" Quand je regarde notre pays aujourd'hui et que je vois ce que nous sommes prêts à faire pour nous protéger et nous soutenir mutuellement, je dis avec fierté que nous sommes toujours une nation que ces braves soldats, marins et aviateurs reconnaîtraient et admireraient. " (8 mai 2020).
Elle était un roc insubmersible, une sorte de référence immuable dans un monde qui bouge tellement vite que tout le monde a le tournis. La reine Élisabeth II est morte ce jeudi 8 septembre 2022, dans l'après-midi, dans son château de Balmoral à l'âge de 96 ans. Elle avait l'âge, comme on pourrait dire vulgairement, et pourtant, cette mort, au-delà de l'émotion, surprend. Surprend car on aurait pu l'imaginer finir centenaire, comme sa mère, ou presque comme son mari dont la disparition, il y a un an et demi, l'avait traumatisée et elle ne s'en était jamais remise, effondrée. Avec Philip, c'était un mariage d'amour, pas un mariage arrangé. La jeune Élisabeth avait l'air enjoué, cet esprit plein de malice qu'elle a toujours gardé par la suite malgré la lourdeur protocolaire de ses fonctions de reine.
Dans la soirée, c'était donc quasiment programme unique à la télévision, soit des reportages "en direct" dérisoires, à Londres, par exemple, cette spectatrice d'une pièce de théâtre qui n'a pas eu lieu car elle a été annulée, soit les documentaires longtemps préparés à l'avance sur la vie d'Élisabeth, de sa jeunesse loin d'être insouciante à sa vieillesse tout autant consciente de la lourdeur de ses responsabilités : incarner, elle-même, par sa propre personnalité, sa neutralité, sa culture, le royaume britannique. Il y a évidemment des brebis égarées, à la télévision. Par exemple, sur une chaîne, on y racontait la princesse Diana, vingt-cinq ans plus tard... un peu hors sujet... un peu à côté de la plaque...
Ou pas, car oui, la mort de Diana a suscité une émotion populaire très profonde, internationale (parce qu'il y a le Commonwealth), et celle de la reine semble en provoquer une de même ampleur. Sur une chaîne (d'information), on a même vu une militante ukrainienne vanter le rôle de la reine d'Angleterre : il fallait bien qu'elle bossât un peu puisqu'on l'avait prévue sur le plateau. Elle n'était pas toute seule, d'ailleurs. Même Vladimir Poutine a exprimé son émotion.
Rien n'a jamais été laissé au hasard à la Couronne britannique : les funérailles nationales, prévues le 18 septembre 2022, avaient été préparées dès les années 1960. Succédant immédiatement à sa mère, le Prince Charles est devenu (enfin !) le roi, le roi Charles III, à l'âge de 73 ans. Il était roi remplaçant depuis plusieurs années, il est devenu roi titulaire.
Bien sûr, la personnalité d'Élisabeth II, sa longévité, son ancienneté, son âge, tout impressionne. Avec elle, on replonge dans les jeunes années d'après-guerre, à une époque plutôt gaie de la reconstruction, avec des perspectives de prospérité économique. Élisabeth II était reine quand Vincent Auriol présidait la France (il était le Ministre des Finances de Léon Blum en 1936), Harry Truman avait remplacé Franklin Roosevelt à la Maison-Blanche. Elle a "commencé" avec Churchill, un mentor digne de confiance qui l'a prise sous son aile. Et pied de nez au destin, non contente d'avoir déjà nommé quatorze Premiers Ministres (dont un deux fois, Harold Wilson), elle a eu le temps, deux jours avant de mourir, d'en nommer une quinzième, Liz Truss, officiellement Première Ministre depuis le 6 septembre 2022.
Les images ont montré une reine très affaiblie de 96 ans, mais debout ! souriante, complètement lucide, au regard toujours bien concentré sur son interlocutrice, assumant jusqu'au bout sa charge royale. Pour Liz Truss, non seulement elle va devoir se fondre rapidement dans la fonction, mais elle va devoir inaugurer cette nouvelle étape de la royauté : la monarchie britannique tenait surtout grâce à Élisabeth II. Elle partie, son fils Charles III saura-t-il préserver l'unité d'un pays dont les provinces périphériques réclament leur autonomie sinon leur indépendance (ou pas) ?
On s'était étonné qu'elle marchât avec une canne ...à 95 ans et demi ! Certains en ont déjà à 70 ans ! Et puis elle a été testée positive au covid-19 le 20 février dernier. Les fêtes du Jubilé sonnaient comme une sorte de tournée des adieux, pas seulement auprès des sujets britanniques mais aussi de beaucoup de peuples au monde. Même en France, pourtant républicaine, l'émotion est forte. Pas à cause de l'impact médiatique (ceux qui ne traiteraient pas de ce décès seraient les premiers critiqués de négliger un événement émotionnel populaire). Les médias suivent, rarement initient. Élisabeth II a été l'amie de la France, elle parlait parfaitement français et appréciait ses déplacements en France.
Plus de soixante-dix ans et demi de règne, c'est vertigineux. Et pourtant, si elle a battu le record de son aïeule Victoria, elle n'a pas réussi à battre celui de Louis XIV qui était beaucoup plus jeune qu'elle à sa disparition. Pour plein de raisons, des bonnes et des moins bonnes, Élisabeth II est entrée dans les livres d'histoire des Britanniques. Elle a su personnifier la grandeur et la fierté nationale, et surtout l'unité. Elle n'a jamais raté une occasion pour le rappeler, comme cette courte allocution du 5 avril 2020 pour s'associer à son peuple dans le moment très dur de la crise sanitaire.
C'est peut-être l'une de ses dernières prestations qui restera dans la mémoire collective, une femme au milieu du peuple, soucieuse de son devenir : " Ensemble, nous nous attaquons à cette maladie, et je tiens à vous assurer que si nous restons unis et résolus, nous la vaincrons. J'espère que dans les années à venir, chacun pourra être fier de la façon dont il a relevé ce défi. Et ceux qui viendront après nous diront que les Britanniques de cette génération étaient aussi forts que les autres. Les attributs de l'autodiscipline, de la résolution tranquille de bonne humeur, et du sentiment d'appartenance caractérisent toujours ce pays. La fierté de ce que nous sommes ne fait pas partie de notre passé, elle définit notre présent et notre avenir. ".
Malgré les rigueur du protocole, Élisabeth II maniait aussi son propre sens de l'humour qu'elle pouvait user dans certaines circonstances, c'était le cas au lendemain du référendum sur le Brexit : " Je suis encore en vie, en tout cas ! " (24 juin 2016).
Comme pourrait dire "l'homme de la rue", on n'en refera plus une comme cela, une figure morale incroyable, psychorigide de la fonction, mais rayonnante aussi, une version féminine d'un pape mais en plus moderne, en plus libéral, en plus audacieux, ou alors, une sorte de Nelson Mandela, sans la peine endurée mais avec le même éclat dans les yeux d'un universalisme assumé.
Celle par qui la cohésion résiste aux forces centrifuges, celle qui encourage et qui rend la fierté d'appartenir à une nation, elle aurait pu avoir ce titre définitif : grand-mère de l'humanité. En tout cas, elle n'en manquait pas, d'humanité, lorsqu'elle disait : " Le deuil est le prix que nous payons pour l'amour. ". À présent, on le sait : le peuple britannique a toujours adoré sa reine.
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Sylvain Rakotoarison (08 septembre 2022)
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