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Le Peuple Juif et ses Saintes Écritures dans la Bible Chrétienne - 2

Publié le 11 août 2008 par Walterman
 INTRODUCTION 

 

1. Les temps modernes ont amené les chrétiens à mieux prendre conscience des liens fraternels qui les unissent étroitement au peuple juif. Au cours de la deuxième guerre mondiale (1939-1945), des événements tragiques ou, plus exactement, des crimes abominables ont soumis le peuple juif à une épreuve d'extrême gravité, qui menaçait son existence même dans une grande partie de l'Europe. En ces circonstances, des chrétiens n'ont pas manifesté la résistance spirituelle qu'on était en droit d'attendre de disciples du Christ et n'ont pas pris les initiatives correspondantes. D'autres chrétiens, par contre, sont venus généreusement en aide aux Juifs en danger, au risque souvent de leur propre vie. A la suite de cette tragédie immense, la nécessité s'est imposée aux chrétiens d'approfondir la question de leurs rapports avec le peuple juif. Un grand effort de recherche et de réflexion a déjà été accompli en ce sens. La Commission Biblique Pontificale a entrepris de s'associer à cet effort dans la mesure de sa compétence. Celle-ci ne lui permet évidemment pas de prendre position sur tous les aspects historiques ou actuels du problème; elle se limite au point de vue de l'exégèse biblique, dans l'état actuel des recherches. 

La question qui se pose est la suivante: quels rapports la Bible chrétienne établit-elle entre les chrétiens et le peuple juif? A cette question, la réponse générale est claire: entre les chrétiens et le peuple juif, la Bible chrétienne établit des rapports multiples et très étroits, et cela pour une double raison, d'abord, parce que la Bible chrétienne se compose, en majeure partie, des « Saintes Écritures » (Rm 1,2) du peuple juif, que les chrétiens appellent « l'Ancien Testament »; ensuite, parce que la Bible chrétienne comprend, d'autre part, un ensemble d'écrits qui, exprimant la foi au Christ Jésus, mettent celle-ci en relation étroite avec les Saintes Écritures du peuple juif. Ce second ensemble, on le sait, est nommé « Nouveau Testament », expression corrélative d'« Ancien Testament ». 

L'existence de rapports étroits est indéniable. Un examen plus précis des textes révèle, toutefois, qu'il ne s'agit pas de relations toutes simples; elles présentent, au contraire, une grande complexité, qui va de l'accord parfait sur certains points à une forte tension sur d'autres. Une étude attentive est donc nécessaire. La Commission Biblique s'y est consacrée ces dernières années. Les résultats de cette étude, qui, assurément, ne prétend pas avoir épuisé le sujet, sont présentés ici en trois chapitres. Le premier, fondamental, constate que le Nouveau Testament reconnaît l'autorité de l'Ancien Testament comme révélation divine et ne peut se comprendre sans sa relation étroite avec lui et avec la tradition juive qui le transmettait. Le deuxième chapitre examine alors de manière plus analytique la façon dont les écrits du Nouveau Testament accueillent le riche contenu de l'Ancien Testament, dont ils reprennent les thèmes fondamentaux, vus à la lumière du Christ Jésus. Le troisième chapitre, enfin, enregistre les attitudes très variées que les écrits du Nouveau Testament expriment au sujet des Juifs, imitant d'ailleurs en cela l'Ancien Testament lui-même. 

La Commission Biblique espère contribuer ainsi à faire avancer le dialogue entre chrétiens et Juifs, dans la clarté et dans l'estime et l'affection mutuelles. 


I.
LES SAINTES ÉCRITURES DU PEUPLE JUIF
PARTIE FONDAMENTALE
DE LA BIBLE CHRÉTIENNE 

2. C'est avant tout par son origine historique que la communauté des chrétiens se trouve liée au peuple juif. En effet, celui en qui elle a mis sa foi, Jésus de Nazareth, est un fils de ce peuple. Le sont également les Douze qu'il a choisis « pour qu'ils soient avec lui et pour qu'il les envoie prêcher » (Mc 3,14). Au commencement, la prédication apostolique ne s'adressait qu'aux Juifs et aux prosélytes, païens associés à la communauté juive (cf Ac 2,11). Le christianisme est donc né au sein du judaïsme du Ier siècle. Il s'en est détaché progressivement, mais l'Église n'a jamais pu oublier ses racines juives, clairement attestées dans le Nouveau Testament; elle reconnaît même aux Juifs une priorité, car l'évangile est « une force divine pour le salut de quiconque a la foi, du Juif d'abord, ainsi que du Grec » (Rm 1,16). 

Une manifestation toujours actuelle de ce lien d'origine consiste dans l'acceptation, par les chrétiens, des Saintes Écritures du peuple juif comme Parole de Dieu qui leur est adressée à eux aussi. L'Église, en effet, a accueilli comme inspirés par Dieu tous les écrits contenus dans la Bible hébraïque ainsi que dans la Bible grecque. Le nom d'« Ancien Testament », donné à cet ensemble d'écrits, est une expression forgée par l'apôtre Paul pour désigner les écrits attribués à Moïse (cf 2 Co 3,14-15). Son sens a été élargi, dès la fin du IIe siècle, pour l'appliquer à d'autres Écritures du peuple juif, en hébreu, araméen ou grec. Quant au nom de « Nouveau Testament », il provient d'un oracle du Livre de Jérémie qui annonçait une « nouvelle alliance » (Jr 31,31) expression qui devenait, dans le grec de la Septante, « nouvelle disposition », « nouveau testament » (kainē diathēkē). L'oracle annonçait que Dieu projetait d'établir une nouvelle alliance. La foi chrétienne, avec l'institution de l'eucharistie, voit cette promesse réalisée dans le mystère du Christ Jésus (cf 1 Co 11,25; He 9,15). En conséquence, on a appelé « Nouveau Testament » un ensemble d'écrits qui expriment la foi de l'Église dans sa nouveauté. A lui seul, ce nom manifeste déjà l'existence de rapports avec « l'Ancien Testament ».

A. Le Nouveau Testament reconnaît l'autorité des Saintes Écritures du peuple juif 

3. Les écrits du Nouveau Testament ne se présentent jamais comme une complète nouveauté. Ils se montrent, au contraire, solidement enracinés dans la longue expérience religieuse du peuple d'Israël, expérience enregistrée sous diverses formes en des livres sacrés, qui constituent les Écritures du peuple juif. Le Nouveau Testament leur reconnaît une autorité divine. Cette reconnaissance d'autorité se manifeste de bien des manières, plus ou moins explicites. 

1. Reconnaissance implicite d'autorité 

Pour partir du moins explicite, qui est cependant révélateur, notons d'abord l'emploi d'un même langage. Le grec du Nouveau Testament dépend étroitement du grec de la Septante, qu'il s'agisse des tournures grammaticales influencées par l'hébreu ou du vocabulaire, surtout du vocabulaire religieux. Sans une connaissance du grec de la Septante, il est impossible de saisir exactement le sens de beaucoup de termes importants du Nouveau Testament.4 

Cette parenté de langage s'étend naturellement à de nombreuses expressions empruntées par le Nouveau Testament aux Écritures du peuple juif et elle aboutit au phénomène fréquent des réminiscences et des citations implicites, c'est-à-dire de phrases entières reprises dans le Nouveau Testament sans indication de leur nature de citations. Les réminiscences se comptent par centaines, mais leur identification prête assez souvent à discussion. Pour donner à ce sujet l'exemple le plus significatif, rappelons ici que l'Apocalypse ne contient aucune citation explicite de la Bible juive, mais est un véritable tissu de réminiscences et d'allusions. Le texte de l'Apocalypse est tellement imprégné d'Ancien Testament qu'il devient difficile de distinguer ce qui est allusion et ce qui ne l'est pas. 

Ce qui est vrai de l'Apocalypse l'est aussi — à un moindre degré assurément — des évangiles, des Actes des Apôtres et des épîtres.5 La différence est que, dans ces autres écrits, on trouve en outre de nombreuses citations explicites, c'est-à-dire introduites comme telles.6 Ces écrits signalent ainsi ouvertement les plus importants de leurs emprunts et manifestent par là qu'ils reconnaissent l'autorité de la Bible juive comme révélation divine. 

2. Recours explicite à l'autorité des Écritures du peuple juif 

4. Cette reconnaissance d'autorité prend diverses formes selon les cas. On trouve parfois, dans un contexte de révélation, le simple verbe legei, « il (ou: elle) dit », sans sujet exprimé,7 comme, plus tard, dans les écrits rabbiniques, mais le contexte montre alors qu'il faut sous-entendre un sujet qui donne au texte grande autorité : l'Écriture ou le Seigneur ou le Christ.8 D'autres fois, le sujet est exprimé: c'est « l'Écriture », « la Loi », ou « Moïse » ou « David », dont on note qu'il était inspiré, ou « le prophète », souvent « Isaïe », quelquefois « Jérémie », mais c'est aussi « l'Esprit Saint » ou « le Seigneur », comme le disaient les oracles prophétiques.9 Matthieu a deux fois une formule complexe, qui indique en même temps le locuteur divin et le porte-parole humain: « ce qui fut dit par le Seigneur au moyen du prophète qui dit: ... » (Mt 1,22; 2,15). D'autres fois, la mention du Seigneur reste implicite, suggérée seulement par le choix de la préposition dia, « au moyen de », pour parler du porte-parole humain. Dans ces textes de Matthieu, l'emploi du verbe « dire » au présent a pour effet de présenter les citations de la Bible juive comme des paroles vivantes, dont l'autorité est toujours actuelle. 

Au lieu du verbe « dire », le mot employé pour introduire les citations est très souvent le verbe « écrire » et le temps, en grec, est le parfait, temps qui exprime l'effet permanent d'une action passée: gegraptai, « il a été écrit » et donc désormais « il est écrit ». Ce gegraptai a beaucoup de force. Jésus l'oppose victorieusement au tentateur, sans autre précision une première fois: « Il est écrit: Ce n'est pas seulement de pain que vivra l'homme... » (Mt 4,4; Lc 4,4), en ajoutant un palin, « par contre », la deuxième fois (Mt 4,7) et un gar, « car », la troisième fois (Mt 4,10). Ce « car » rend explicite la valeur d'argument attribuée au texte de l'Ancien Testament, valeur qui était implicite dans les deux premiers cas. Il peut arriver qu'un texte biblique n'ait pas une valeur définitive et doive céder la place à une disposition nouvelle; le Nouveau Testament emploie alors l'aoriste grec, qui situe la déclaration dans le passé. Tel est le cas de la loi de Moïse concernant le divorce: « C'est en rapport avec votre dureté de cœur que [Moïse] écrivit (egrapsen) pour vous ce commandement » (Mc 10,5; cf aussi Lc 20,28). 

5. Très souvent, le Nouveau Testament utilise des textes de la Bible juive pour argumenter, aussi bien avec le verbe « dire » qu'avec le verbe « écrire ». On trouve parfois: « Car il dit... » 10 et plus souvent: « Car il est écrit... ».11 Les formules « car il est écrit », « parce qu'il est écrit », « selon qu'il est écrit » sont très fréquentes dans le Nouveau Testament; dans la seule épître aux Romains, on les trouve 17 fois. 

Dans ses argumentations doctrinales, l'apôtre Paul s'appuie constamment sur les Écritures de son peuple. Paul met une nette distinction entre les argumentations scripturaires et les raisonnements « selon l'homme ». Aux argumentations scripturaires il attribue une valeur incontestable.12 Pour lui, les Écritures juives ont également une valeur toujours actuelle pour guider la vie spirituelle des chrétiens: « Tout ce qui a été écrit auparavant l'a été pour notre instruction, afin que par la persévérance et l'encouragement des Écritures nous possédions l'espérance ».13 

A une argumentation basée sur les Écritures du peuple juif, le Nouveau Testament reconnaît une valeur décisive. Dans le IVe évangile, Jésus déclare à ce propos que « l'Écriture ne peut être abolie » (Jn 10,35). Sa valeur vient de ce qu'elle est « parole de Dieu » (ibid.). Cette conviction se manifeste continuellement. Deux textes sont particulièrement significatifs à ce sujet, car ils parlent d'inspiration divine. Dans la 2e Lettre à Timothée, après une mention des « Saintes Lettres » (2 Tm 3,15), on trouve cette affirmation: « Toute Écriture est inspirée de Dieu (theopneustos) et utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli, bien équipé pour toute œuvre bonne » (2 Tm 3,16-17). Parlant plus précisément des oracles prophétiques contenues dans l'Ancien Testament, la 2e Lettre de Pierre déclare: « Avant tout, sachez-le: aucune prophétie d'Écriture n'est objet d'interprétation individuelle, car ce n'est pas d'une volonté humaine qu'est jamais venue une prophétie, mais c'est poussés par l'Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 P 1,20-21). Ces deux textes ne se contentent pas d'affirmer l'autorité des Écritures du peuple juif; ils indiquent dans l'inspiration divine le fondement de cette autorité.

(4) Citons, par exemple, angelos, « messager » ou « ange », ginōskein, « connaître » ou « avoir des relations avec », diathēkē, « testament » ou « pacte », « alliance », nomos, « législation » ou « révélation », ethnē, « nations » ou « païens ». 

(5) Dans l'évangile selon Matthieu, par exemple, on compte 160 citations implicites et allusions; 60 dans l'évangile selon Marc; 192 dans l'évangile selon Luc; 137 dans l'évangile selon Jean; 140 dans les Actes; 72 dans l'épître aux Romains, etc. 

(6) 38 citations en Matthieu; 15 en Marc; 15 en Luc; 14 en Jean; 22 en Actes; 47 en Romains et ainsi de suite. 

(7) Rm 10,8; Ga 3,16; He 8,8; 10,5. 

(8) Sujets sous-entendus: l'Écriture (Rm 10,8; cf 10,11), le Seigneur (Ga 3,16: cf Gn 13,14-15; He 8,8: cf 8,8.9), le Christ (He 10,5). 

(9) Sujets exprimés: « l'Écriture » (Rm 9,17; Ga 4,30), « la Loi » (Rm 3,19; 7,7), « Moïse » (Mc 7,10; Ac 3,22; Rm 10,19), « David » (Mt 22,43; Ac 2,25; 4,25; Rm 4,6), « le prophète » (Mt 1,22; 2,15), « Isaïe » (Mt 3,3; 4,14; etc.; Jn 1,23; 12,39.41; Rm 10,16.20), « Jérémie » (Mt 2,17), « l'Esprit Saint » (Ac 1,16; He 3,7; 10,15), « le Seigneur » (He 8,8.9.10 = Jr 31,31.32.33). 

(10) Rm 9,15.17; 1 Tm 5,18. 

(11) Mt 2,5; 4,10; 26,31; etc. 

(12) 1 Co 9,8; Rm 6,19; Ga 3,15. 

(13) Rm 15,4; cf 1 Cor 10,11.


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