par Sergio Beraldo
L’idée de donner un revenu inconditionnel à chacun, qu’il « soit riche ou pauvre, vive seul ou avec d’autres, veuille travailler ou non » (Van Parijs P., What’s wrong with a Free Lunch – Ce qui ne va pas dans le déjeuner gratuit, Boston : Beacon Press, 2000) remonte au XVIIIe siècle français et en particulier à certains de ses théoriciens, tels Mably ou Condorcet.
On peut trouver de très bonnes raisons en faveur de cette idée, et elles attireraient sans doute l’attention dans le spectre politique. L’idée de donner un revenu de base à tous les citoyens a prouvé qu’elle intéressait non seulement les cercles socialistes et libéraux, mais aussi tous ceux qui adhèrent à ce que l’on appelle les perspectives néo-libérales.
En 2019, le gouvernement italien, qui se targuait de ses succès dans « l’abolition de la pauvreté », mit ces propositions en œuvre et lança le Reddito di cittadinanza (le revenu citoyen).
Malgré son nom, malgré les efforts des politiques pour en souligner l’originalité, le Reddito di Cittadinanza (RdC) n’est pas alloué à tous les citoyens italiens. Sous conditions de ressources, il ressemble en fait un peu aux aides sociales européennes. Cependant, le processus est plutôt novateur et l’on peut se demander si la pauvreté a bien été abolie, si la méthode italienne est viable, et pour combien de temps.
Les politiques n’aiment pas les évaluations indépendantes
Pendant la campagne électorale de 2018, le RdC fut le cheval de bataille du mouvement Cinq Etoiles. De nombreux commentateurs s’accordent à dire que le parti recueillit un consensus principalement grâce à cette promesse d’une aide accordée à un large éventail de personnes. En théorie, ce programme était destiné à ceux qui en avaient besoin, à certaines conditions. Les requérants devaient chercher activement un travail ou s’inscrire à des programmes de recherche d’emploi, par exemple des formations. En pratique, ces conditions n’ont pas été vraiment respectées. De plus, comme les répercussions du revenu citoyen sur l’intégration au marché du travail et l’inclusion sociale n’ont jamais été mesurées, elles restent très floues. Personne ne sait si les bénéficiaires ont eu une chance de trouver un emploi durable ou d’échapper à l’exclusion sociale.
Ce n’est probablement pas une coïncidence si les lois concernant le revenu citoyen précisent que son évaluation doit être menée par le ministère du Travail et des politiques sociales, c’est-à-dire par cette même autorité qui a soutenu son adoption. Plus intéressant encore, la loi prescrit explicitement qu’aucune ressource supplémentaire ne lui sera accordée pour ce travail. Existe-t-il une réelle volonté de faire la lumière sur l’efficacité du programme ? On peut en douter, surtout en l’absence de toute information concrète : on ne connaît à ce jour ni le nombre de bénéficiaires ayant trouvé un emploi, ni la part de la population sortie de la pauvreté, ni l’effet potentiel sur les économies réalisées par les assurances-chômage.
Le peu que l’on sait
Un rapport publié début 2022 par l’Institut national italien de la protection sociale (INPS), chargé de distribuer le RdC, révèle que de mars 2019 à décembre 2021, il a profité à deux millions de foyers et 4,65 millions de bénéficiaires. Le montant mensuel moyen de l’allocation était de 546€, et le coût total pour le budget public, de vingt milliards d’euros. Dans 40% des foyers, une aide au logement s’ajoutait au RdC.
Selon le rapport, 70% de ceux qui ont reçu cette aide pour la première fois entre avril et juin 2019 la percevait toujours en décembre 2020. Cela montre que cette aide ne permet guère de sortir de la pauvreté. On apprend également que 60% des bénéficiaires sont « théoriquement employables ». Pourtant, parmi ces derniers, seuls 25% avaient un travail et un tiers étaient prêts à accepter rapidement une offre d’emploi. Il est donc assez évident que la mesure ne contribue que peu à donner à ceux qui en ont besoin de nouvelles opportunités d’entrer sur le marché professionnel.