Par David Zaruk.
Il est intéressant de noter que la condescendance morale manifeste et l’imposition de la justice à la manière des pharisiens ont tendance à avoir l’effet inverse, les gens réagissant contre ces diktats, même si « tout le monde sait que c’est bon pour nous ». Vous ne pouvez pas les forcer à changer leurs habitudes ou leurs croyances (et c’est même le contraire qui est généralement la norme).
Une bonne partie de la théorie des politiques publiques consistait à modifier (améliorer) en douceur le comportement des individus (taxes sur les péchés, restrictions de circulation, protection contre la criminalité…) tout en protégeant les droits et libertés civiles et en évitant les réactions négatives de la population.
Aujourd’hui, les fanatiques semblent utiliser le principe de précaution pour imposer un changement de comportement. Les réactions contre de telles obligations sont prévisibles.
À un niveau superficiel, je pourrais dire que ma mère m’a appris à distinguer le bien du mal et que je n’ai pas besoin d’être sermonné par des gens comme vous, merci beaucoup. Nos silos de réseaux sociaux confirment nos points de vue biaisés d’une manière confortablement harmonieuse.
Nous recherchons des informations que nous voulons entendre et non ce que quelqu’un avec un agenda moral impose à nos oreilles. D’une certaine manière, à l’ère de l’information numérique, la liberté s’est transformée en une liberté de ne pas avoir à écouter ce que nous ne voulons pas entendre. Je fais confiance aux personnes comme moi, à celles qui m’inspirent, qui méritent mon attention. Pas à des fanatiques vertueux (à moins que, sur une question particulière, je ne soies avec eux contre les infidèles).
Un coup de pouce ou un coup de poing ?
J’adhérerais à ce que vous voulez que je fasse et je l’accepterais si vous m’inspirez, si vous m’attirez ou si vous me proposez un récit convaincant. J’ai besoin qu’on me donne du pouvoir, qu’on me fasse confiance et qu’on me fasse croire que je fais mes propres bons choix. Mais si vous venez de l’extérieur de ma narration, si je ne peux pas m’identifier à vous (c’est-à-dire si je ne peux pas vous faire confiance), tout ce que vous m’imposez risque de me faire réagir.
Il y a une dizaine d’années, le monde du risque a été attiré par un concept appelé nudging, qui consiste à trouver des moyens subtils de modifier en douceur le comportement des gens dans un sens positif. Il pouvait s’agir de mesures aussi bénignes que de peindre une mouche dans un urinoir pour réduire au maximum les éclaboussures ou de faire en sorte que les poubelles pour les déchets à recycler soient plus grandes que celles des déchets généraux.
J’ai d’abord été attiré par le nudging en raison de sa paisible efficacité. J’ai toujours été méfiant quant aux risques d’imposer un changement de comportement aux individus, mais le nudging m’a laissé la possibilité de choisir (croire que je choisis) par moi-même.
Le nudging a été le mieux représenté par le livre Nudge – La Méthode Douce pour Inspirer la Bonne Décision de Richard Thaler et Cass Sunstein. Ce livre a récemment fait l’objet d’une deuxième édition, mais n’a pas eu plus d’impact. Pourquoi ? En tant qu’outil de politique de gestion des risques, la théorie du nudge est pratiquement tombée en désuétude par rapport à la stratégie activiste de l’urgence apocalyptique (maintenant utilisée dans chaque campagne qu’ils mènent).
Cela a rendu inefficace l’approche plus douce de l’architecture des choix. Si l’on croit que l’humanité disparaîtra à cause d’un effondrement climatique cataclysmique dans huit ans, les petites mesures visant à réduire la consommation d’énergie ne permettront pas d’atteindre les « objectifs ».
Bienvenue au pays de Galaad où la crise, l’urgence et l’intensité comptent plus que la liberté de choisir.
Lors de la pandémie de Covid-19, il aurait fallu recourir au nudging pour réduire les risques d’infection à long terme. Au lieu de cela, des mesures draconiennes ont été imposées à des populations pétrifiées par des histoires de morts lentes, atroces et solitaires. Mais en imposant des restrictions défiant les données sur une période prolongée, la population a réagi contre les conseils des experts à la première occasion. Alors que les infections à coronavirus continuent de se propager, en Occident la population n’est plus disposée à accepter les mesures de confinement, les masques ou la distanciation sociale.
Si on m’avait gentiment laissé prendre (croire que je prenais) mes propres décisions en matière de prévention des infections virales, ces masques ne seraient pas aujourd’hui au fond de l’étagère supérieure de mon armoire. J’aurais également davantage de respect pour les autorités et pour la prochaine campagne de rappels de vaccins.
Lorsque chaque situation doit être présentée comme une crise (sauver la planète, sauver des vies, combattre les infidèles, arrêter l’explosion des cancers…), les techniques de la théorie du coup de pouce ne permettront pas d’imposer les comportements souhaités. Avec une crise fabriquée, les militants peuvent arrêter les gens dans leur élan, les enfermer et leur retirer leurs biens et services. C’est là qu’intervient le principe de précaution : pas avec un coup de pouce, mais avec un coup de poing !
Pas le moment de la méthode douce ! Invoquer la précaution…
La théorie du nudge peut-elle coexister avec le principe de précaution ?
La précaution est une approche de type « tout ou rien » visant à restreindre nos activités face à l’incertitude. Si on ne peut pas déterminer avec certitude qu’une substance, un système ou une activité est sûr, alors il faut les arrêter.
Ce principe peut facilement s’appliquer à des activités ou à des produits jugés moralement choquants, comme l’énergie produite à partir du charbon, les plastiques, les produits chimiques de synthèse, les pesticides… Essayer d’inciter les gens à utiliser moins de pailles en plastique ne fonctionnerait pas dans un monde où les activistes cherchent désespérément à éliminer tous les plastiques.
Le nudging est encore utilisé pour réduire les préférences malsaines comme l’alcool, le sucre, le café, le sel et le tabac, les bénéfices étant trop fortement identifiés pour permettre aux vertueux d’intervenir. Les précautionnistes aimeraient bien « résoudre » plus efficacement ces « problèmes », mais les politiciens ayant le sens de l’auto-préservation ne sont pas, à ce jour, disposés à être aussi suicidaires. Les activistes ont appris que toute campagne a besoin d’une menace apocalyptique (effondrement du climat, stérilité massive, disparition des abeilles, cancers généralisés…) pour que la précaution soit privilégiée par rapport à des solutions plus douces comme la théorie du nudge. Les activistes doivent générer un monde dystopique avec une peur palpable, une indignation morale, des alternatives vertueuses à une source de mal identifiable… En d’autres termes, les activistes doivent mentir et déformer.
La précaution s’impose dans des situations où la confiance est inexistante et où les biens sociaux peuvent facilement être retirés. Si nous essayons de pousser gentiment quelqu’un à changer de comportement, nous donnons du pouvoir aux individus et nous avons confiance dans le fait que la plupart d’entre eux peuvent prendre les bonnes décisions.
Manque de confiance ou indignation morale
Les responsables politiques qui imposent le principe de précaution ne font pas confiance aux citoyens pour prendre des décisions raisonnables.
Il y a vingt ans, il suffisait d’apposer sur un nettoyant chimique efficace les mentions « à manipuler avec précaution » et « à tenir hors de portée des enfants », les consommateurs avaient confiance et pouvaient profiter des avantages du produit. Aujourd’hui, si vous ne pouvez pas prouver que le produit chimique est sûr à 100 %, le principe de précaution est invoqué et le produit est retiré du marché (oubliez les avantages…).
En soi, ce manque de confiance n’est pas suffisant pour que l’approche de précaution se développe. Tous les mauvais choix ne constituent pas un problème majeur qu’il faut m’empêcher de faire. Mais si mes choix provoquent une indignation morale (chez une minorité bruyante et moralisatrice), alors il faut m’en empêcher. Cet herbicide pulvérisé près d’une école, ce morceau de plastique destiné sans doute à étouffer l’océan, cette abeille qui n’est pas retournée à la ruche, cette personne négligente qui a toussé dans un bus… peuvent générer suffisamment d’indignation morale pour permettre à un gestionnaire de risques d’abandonner le processus de confiance et d’imposer un changement radical de comportement via le principe de précaution. Et qui oserait défier les justes qui tentent de sauver l’humanité, la planète, les victimes…
Voilà où en est le principe de précaution aujourd’hui.
C’est un outil politique qui peut être appliqué lorsque des gens sont suffisamment effrayés par les conséquences potentielles et remplis d’indignation morale envers les responsables. Le rôle de l’activiste est simple : il s’agit de générer un équilibre toxique de peur et d’indignation afin d’appliquer le principe de précaution et de gagner dans l’arène politique :
- la peur de la dévastation de l’environnement et de la santé et l’indignation envers l’industrie ;
- la peur des pesticides et des OGM et l’indignation envers les agriculteurs ;
- la peur du cancer et l’indignation envers les produits chimiques et le plastique ;
- la peur des fusions de cœurs nucléaires et l’indignation envers les capitalistes et leur communauté scientifique ;
- la peur du changement climatique cataclysmique et l’indignation à l’égard des lobbyistes financés par les combustibles fossiles…
Il est intéressant de noter que dans les cas de risques où les bénéfices sont largement identifiés (café, téléphones portables, alcool, sel, véhicules à combustion interne, tabac, viande…), l’indignation morale ne peut être portée au niveau auquel le principe de précaution serait toléré. Il y a un manque d’intégrité et une hypocrisie dans la façon dont les interdictions de précaution sont appliquées.
La peur et l’indignation sont trop chargées d’émotions pour qu’on s’intéresse à des facteurs moins importants… comme les faits et les données. Face à une catastrophe imminente, « mieux vaut prévenir que guérir » a plus de résonance que « calculé, correct et plus sûr ». J’ai déjà fait valoir que la science s’intéresse à la différence entre avoir raison et avoir tort, tandis que la précaution vise à être en sécurité (et si, en fin de compte, vous n’aviez pas raison, alors être en sécurité compte plus que d’avoir tort).
Le principe de précaution défie la logique scientifique, est capable d’ignorer les faits, identifie l’incertitude à la peur, encourage une population apathique à croire qu’elle peut vivre sans risque, supprime systématiquement les avantages, conduit à des conséquences environnementales et sanitaires pires et – nous pouvons ajouter maintenant – crée un environnement sans confiance où, si on leur donne le choix, les gens refusent de faire ce qui est probablement meilleur pour eux. La précaution déresponsabilise les individus, les éloignant du dialogue et détruisant les relations de confiance.
Pire encore, la précaution a créé une arène politique où les activistes, jouant le jeu de la peur et de l’indignation, crient sans cesse à leurs communautés pétrifiées : « Il n’y a pas de temps à perdre » et : « Nous devons agir pour arrêter cela maintenant ».
La seule option pour le décideur politique est alors d’abandonner le processus de dialogue et de confiance et d’imposer la précaution. La théorie de la décision n’accorde plus d’importance au fait de pousser doucement vers une meilleure situation. La contrepartie, cependant, est que la plupart des gens n’aiment pas que des décisions leur soient imposées par une autorité de réglementation bienveillante, de sorte que les individus réagiront même contre ce qui est bon pour eux. Le syndrome de la fille du prêcheur.
Le nudging était une théorie intelligente… mais complètement impraticable dans le pays de Galaad de la précaution.