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Qui fixe le pouvoir d’achat ?

Publié le 19 août 2022 par Magazinenagg

 Par Jacques Garello.

S’il est quelque terme économique mal compris en France (et parfois ailleurs) c’est bien celui de pouvoir d’achat.

Pouvoir d’achat du revenu monétaire

Certes, quand quelqu’un a un pouvoir d’achat, il prend conscience de ce qu’il peut acheter en un moment donné avec l’argent dont il dispose. C’est un genre d’approche statistique du pouvoir d’achat, qui va donc augmenter (ou diminuer) avec le revenu, et qui va varier suivant le niveau des prix des biens et services achetés.

La structure des dépenses envisagées est donc un élément important du pouvoir d’achat : si une personne consomme beaucoup de carburant, son pouvoir d’achat est diminué par la hausse du prix à la pompe, tandis qu’une autre sera plutôt pénalisée par le prix des dépenses alimentaires quotidiennes.

Si tous les prix augmentent parallèlement, ce peut être aussi dû à la perte de valeur de la monnaie : « trop de monnaie chasse après trop peu de biens », c’est une conjoncture d’inflation qui a pour origine la dégradation de la valeur de la monnaie, en général due à la mauvaise gestion de la banque qui a émis cette monnaie. En général ce sont des banques dites centrales, au niveau national (livre anglaise) ou international (euro pour certains pays de l’Union européenne).

Mais cette approche statistique du pouvoir d’achat, qui relève de l’arithmétique plus que de l’économie, est un simple constat, elle ne nous dit rien sur l’origine du pouvoir d’achat.

Alors qui crée le pouvoir d’achat ?

Le pouvoir d’achat décidé par l’État ?

Si l’on s’en remet aux campagnes électorales actuelles, on constate que la classe politique ne cesse de promettre aux Français une augmentation de leur pouvoir d’achat.

Cette augmentation serait pour les uns la compensation par l’État d’évènements fortuits, purement conjoncturels : la pandémie, la guerre, de mauvaises récoltes, des métaux plus rares. Pour les autres elle serait la compensation par l’État d’injustices sociales structurellement liées au système économique ou social. Les salariés exploités, les retraités spoliés, les personnes âgées et handicapées devraient voir leur pouvoir d’achat relevé.

Dans tous les cas, ce serait le rôle de l’État de décider du montant minimum de pouvoir d’achat. Mais cet argent est-il un revenu garanti et indexé, ou un chèque remis exceptionnellement ? Et d’où peut provenir l’argent qui viendra grossir le pouvoir d’achat ?

Cet argent est-il public ? Dans ce cas, ce sont les recettes fiscales de l’État qui doivent être soit augmentées soit redistribuées. Ce sont en fin de compte les contribuables qui paient, soit de façon égale (par exemple avec les impôts indirects comme la TVA, à supposer qu’il n’y ait pas de niches fiscales) soit de façon progressive (impôts directs dont le taux augmente avec le niveau de revenus imposables). Évidemment si les ressources fiscales courantes ne sont pas suffisantes pour assurer la croissance du pouvoir d’achat, l’État devra se résoudre à s’endetter. Au passage on peut déjà se demander si la hausse des impôts n’est pas en soi un facteur de freinage de l’activité économique. Donner à Pierre en prenant à Paul n’est pas une formule durable. L’impôt redistributif n’est pas stimulant puisque tôt ou tard le contribuable aura tendance à ralentir son activité puisque tout effort nouveau le pénalise.

Évidemment, l’État a une autre formule, moins onéreuse, à sa disposition : demander aux entreprises de relever le niveau des salaires et autres revenus d’activité. C’est bien ce qu’ont en vue plusieurs candidats et plusieurs partis. C’est l’État qui décide mais ce n’est pas lui qui paie.

Le pouvoir d’achat décidé par l’entreprise

Pourquoi les entreprises ne seraient-elles pas à même de relever le pouvoir d’achat des personnes qui produisent biens et services ?

Sans doute si c’est un ordre donné par l’État, l’entreprise devra s’exécuter. Mais elle court à sa perte (et à la disparition d’emplois) si elle ne dispose pas de ressources pour financer les revenus supplémentaires.

La première ressource, et la plus facile (au moins comptablement) est de répercuter la hausse des salaires et autres rémunérations sur les prix de vente. Dans ce cas, l’État devra couvrir le risque couru par l’entreprise en procédant à deux ajustements : l’un est de bloquer les prix de vente pour empêcher la répercussion sur le client, l’autre est de protéger l’entreprise contre la concurrence, en particulier celle de l’étranger. Ces ajustements ont été évoqués et recommandés par plusieurs candidats et partis.

En dehors des injonctions de l’État, certains ont soutenu que la hausse du pouvoir d’achat, et en particulier des salaires, se transformera en bienfait pour l’entreprise elle-même. C’est ce que soutiennent les « économistes de la demande », dans la filiation keynésienne, puisque plus de pouvoir d’achat c’est plus de dépenses, donc plus de débouchés, donc plus de vente pour l’entreprise.

La hausse de la consommation est donc conçue comme moyen de relance économique globale, et voilà de quoi réduire le chômage et assurer de meilleurs revenus à tous. L’idée est séduisante, mais elle implique aussi que les consommateurs usent de leur pouvoir d’achat sur des produits nationaux, ils doivent donc faire preuve de « patriotisme économique », une belle idée politique, mais d’un réalisme très relatif compte tenu du fait que la différence entre un produit national et un produit étranger est assez subtile, puisque tout produit, même lié au terroir, implique des fournisseurs et des entrants étrangers (les frites sont fabriquées hors de France, pays premier producteur mondial de pommes de terre). Par ailleurs, appliquer les mêmes hausses de salaires à toutes les entreprises, à tous les secteurs, toutes les tailles, et pour tous les salariés, débutants ou expérimentés, n’a réellement aucun sens. Cet égalitarisme devient arbitraire.

Il y a bien encore une troisième approche pour justifier la hausse volontaire des salaires par l’entreprise. Elle est associée à la vielle idée de lutte des classes, à laquelle il serait intelligent de répondre par un salutaire armistice entre travail et capital. Les travailleurs doivent pouvoir être associés au capital et aux profits de l’entreprise, cela créerait une harmonie au sein des personnes actives dans l’entreprise, alors que les actionnaires n’ont finalement qu’un rôle d’apporteurs de capitaux ne participant pas activement à la vie commune.

Je ne partage pas cette approche pour deux raisons.

La première c’est qu’il n’y a aucune raison pour qu’il y ait opposition entre les intérêts de l’employeur et ceux du salarié, c’est la doctrine marxiste qui a inventé la lutte des classes. Les liens entre employeurs et salariés sont des liens contractuels et personnels, c’est une aberration du droit du travail français que d’en faire le seul résultat de négociations collectives menées entre « partenaires sociaux » patronaux et syndicaux, éliminant ainsi toute référence au mérite, à l’expérience et au comportement individuels.

La deuxième raison pour laquelle je ne partage pas cette approche de « participation dans l’entreprise », c’est qu’elle doit reposer non pas sur un décret de l’État -comme on le fait dans la tradition des ordonnances de Michel Debré) mais sur le libre choix de chaque entreprise. J’ai participé il y a plusieurs décennies, en collaboration avec Serge Dassault, à des études sur la participation dans des entreprises à l’époque pionnières, et les modalités de la participation étaient très variables suivant les secteurs et la taille des entreprises, et libre aux dirigeants de la firme de gérer la participation à leur manière. J’ajouterai encore qu’il y a quelque danger pour les salariés de lier leur sort à long terme à celui de l’entreprise. La participation des salariés au capitalisme s’est faite dans de nombreux pays par achat de titres financiers librement choisis. On évite ainsi des affaires comme Enron ou Maxwell…

La véritable origine du pouvoir d’achat

Ayant ainsi réfuté les explications les plus courantes et les plus politiques de l’origine du pouvoir d’achat, j’en viens à ce qu’enseigne la science économique classique, agrémentée cependant de quelques apports de l’école autrichienne.

Pour ce faire, il faut remonter au concept même de pouvoir d’achat.

Le pouvoir d’achat est la possibilité pour une personne de satisfaire ses besoins. Or, l’être humain a conscience qu’il n’est pas en mesure de satisfaire lui-même ses propres besoins. Même dans une île à peu près déserte Robinson et Vendredi ont conscience que l’un et l’autre peuvent échanger. L’échange est précisément le propre de l’homme. « On n’a jamais vu deux chiens échanger des os » disait Friedman. Le fondateur de la science économique, Adam Smith, a décrit dans La Théorie des sentiments moraux que la nature de l’être humain le pousse à s’interroger sur ce que désirent les autres : c’est le sentiment d’empathie. De la sorte chacun essaie de trouver le moyen de satisfaire les besoins des autres pour pouvoir satisfaire les siens propres. Et l’échange est toujours gagnant pour les parties qui le concluent parce que chacun a une appréciation personnelle, subjective, de la valeur du bien dont il veut se passer et du bien qu’il veut se procurer. Alors que le prix est le résultat du contrat, il n’est prix que par le calcul de valeurs subjectives qui a présidé à l’échange.

Voilà la véritable origine du pouvoir d’achat : c’est le pouvoir d’acheter le bien ou la prestation des autres contre un bien ou une prestation.

Dans ces conditions, que se passe-t-il quand l’État (ou l’entreprise) prétend décider unilatéralement le montant du pouvoir d’achat de quelqu’un ? On débouche sur la fabrication de « faux droits », suivant l’expression de Jacques Rueff. On donne à des personnes des moyens de dépenser sans tenir aucun compte de ce qu’elles ont apporté aux autres. Ces personnes n’ont rien apporté, n’ont rien produit, ou leur apport et leur produit sont sans commune mesure avec le pouvoir d’achat qui leur a été donné.

C’est vraiment le drame vécu avec l’extension permanente de l’État providence. Les campagnes électorales (et nous sommes en plein dans le sujet) s’accompagnent de promesses de pouvoirs d’achat sous des formes multiples, mais aucune n’a de racine économique ni morale. À l’usage, le sentiment du travail et plus généralement de l’activité utile aux autres finit par se perdre, on ne voit plus dans le pouvoir d’achat qu’un droit social qu’il appartient à l’État de faire respecter, et à l’entreprise de mettre en œuvre. Moins de mérite, moins d’effort, moins de compréhension, moins de responsabilité : c’est la faillite généralisée dans un monde concurrentiel. Reste évidemment l’appel au patriotisme ou au souverainisme, ou à la lutte des classes.

Il est évident, je pense, de préciser que le partage et la solidarité volontaires ont leur place légitime et morale dans toute société civilisée, mais c’est l’affaire de la société civile et du dévouement familial ou personnel. Il n’est pas question de laisser des personnes dans la gêne et la pauvreté durables. De ce point de vue, n’en déplaise aux dictateurs, l’histoire du libéralisme s’est accompagnée de l’élimination progressive des famines, de l’espérance de vie, de la réduction de l’illettrisme, de l’amélioration de la santé. Par comparaison l’histoire du socialisme et de la planification est celle des vraies inégalités, des privilèges, des contraintes arbitraires : pas de pouvoir d’achat, mais l’achat du pouvoir.


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