s.l. Biscouette, 2022.
Le livre de Jean-Paul Basly pose une vraie question : comment quelques Béarnais ont-ils pu révolutionner les sciences sociales de ce pays dans la deuxième moitié du XXème siècle ? J’avais pensé m’atteler à ce problème depuis longtemps. Je l’avais soumis à Jean-Claude Vatin (1934-2021) qui avait beaucoup fréquenté Bourdieu en Algérie (« les pieds-rouges ») qui m’avait répondu, « fais-le ». Jean Paul Bash s’y coltine mais dans des cadres qui me semblent discutables. Soulevons quelques bornes.
Le périmètre : qui inclure dans ce Béarn ? Beaucoup s’y bousculent à tort ou à raison tel Bernard Chabonneau né à Bordeaux, proche d’Ellul, protestant il est vrai. Faut-il inclure Henri Lefebvre né à Hagetmau en 1901 et mort dans le Béarn qui a fait sa thèse sur la vallée d’Ossau mais d’une génération antérieure aux quatre autres (Bourdieu, Lapassade, Althabe, Lourau) et surtout, pour cette raison, au parcours singulier tant dans le domaine politique – le stalinisme – que personnel ? Ces jonctions occultent leurs divergences sinon leurs oppositions.
L’objet : Pour illustrer mon propos je vais me centrer sur quatre d’entre eux, nés entre 1924 et 1933 ; En raison de leur âge, ils sont intervenus dans les Universités françaises en même temps – autour de 1968 – mais dans des lieux et selon des modalités différentes.
Leurs liens : Si Lourau (1933-2000) fut toujours proche d’Althabe, voisins d’enfance à Gelos, même si à l’évidence le premier inquiétait le second, il faut s’interroger sur les raisons – pas nécessairement glorieuses – pour lesquelles Bourdieu (1930-2002) préférait polémiquer avec Lévi-Strauss plutôt qu’avec Althabe pourtant beaucoup plus intéressant à mon goût. J’ose invoquer un entretien enregistré avec Althabe : « Bourdieu qui était exactement du même lieu social et géographique qui lui est une affirmation folle, tu vois, de lui-même… et il a eu raison d’ailleurs » (Entretien enregistré du 25 mai 2004). Il valait mieux se confronter aux « vedettes » qu’à ceux du bas, pourtant beaucoup plus intéressants à mon goût, répétons-le.
Leurs objets : Si Althabe n’a pas écrit un seul mot sur le Béarn allant jusqu’à se dire « détribalisé », terme qui en Afrique est utilisé pour désigner les indigènes qui ne parlent pas la langue régionale. Bourdieu parlait gascon et a consacré à sa commune son chef-d’œuvre « Célibat et condition paysanne » repris dans Le bal des célibataires. Lapassade (1924-2008) défendait l’occitan avec la virulence et la créativité qui n’appartenait qu’à lui.
Leur démarche : Si tous se rattachaient aux sciences sociales, si Lourau citait Althabe, il y avait une grande séparation d’objets et de démarches entre la sociologie institutionnelle (Lapassade, Lourau) et l’anthropologie (Althabe, Bourdieu), ce dernier se voulant en outre « sociologue » en continuité avec Durkheim[1]. En un mot si certains ont pu coopérer, surtout Lapassade et Lourau sous l’égide de Lefèbvre, les liens avec les autres étaient fort distants même quand ils appartenaient à la même institution.
Enfin, peut-être faut-il voir entre ces Béarnais une profonde unité politique, au-delà des évolutions personnelles. Serait-ce le résultat de leur origine sociale ?
Faute d’éclaircir ces nécessaires distinctions, le livre de Basty se présente comme un dossier hétéroclite qui rassemble des documents d’origines et de statuts très différents. Il n’en pose pas moins une véritable question et propose des matériaux très divers pour y répondre.
Bernard Traimond
[1]Lors de son décès, j’avais essayé de souligner les deux faces de son œuvre, « La faille de Bourdieu », Le Passant ordinaire n° 39, avril/juin 2002. p. 5.