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Sarkozy à Moscou et en Géorgie

Publié le 11 août 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Mardi, 12 Août 2008 00:25

Que veut vraiment le Kremlin ?

L'éditorial Relatio-Europe de Daniel RIOT

Jusqu'où Poutine (puisque c'est lui qui visiblement  mène le bal) veut-il aller ? Quel est son but secret ? A quelles conditions acceptera-t-il de cesser les combats ? Ces trois questions parmi d'autres obsèdent les diplomates européens, notamment ceux qui entourent Sarkozy et Kouchner dans leur « mission impossible » de trouver une « sortie de crise » qui ne soit pas qu'une pause bien courte dans cette « guerre des mots et des mortiers », comme dit Kouchner... en oubliant les avions, les bateaux et les missiles (en réserve, pour l'instant heureusement).

C'est une partie extrêmement serrée que va jouer aujourd'hui Nicolas Sarkozy lors de ses déplacements (confirmés) à Moscou et à Tbilissi. Non seulement, il se heurte au mur russe, mais il doit tenir compte des pressions américaines et des dissensions au sein des 27.

Sarkozy dispose d'un atout: Angela  Merkel le soutient pleinement, ce qui compte beaucoup aux yeux des Russes. La France et l'Allemagne avaient fait bloc lors du dernier sommet de l'OTAN, à Bucarest, pour rejeter un « plan d'action » pour une adhésion de l'Ukraine te de la Géorgie. Poutine a apprécié.

Comme il apprécie que le réalisme dont le Président français fait preuve en matière de Droits de l'Homme. Voilà longtemps qu'il ne suit plus la « ligne Glucksmann » en Tchétchènie et ailleurs, il est vrai.

Sarkozy dispose aussi de très bonnes cartes géopolitiques. Paris, en dépit de son rapprochement avec la diplomatie américaine, reste un champion d'une gouvernance multipolaire du monde et un « ami de la Russie ». L'Union européenne joue sur nombre de problèmes (nucléaire iranien compris) un rôle qui tient compte des positions russes. Il est dommage que les événements de Géorgie, sur lesquels Paris ne porte aucun jugement moral jusqu'ici et n'instruit aucun procès anti-russe (contrairement aux Américains) retardent la perspective paneuropéenne dégagée en juin par Medvedev.

Le "traité de sécurité pan-européen" que proposait Moscou  mettrait de facto la Russie sur un pied d'égalité avec l'UE et l'OTAN à propos des questions stratégiques touchant à l'avenir du continent.... Le Kremlin aurait tort de décevoir les Occidentaux (les Européens, en particulier)qui ont vu dans cette proposition une ton « constructif »  

Mais Sarkozy a un point faible...qui ne vient pas de lui. Les pressions et les suppliques « occidentales » laissent les dirigeants russes de glace.

C'est le Président géorgien qui s'est lancé dans une aventure à très haut risque. Sans avoir la fronde et la foi de David. Et c'est le même Président qui a perdu. Le vainqueur veut consolider sa victoire, militaire, politique et stratégique, avant de se montrer magnanime. Et de se conduire en partenaire du G7, de l'OTAN, de l'Union européenne.

Ce qui est vrai c'est que :

>>> Taxer la Russie d' « impérialisme à la soviétique » est une réponse-réflexe, non le résultat d'une froide analyse. Moscou ne veut pas se laisser « encercler », enfermer stratégiquement. Et les Russes le montrent concrètement. Après l'avoir dit et redit fortement. Rappel de quelques lignes rouges dangereuses...Moscou découvre les vertus (et les vices ) des guerres dites préventives, à l'image de ce que prétendent faire les Américains ces dernières années...

>>>Les Russes ont besoin de stabilité dans l'ensemble du  Caucase pour « avoir la paix » dans ses propres régions caucasiennes, à commencer par la Tchétchénie sous la botte. Surtout à proximité de cette région de SOCHI où se préparent déjà activement les JO d'hiver de 2010

>>> Indirectement Moscou avertit aussi...la Moldavie alors que de nouvelles et graves tensions apparaissent en Transnistrie, cette région russophone et séparatiste  moldave. La Russie refuse depuis des années de retirer ses troupes de cette enclave, où un conflit avait éclaté en 1992. Les pressions faites sur le Kremlin pourraient bien diminuer...

>>>L'occasion est trop belle pour la Kremlin de rééquilibrer à son avantage sinon le rapport  ou du moins la répartition des forces dans son « étranger proche » et sur les routes du pétrole et du gaz qui échappent à son contrôle. La Mer Noire (qui est l'une des frontières de l'Union européenne) reste   notamment  une zone « intouchable ». Vieille obsession moscovite de l'accès aux mers « chaudes ».

>>> En mobilisant  plusieurs navires de la flotte russe de la mer Noire, qui mouille à Sébastopol, en Ukraine, Moscou rappelle  qu'il ne sera pas simple d'obtenir - comme le réclame Kiev - le départ de cette force navale en 2017, à l'expiration de son bail.

>>>Poutine veut sinon empêcher du moins retarder l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie et montrer au Pentagone et surtout au futur locataire de la Maison Blanche que les Russes ne bluffent pas quand ils menacent les Américains de répondre aux défis stratégiques qu'ils leur lancent, notamment avec le « bouclier » anti-missile qui va être installé en Pologne et en Tchéquie.

>>> Les Russes ( un rapport de la CIA privée américaine, le cabinet de conseil Stratfor, le met bien en relief) trouvent une situation qui lui permet d'atteindre plusieurs buts en même temps. 

*La Russie   montre que son armée est capable de réussir rapidement des opérations sur des terrains difficiles,  ce dont doutaient beaucoup d'analystes étrangers. De fait, il s'agit de la première action d'envergure russe à l'étranger depuis...l'invasion de l'Afghanistan. Les bombardements de la Géorgie ouvrent un nouveau chapitre dans l'histoire du « postsoviétisme ».

*La Russie prouve  qu'elle peut s'imposer face aux troupes armés par les USA et entraînées, encadrés, par des conseillers américains (ils sont plus d'un millier dans le pays, sans compter quelque 3000 « mercenaires » recensés par les services russes!). Les protégés des Américains devraient en tenir compte. De quoi faire réfléchir quelques dirigeants européens qui se font des illusions sur le parapluie troué de l'Oncle Sam. En cela Moscou pourrait faire le jeu des partisans d'un Europe...européenne. Mais le Kremlin cherche surtout à avertir ceux qui sont tentes par des surenchères aventuristes...

*Elle montre que les Etats-Unis et l'OTAN ne sont pas pour les anciens pays de l'URSS des boucliers aussi efficaces que les opinions publiques et les responsables « occidentalisés » le pensent...Sérieux coups de canifs dans la crédibilité de l'Oncle Sam. Déjà les Géorgiens dénoncent leur abandon. Come en ...1921

*Elle affaiblit l'Union européenne en mettant indirectement en relief les divergences qui empêchent l'Union d'avoir une vraie géostratégie envers la Russie

Ce qui n'est pas juste, c'est :

>>>De croire que la Russie a des visées expansionnistes entre Caspienne et Mer Noire. Autant elle voudrait limiter « l'occidentalisation » de ses voisins ukrainiens et géorgiens, autant elle refuse que l'OTAN la considère comme un ennemi numéro Un, autant elle ne souhaite pas reconstituer l'URSS et « mettre le grappin » sur d' anciens pays satellites. Elle a des priorités de développement intérieur, notamment dans sa partie asiatique non des visées impériales recouvrées. Elle veut se renforcer et non s'élargir.

>>>De penser que la Russie souhaite que l'Ossétie et l'Abkhazie deviennent indépendants. Un conseiller de Relatio-Europe résume :  

« Moscou a conscience des risques de contamination des séparatismes dans le Caucase Nord, celui qui est sur son territoire. Leur fermeté face à la Géorgie est aussi un avertissement aux indépendantistes qui se manifestent en Russie même et qui risque de prendre des formes d'expressions très violentes, « terroristes », dit Poutine. Les dirigeants russes se servent stratégiquement des autonomismes exacerbés de Géorgie, mais ils reconnaissent en privé avoir quelques contradictions, d'être dans une position ambivalente. Ils soutiennent en Ossétie des séparatismes qu'ils condamnent chez eux. La vraie  raison de  leur opposition à l'indépendance du Kosovo dans les Balkans est à chercher dans le Caucase plus que dans leur soutien traditionnel à la Serbie. Les Russes connaissent encore mieux que les Européens de l'Ouest les effets pervers de la mégalomanie des petits... » 

Ce qui est incertain, ce sont :

--- Les méthodes que le Kremlin veut et peut utiliser pour obtenir l'établissement d'une sorte de zone de neutralité à ses frontières. Cette zone, on le sait bien au Conseil de l'Europe et à l'OSCE,  comprendrait  Kaliningrad, la Biélorussie, la Moldavie, et l'ensemble du   Caucase. Mais avec quelles méthodes ?

--- Les volontés russes  d'obtenir la tête de Saakachvili. Certes, l'ascension politique de Mikheil Saakachvili a toujours été décrite par Moscou comme « le résultat d'un complot américain dans sa traditionnelle sphère d'influence ». N'oublions pas que c'est en réaction à son élection qu'un embargo avait été décrété par la Russie contre la Géorgie. Mais l'opposition intérieure géorgienne ne faisait que croître contre le Président qui  décevait les démocrates. Saakachvili serait tombé tout seul. Les réflexes nationalistes l'ont plutôt conforté. Pour l'instant.

--- Le dessein russe (mis en relief à Washington, mais démenti à Moscou) de faire tomber le régime géorgien. Pour le remplacer par quoi ? L'intérêt de Moscou, c'est d'améliorer les relations russo-géorgiennes non de trouver une « marionnette » au service du Kremlin. La Russie a su améliorer ses relations avec d'autres pays sans ingérences

--- Les forces d'interposition, « de paix », que la Russie pourrait accepter dans cette région. Les Américains se sont disqualifiés. Et à travers eux l'OTAN aussi. Mais l'Union européenne paye l'assimilation qui est faite entre l'UE et l'OTAN. Il est vrai que les « Occidentaux » en matière de défense agissent comme si le Pacte de Varsovie existait encore. Il est tout de même regrettable que ce soit Moscou qui ait demandé une réunion extraordinaire OTAN-RUSSIE (qui se tient ce mardi). L'OTAN n'aurait-elle pas pu prendre cette initiative dès jeudi soir ou vendredi ?

Autant dire que les entretiens que Sarkozy va avoir aujourd'hui à Moscou et à Tbilissi s'annoncent difficiles. Une vraie épreuve du feu...

Daniel RIOT

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