Magazine Bons plans

La Griselda de Vivaldi au Teatro Malibran de Venise

Publié le 09 mai 2022 par Luc-Henri Roger @munichandco

La  Griselda de Vivaldi au Teatro Malibran de Venise

Michela Antenucci (Costanza)

Compte-rendu de la représentation du 8 mai 2022

La Fenice a poursuivi son parcours consacré à la redécouverte des opéras de Vivaldi en présentant La Griselda, un opéra que le " Prêtre roux " (il Prete rosso) a composé en 1735 et qui avait été créé au Teatro Grimani de San Samuele le soir du 18 mai de cette année. L'histoire de Griselda avait inspiré de nombreuses créations au début du 18e siècle au départ du livret qu'en avait tiré Zeno : l'opéra de Vivaldi était au moins le onzième du genre qu'on eut alors joué en Italie ou en Autriche.

Le livret de Zeno s'inspire essentiellement de la dernière nouvelle de la dixième journée du Décaméron de Boccace, qui donne un exemple de fidélité conjugale presque indéfectible de la protagoniste envers son mari, un être dont la cruauté ne connaît pas de borne lorsqu'il s'agit de mettre la fidélité de sa femme à l'épreuve : le noble Gualtieri, qui a épousé un jeune femme de condition modeste, se voit reprocher ce mariage morganatique par son peuple. Pour éprouver la constance de son épouse, il la soumet aux pires supplices mentaux : il prétend avoir fait assassiner leurs deux enfants : sa fille aînée, puis leur fils puyné; il prétend ensuite répudier sa femme et vouloir épouser une jeune femme de plus haute condition. Griselda accepte toutes les décisions de son mari avec une abnégation et une vertu qui confinent à la sainteté. Elle ne cède pas davantage à la tentation amoureuse qui se manifeste sous la forme de l'entreprenant Ottone, éperdument amoureux de Griselda. Elle cède la place à Costanza la nouvelle épouse de son mari, qui n'est en fit autre que leur propre fille, qui s'est en fait promise à Roberto. Tout est bien qui finit bien, la vertu triomphe et se voit récompensée. Griselda retrouve ses deux enfants et sa place légitime de femme mariée.

Le metteur en scène Gianluca Falaschi, qui est à la fois le scénographe et le costumier de la production, a voulu s'attaquer aux positions extrémistes du patriarcat machiste aux yeux duquel il va de soi que la femme n'est qu'un objet sexuel dont la place est aux soins ménagers, à la cuisine et à la couture, un sujet qui porte en lui le lourd poids de toute sa signification moralisante. Dans le livret de Zeno, cette apparence présente des failles : Gualtiero n'est pas exempt de remords lorsqu'il soumet son épouse aux pires des cruautés. En ramenant l'action au 20e siècle,  Falaschi a voulu montrer l'actualité du thème de l'oppression féminine : ainsi au début de l'opéra, Griselda et quatre de ses compagnes, installées en file devant d'anciennes machines à coudre placées sur des pieds en fonte, s'occupent à des travaux de couturières surveillées par des hommes qui n'hésitent pas à les harceler sexuellement et à les rudoyer avec mépris. Le décor du premier acte est celui d'une grande salle aux parois vitrées translucides qui laissent deviner la forêt avoisinante. Plus tard, on est dans la forêt où une société se retrouve le soir pour la danse et le marivaudage, mais la fête tourne court et on assiste à des scènes d'alcoolisme et de viol. La maltraitance féminine est constamment présente. Et le personnage de Gualtiero, même s'il est parfois animé de remords, n'en reste pas moins un macho abject. Le metteur en scène stigmatise le système qui permet à ce type de relation, hélas toujours actuel, d'encore exister. La mise en scène fort stylisée du premier acte prend couleur et vie lorsque l'action se déplace dans une forêt à laquelle les beaux éclairages de Fabio Barettin et d'Alessandro Carletti donne des allures de forêt enchantée.

Éminent spécialiste de la musique baroque, exégète renommé de la musique de Vivaldi, le chef suisse Diego Fasolis conduit avec minutie et précision la vingtaine de musiciens chevronnés de l'orchestre du théâtre La Fenice en ménageant d'heureux effets, en excellent connaisseur qu'il est de l'acoustique de la salle du théâtre Malibran. Il réussit à rendre tant les équilibres que la fantaisie de cet opéra de Vivaldi sous-tendu de commedia dell'arte, une musique qui rend bien compte de la sensibilité qu'avait le compositeur pour la condition féminine opprimée de son époque.

La  Griselda de Vivaldi au Teatro Malibran de Venise

Kangmin Justin Kim (Ottone)

Le rôle titre est interprété avec finesse et nuance par la mezzo-soprano suédoise Ann Hallenberg, qui avait déjà enregistré Farnace avec le maestro Fasolis. Elle interprète Griselda de sa voix mélodieuse avec une puissance d'expression exceptionnelle et de belles ornementations, sans jamais forcer le trait de la tristesse ou de la colère mais toujours en harmonie avec la profonde modestie de son personnage. Le rôle de Gualtiero nous a semblé difficile à interpréter, tant l'outrance et la prépotence du personnage sont devenues aujourd'hui difficile à soutenir. Le ténor Jose Navarro Colorado, qui avait déjà pratiqué le rôle à l'Irish National Opera et faisait ses débuts à la Fenice, s'en tire avec les honneurs. Sa grande stature et son maintien élégant l'aident à composer un Gualtiero un peu perdu dans ses contradictions, avec un beau timbre aux couleurs légèrement sombres qui fut apprécié dès son premier grand air "Se ria procella sorge dall’onda".  Le contre-ténor américano-coréen Kangmin Justin Kim devint dès ses premières vocalises dans le rôle d'Ottone le centre d'attention de la soirée. Avec cela un de jeu de scène pirouettant et sautillant d'une énergie et d'une légèreté peu commune, un vrai feu follet. Certains se souviendront peut-être qu'en 2011 il avait parodié l'interprétation par Cecila Bartoli d' "Agitata da due venti", le grand air de Costanza, sans doute l'air le plus fameux de La GriseldaKim avait alors enflammé la toile avec une  vidéo postée sur YouTube sous le pseudonyme de Kimchilia Bartoli. Kim y est confondant de justesse dans l'imitation. Son Ottone est stupéfiant avec une voix intrépide d'une agilité exceptionnelle capable de rapides sauts d'octaves, sautant des sommets de l'aigu dans des graves abyssaux. Son interprétation et son jeu scénique l'ont propulsé au rang d'étoile de la soirée.  Antonio Giovannini, le second contre-ténor, qui interprète Roberto, s'en tient davantage au seul registre d'un aigu très pointu. Son personnage est sans doute le moins complexe de l'opéra, aussi l'a-t-il rendu dans une uniformité d'une belle constance. La jeune Michela Antenucci, qui a gagné en assurance au long de la soirée, a récolté des applaudissements nourris pour son interprétation de Costanza. Elle fait preuve d'une technique précise, la voix est resplendissante. Vers la fin du troisième acte (scène 5), son "Ombre vane, vani orrori", emporte l'admiration. Enfin, le rôle en pantalons  de Corrado est fort bien tenu par la mezzo italienne Rosa Bove qui joue les intrigants habiles à déjouer les aléas de l'intrigue.

Distribution 
Orchestre de La Fenice
Chef d'orchestre Diego Fasolis
Directeur, décors et costumes Gianluca Falaschi
Lumières Alessandro Carletti et Fabio Barettin
Dramaturgie Mattia Palma
Gualtiero   Jorge Navarro Colorado
Griselda     Ann Hallenberg
Constance Michela Antenucci
Roberto     Antonio Giovannini
Brass         Kangmin Justin Kim
Corrado     Rosa Bove
https://www.teatrolafenice.it/
Crédit photographique © Michele Crosera

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Luc-Henri Roger 35935 partages Voir son profil
Voir son blog