Joel Williams, Armando Elizondo, Jessica Niles, Jasmin Delfs, figuranteCrédit photo Wilfried Hösl
Women power au théâtre Cuvilliés, la femme est partout aux commandes, sur scène comme au pupitre, avec la cheffe lituanienne Giedrė Šlekytė qui dirige pour la première fois une nouvelle production à Munich et celle de la française Marie-Eve Signeyrole, bien connue dans son pays d'origine et qui signe sa première production au Bayerische Staatsoper.
Titulaire d'un master de cinéma, réalisatrice et auteure-metteure en scène et souvent très politique, Marie-Eve Signeyrole donne une relecture de l'opéra de Haydn en utilisant tous les atouts de sa formation. La burletta per musica de Haydn était à l'origine un opéra burlesque très lisible, rapidement mené avec des paysans toscans du 18ème siècle, des situations comiques et une structure légère. Signeyrole voit la chose autrement : elle ne considère pas l'infidélité déçue du titre comme le thème principal de l'opéra mais fait son fer de lance de la lutte contre la domination masculine du système patriarcal, un système à la structure hiérarchique dans lequel les femmes ne jouissent d'aucune indépendance financière et sont soumises à l'autorité du père et du mari. Les mariages sont arrangés, la violence domestique fait la loi, toute déviance est interdite, ainsi du tabou de l'homosexualité féminine. Considérant la portée des jeux de masques de Vespina au deuxième acte, la metteure en scène a décidé d'approfondir cet aspect de l'œuvre et de pousser à l'extrême le motif de l'inversion des rôles entre les sexes. Elle fait de Nanni une femme et la relation amoureuse de Nanni et Sandrina devient une relation lesbienne. Et le rôle de Nanni, habituellement interprété par une basse, est confié à la très prometteuse mezzo-soprano cubano-américaine Emily Sierra. L'action est déplacée au 20ème siècle et se déroule dans le cadre d'un internat pour jeunes filles, un milieu coercitif très surveillé fermé au monde réel qui vise à former des épouses parfaites et soumises. Mais les pensionnaires de cet établissement se permettent d'enfreindre le règlement très strict d en se travestissant pour se livrer à des jeux bouffons avec changements de rôles sexuels, en écrivant des journaux intimes ou en se livrant aux délices de l'amour lesbien. Une des pensionnaires est en possession d'une caméra et filme en plans rapprochés les activités illicites de ses compagnes ou des passages de leurs journaux intimes en cours de rédaction, des vidéos retransmises en direct sur un grand écran qui surplombe la scène. Elle filme aussi en métaphore les évolutions d'une souris blanche, enfermée comme les pensionnaires dans une cage et qui finit par en sortir lorsqu'on lui en donne l'ouverture. À ces vidéos viennent s'adjoindre des scènes tournées dans une caserne, autre lieu soumis à une stricte discipline. Pour figurer le décor de ce pensionnat, Fabien Teigné s'est inspiré de la maison Brunet, aussi appelée la maison aux 365 fenêtres, un immeuble du quartier de La Croix-Rousse à Lyon construit en 1810. Pour construire cette maison, Brunet avait voulu représenter en cet édifice marqué du signe du temps les divisions de l'année. Dans la mise en scène, la reproduction des fenêtres toutes identiques est aussi à comprendre comme le signe du régime autoritaire qui veut tout ordonner selon un même moule, ainsi des lits alignés et des tables et des lampes de chevet tous identiques, un ordre que les jeunes filles s'appliquent à désarticuler dès que la mère supérieure a le dos tourné. Le deuxième acte poussera ce désordre au paroxysme, avec des travestissements encore plus délirants et une scène de plus en plus encombrée et chaotique. Au final, on le sait, l'amour triomphe et les couples d'origine, que le père de Sandrina avait voulu désunir, peuvent finalement se marier, avec, sans doute pour la première fois dans l'histoire des mises en scène de cet opéra de Haydn, la représentation d'un mariage lesbien. Le propos est constamment militant. Les personnages féminins se glissent dans la peau et le vêtement des hommes pour mieux démonter leurs stratégies et dévoiler leurs turpitudes, dont l'appât du gain facile n'est pas le moindre. Malmenées et surveillées, souvent battues par leurs pères, les jeunes femmes finissent par prendre le dessus grâce à leurs ruses et à leur intelligence.En raison de la profusion des moyens utilisés et l'abondance de détails qui rendent le deuxième acte de plus en plus difficilement compréhensible, la mise en scène est en porte-à-faux avec la partition de cet opéra à la composition légère et transparente: cinq interprètes, une ouverture en quintette, cinq airs, un duo et une finale pour chacun des deux actes. La direction musicale enthousiaste de Giedrė Šlekytė nous entraîne dans un tourbillon sonore qui réjouit les sens, avec un orchestre aux cordes splendides et aux attaques précises. Les chanteurs de l'Opera Studio réussissent un travail d'équipe remarquable et excellent tous dans le jeu théâtral sans s'emmêler les pinceaux dans les complexités de la mise en scène ni dans l'encombrement de la scène. La soprano Jessica Niles séduit en Sandrina, avec un soprano précis aux résonances claires et d'un beau métal argenté, elle maîtrise particulièrement bien son grand exercice de colorature du deuxième acte. Emily Sierra relève avec bravoure le défi de créer le rôle de Nanni au féminin, avec beaucoup de tendresse dans l'expression des affects amoureux. Jasmin Delfs fait preuve d'un grand art de la scène en Despina.Le ténor Armando Elizondo campe Filippo, le père de Sandrina, avec une autorité pleine de suffisance et une froideur méprisante qui convient bien au personnage. Sa présence scénique est impressionnante. En contraste, le ténor Joel Williams déploie un ténor beaucoup plus chaleureux. Son travesti en drag queen novice du deuxième acte est des plus réussis. On sort de la représentation enchantés de la musique et de la découverte des nombreux jeunes talents de l'Opéra Studio.Prochaines représentations au théâtre Cuvilliés de Munich les 23, 24, 27 et 29 mars 2022. Places restantes (cliquer sur le lien).