km remporté par la Suissesse Michaela Senft

Une distance de 184 km, avec 9 coureurs au départ, était également au programme de cette première édition de la Montane Lapland Artic Ultra. Pour sa première participation sur ce type d’épreuve, la Suissesse Michaela Senft, habituée des ultratrails, l’a emporté en un peu plus de deux jours, devançant de quatre heures le Néerlandais Olivier Vriesendorp, premier homme de la course, et l’Autrichien Ben Clayton-Jolly. 


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