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Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 406

Publié le 14 avril 2022 par Antropologia

La photo que je ne prendrai pas

Le love shop, (le sex shop des riches) est le « concept » à la mode dans les rues commerçantes et s’expose avec une note d’arrogance. Celui-ci en particulier qui, empruntant les codes de l’art contemporain, le néon, affiche ces quelques mots sur sa vitrine : « Soyons libres de toucher, sentir, vibrer, aimer ». Les verbes apparaissent en colonne, figurant une liste de possibles. Le graphisme moderne et la lumière blanche et crue masquent à peine par des aspects formels un message creux.

Assises au sol invariablement chaque jour, juste au-dessous de ce néon, deux personnes qu’il est encore une fois impossible de catégoriser. (Est-ce nécessaire ? Manquons-nous de mots ?) Un couple, habillé tout en noir, accompagné d’un gros chien, noir lui aussi. Elle est très maigre, son visage est bouffi, un peu violacé, marqué, mot qui dit, tout en ne disant rien, qui suggère et ouvre un champ de possibles. Elle a des mèches claires dans sa chevelure brune, ce qui suppose un passage chez le coiffeur. Lui est grand, les cheveux mi-longs et brillants, barbu ; il dégage une certaine douceur de hippie. Ils semblent étrangers au monde qui les entoure, donnant à voir l’intimité d’un couple qui converse paisiblement dans son salon. Sauf que le salon en question est ce bout de trottoir dans la rue la plus commerçante et passante de la ville. Mais c’est surtout une place de choix, jouxtant une boulangerie très fréquentée.

Ils semblent ne pas avoir conscience du message qui les surplombe, les winners en haut, les loosers en bas. La scène figure le yin et le yang de deux mondes qui se croisent mais s’ignorent.

Colette Milhé


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