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Triathlon de Deauville : Chronique d’un abandon annoncé

Publié le 22 juin 2022 par Pascal Boutreau

IMG_0381Après avoir écrit les quelques lignes qui vont suivre (ok, il y a beaucoup de lignes mais je ne sais pas faire court), il a fallu trouver un titre. Celui qui m’est d'abord venu naturellement était « Chronique d’un échec annoncé ». Je ne l’ai pas gardé. Il n’était pas juste. Abandonner au 132e km de ce Triathlon de Deauville, distance full (en gros 3,8 km de natation, 180 km de vélo et un marathon pour finir) n’est pas un échec. Je précise d'entrée qu'en ce week-end où les températures ont atteint des sommets, la chaleur n'est en aucun cas une excuse car ces fortes chaleurs ne m'ont jamais perturbé. J'aurais même tendance à aimer ça... Alors certes, je n’aurai pas (pour le moment) ma 8e médaille de finisher sur Ironman après (dans l’ordre chronologique), Roth (ALL), Nice, Taupo (NZL), Zurich, FrenchMan (Landes), EmbrunMan et ChtriMan (Nord). Ok, je n’aurai pas le tee-shirt non plus. Et alors ?

Ce triathlon, cela faisait plusieurs jours, voire même quelques semaines que je ne le sentais pas. J’adore l’événement superbement organisé (j’y ai couru deux fois le Longue Distance et une fois le Distance olympique), j’adore les paysages du Pays d’Auge et j’adore l’ambiance pendant tout le week-end. Pourtant, cela ne suffisait pas à me « mettre dedans ».

Physiquement d’abord. Le Bordeaux-Paris de fin mai (38h58 pour les 650 bornes) a incontestablement laissé beaucoup beaucoup plus de traces que je ne l’avais imaginé. D’une façon assez vicieuse. Pas de blessure, pas de trop grosses douleurs (si à 53 ans tu n’as pas mal quelque part, c’est que tu es mort), mais aucun jus. Des footings pathétiques tant sur l’allure que sur les sensations, une sortie vélo d’à peine 110 bornes avec l’impression d’arriver au bout de ma vie à la moindre côte, une fatigue permanente. Deux jours avant la course, une contracture sur l’ischio gauche est apparue sans aucune explication. Aucun des fameux feux n’était au vert.

Mentalement, ce n’était pas vraiment mieux. Pas d’envie, un esprit qui refuse de se caler sur les agréables moments au programme (joli parcours, ambiance etc.) et préfère se focaliser sur les aspects négatifs (super longues transitions sur la plage à la sortie de l’eau – 800 m - en raison de la marée basse, parcours du marathon pas fun avec 8 boucles à enchainer etc.). Là encore, l’usure mentale liée au Bordeaux-Paris, tant sur la préparation que pendant la course, est j’en suis convaincu la raison principale de ce mauvais état d’esprit. Le mental a énormément donné il y a quelques semaines et n’était clairement pas prêt à remettre ça.

Pourtant, pas question de me priver de Deauville et de ne pas prendre le départ. D'autant plus que c'est la première fois que je vais porter le maillot du Tri Team Saint-Germain. Passage en mode « on verra bien, sur un malentendu, ça peut passer ». Mais en me faisant la promesse que je ne ferai pas n’importe quoi non plus.

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6h30, départ natation et déjà une bonne section de course sur la plage avant d’entrer dans l’eau. Les lunettes prennent l’eau car pas assez serrées… une erreur de débutant (ce n’est pas comme si je faisais du triathlon depuis 20 ans…). La concentration n’est pas là. A peine une boucle sur les trois au programme et je m’ennuie déjà. J’essaie de me concentrer sur le beau lever de soleil et la magnifique lumière que j’aperçois à chacune de mes respirations sur la droite. C’est une de mes recettes mentales : dès qu’une idée sombre apparait, vite la remplacer par quelque chose de positif. Ça ne marche pas trop mal. Je sors de l’eau en 49e position sur un peu plus de 120 partants et même 4e de ma catégorie. Le chrono n’est pas terrible par rapport à ce que j’ai déjà réalisé (1h15’ à la sortie de l’eau avant la transition de 800 m dans le sable) mais comme ma montre indique un peu plus de 4000 m, ce n’est pas si mal. Place au vélo.

Mauvaise surprise dès la sortie du parc, mes vitesses ne passent pas. Youpi, je vais pouvoir abandonner et avoir une excuse mécanique ! Un peu trop facile. Un premier arrêt pour jeter un œil sur le dérailleur. Problème, la mécanique et moi, nous ne nous sommes jamais compris. Je pourrais regarder le truc des jours, je ne trouverais pas la solution. Je repars sur quelques kilomètres et m’arrête à nouveau. Petit plateau ok, mais petit pignon, ça ne va pas être possible longtemps avec les côtes à venir (1600 m de D+ quand même au programme). Nouvelle tentative de réparation. C’est beau de croire aux miracles. Je trifouille, je farfouille mais la perspective de rentrer beaucoup plus vite que prévu se profile… Allez, dernière tentative, avec la bonne vieille méthode des deux grosses baffes dans le dérailleur, et devinez quoi… ça marche ! Le miracle se produit. À cet instant je veux y voir un signe. Si j’ai réussi à réparer un truc (ok, c'est un coup de bol), c’est que la journée va peut-être être meilleure qu’imaginée. C’est reparti avec un moral (presque) tout neuf. Le paysage est magnifique. J’adore. Mais j’ai déjà dû épuiser mon quota de miracles pour la journée. Dès que la route s’élève un peu, les jambes entament illico un mouvement de grève. Une grève radicale. Sans discussion, sans la moindre négociation envisageable. Des montées de 3 ou 4% et je suis déjà tout à gauche... (pour les non initiés vélo, tout à gauche, c'est quand on est sur la vitesse où on mouline le plus). Ça commence à sentir la fin.

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Un petit mot pour remercier tous les bénévoles postés aux intersections depuis des heures, encore quelques kilomètres mais la décision est prise. Au mieux, je rejoins le parc à vélos et je clos cette histoire. Arrivé au ravitaillement de Beuvron-en-Auge, au km 132, je trouve l’endroit parfait pour y attendre la voiture balai. De toute façon, vu mon allure et le nombre de participants qui m’ont déjà doublé, je ne vais pas l’attendre trop longtemps. Le village est magnifique avec ces maisons typiquement normandes. Dommage, je n’ai pas mon téléphone pour faire des photos. Je reviendrai.


Retour sur Deauville… en voiture. Juste parfait. La vie est belle. C’est l’anniversaire de Philippe, le conducteur. 68 ans ! On parle bénévolat, engagement associatif et de plein de choses. Sur les planches, beaucoup courent déjà. Sincèrement, en voir certains se trainer me conforte dans l’idée que j’ai fait le bon choix. Je n’arrive pas à les envier. J’ai tenu ma promesse (avec moi-même) de ne pas faire n’importe quoi. Je ne vois pas où j’aurais pu trouver un peu de plaisir en continuant. Le sport ne doit pas être un chemin de croix. Pas dans la vision de ma pratique. Je suis soulagé. J’ai essayé de ne pas entendre ce que mon corps me disait, mais j’ai fini par l’écouter.

Le corps n’était pas là. Le mental non plus. Ma caisse à outils qui m’a si souvent permis de terminer des épreuves était cette fois trop limitée. Le navire prenait l'eau de partout. Trop de fuites à colmater. D’ordinaire, une de mes « astuces » mentales est par exemple de décomposer la journée et de faire en sorte de ne pas l’aborder dans sa globalité. On nage et on verra ensuite. On roule et on verra ensuite. On court… et ce sera fini. Souvent, la partie marathon est elle-même décomposée en plusieurs parties. Se projeter sur un petit segment pour éviter de se faire peur. Je recommande d’ailleurs la même technique dans la vie « tout court » notamment dans les périodes où les ennuis s’accumulent. On en règle un premier et on verra ensuite… On en règle un deuxième et on verra ensuite… Là aussi, ça évite de penser qu’on n’y arrivera jamais.

Impossible de mettre la méthode en place à Deauville. Dès la natation, je pensais marathon. Sur le vélo, je pensais marathon. Sur le marathon… ah bah non je ne l’ai pas commencé. Le marathon et la perspective de cette boucle de 5 bornes à répéter huit fois. Trop. Trop pour moi ce jour-là.

Mais il y a plein d’autres jours à venir. Ce retour au stand prématuré doit servir de socle à l’avenir. Il est aussi une illustration de nombreux aspects que je faisais semblant de ne pas voir. On ne récupère pas à 53 ans comme on récupérait à 30. Sans une hygiène de vie plus sérieuse (perte de poids notamment... va falloir arrêter la mayo avec les frites... voire même les frites), j’aurai de plus en plus de mal à boucler des épreuves un peu exigeantes. Sans un peu plus d’humilité non plus. A force de faire de longues courses, j’ai fini par les banaliser. À croire qu’il suffisait de prendre le départ pour aller chercher la médaille et le tee-shirt. Seules les nouvelles distances, toujours plus longues, ont réussi ces dernières années à me faire mettre en place de véritables préparations. Erreur. Un marathon, ça se respecte, un Ironman, ça se respecte. Si vous ne le faites pas, ils vous le font payer. À Deauville, j’ai arrêté suffisamment tôt pour que l’addition ne soit pas trop salée. Cela permet de me projeter sur la suite. Dans l’immédiat, la seule option possible est celle du repos. Du repos et une reprise en main de certaines choses. Je ferai un état des lieux dans quelques jours ou quelques semaines. On verra ensuite…


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