World of Warcraft pour les ignares

Quand on côtoie d’autres gamers à l’occasion d’un repas de bienfaisance ou dans une réunion syndicale et qu’on en vient à parler de notre jeu du moment, il est bien connu qu’il n’est pas facile d’avouer que l’heureux jeu élu qui occupe les soirées est un MMO. Pire encore quand il s’agit de World of Warcraft. Et ne parlons même pas du cas désespéré où l’on doit aborder son attirance pour le roleplay « érotique » (la vache, je vais grave ramener de lecteurs rien qu’avec ce mot) in game. Victime de son succès, le titre de Blizzard traîne quelques casseroles ternissant son image telles que l’exploitation de milliards de milliers de chinois entassés à 50 dans 25m² pendant 26h/jour sans manger sans boire sans respirer et afin de réaliser un bête travail de farming de flouze et d’objets. Mais surtout, World of Warcraft porte seul un fardeau partageable par tous les MMO, celui de la révélation des joueurs no-life.

WoW, véritable perte de temps en somme, fait rater vos études EROTIQUES, vous rend célibataire, laisse pousser votre barbe et les cheveux gras, vous donne le cancer du sida et massacre des petits pandas orphelins. Il faut, en conséquence, trouver d’habiles pirouettes pour évoquer WoW sans évoquer la désolation, de subtiles tournures pour, j’y vais franco car j’y crois, parvenir à intéresser l’interlocuteur plutôt qu’à l’effrayer.
Mais là n’est pas mon propos. Il existe, que dis-je il subsiste, des niches écartées de la civilisation qui abritent d’étranges êtres n’ayant jamais entendu parler de WoW (ni de Front Side Bus d’ailleurs, ah ben ouais c’est bouseux-land). Et c’est précisément dans ces contrées reculées que je me suis récemment aventuré, avec la ferme intention d’éduquer les autochtones en bon colonisateur. Gather around, my little children, je vais vous conter une belle histoire.

Ca se passe en conférence, à la pause déjeûner café-sucrette, quelques doctorants se réunissent et discutent un peu de leurs hobbies. Athlétisme pour l’un, lecture pour l’autre, collection de fossiles de cœlacanthes pour un troisième, EROTIQUE pour un dernier. Quand vient mon tour, mon habile pirouette est déclamée : « Je fais partie d’une équipe de joueurs qui se réunit certains soirs pour progresser ensemble et atteindre des objectifs difficiles ». Ca le fait pas mal, non ? Equipe, réunion, progression, objectifs, érotisme, des termes quasi-sportifs qui ne font douter de rien alors qu’en réalité, le joueur est affalé en calbut dans son fauteuil à siroter du Red Bull et se goinfrer de chips au pâté. Mais le charme opère malgré tout. Reste que personne ne sait ce qu’est World of Warcraft. Ni un MMO. Ni un RPG. Oulà, hé les gars y’a du boulot…

Ma tentative de civilisation donna à peu près ceci (en anglais car c’est une conférence internationale quand même - je me moque pas du lecteur moi – mais généreusement traduit parce qu’il y avait des termes difficiles comme Cat et Lolcat) :

« Bon alors, un RPG c’est quoi…ben disons que vous contrôlez un personnage que vous avez créé et modelé en choisissant son sexe, son apparence, ses capacités, ses forces et ses faiblesses par exemple.
-Tu peux lui donner de gros seins ?
-Euh oui…mais généralement toutes les nanas de ce genre de jeu ont une grosse poitrine.
-Continue… *l’air subitement passionné*
-Ensuite, votre personnage gagne de l’expérience au cours de son aventure, plus précisément en réussissant des quêtes et en tuant des monstres et euh…ben avec cette expérience le perso devient plus fort et peut ensuite massacrer des monstres encore plus gros etc et tout et tout…
-Est-ce que tes seins grossissent avec l’expérience ?
-Ah ben tu sais quoi…j’ai jamais vérifié tiens ! Bon…et sinon un RPG, c’est ça en gros.
-Qu’est-ce qui se passe si ton perso meurt parce que tu l’as pas nourri ?
-Ca arrive rarement quand même, sauf pour les tamagochis (je vous évite un interlude de 10 minutes sur ce qu’est un tamagochi), mais si tu crèves tu peux ressusciter en fait.
-Tu meurs puis tu ressuscites ? C’est ça « jouer un rôle » ?
-Euh…c’est bien vu euh…Disons que toute âme mortelle a le droit de ressusciter pour mener à bien ses objectifs.
-Et pour les ennemis que t’as tués ? Ils ressuscitent devant toi juste après que tu les as tués ?
-Heu non, sauf les zombies. Bon alors disons qu’on t’accorde le droit de revivre si ton but est pur et bon. Ok ? Mais puisque les méchants sont méchants, ben ils restent morts une fois morts, car c’était aussi leur but…de mourir…car ils sont méchants…
-Oui mais si…
-HE HO CA VA OUI ! Y’a des bières gratos au bar là-bas, tu nous en ramènes t’es gentil ? »

Expliquer un RPG c’est fait. Il faut ensuite aborder le thème des MMO.

« Alors, MMO, Massive Multiplayer Online, euh…ce sont des jeux de rôle que tu peux jouer seulement sur Internet. Donc ben…il te faut une connexion à Internet hein et…Vous connaissez Internet dites ? Ok, donc en gros, dans ces jeux, vous jouez avec d’autres types qui sont aussi connectés dans le même jeu. Ces joueurs ont leur propre personnage avec leurs propres attrib…Attendez un peu…il est revenu le gars qu’est parti chercher des bières ? Non ? Donc ces personnages ressemblent à ce que vous voulez et les leurs ressemblent à ce qu’ils veulent et, dans la mesure du possible, il est conseillé d’interagir avec eux si vous voulez progresser.
- Tchater quoi.
- Alors oui y’a besoin de tchater au moins pour monter un groupe afin de jouer ensemble.
- Mais tu rencontres des vrais gens en fait. Comme des femmes et des trucs comme ça.
- Ouais mais c’est pas si simple. Les gens sont là pour jouer. Bon, la plupart du temps. Et t’as tout intérêt à pas trop trop faire confiance aux types que tu rencontres.
- Comment ça ?
- Bon disons que tu viens de créer un personnage mâle et tu veux rencontrer une femme (et des trucs comme ça, oui oui je sais), tu vas t’arrêter à la première nana que tu vas voir…
- Aux gros seins !
- Haaaaa mais t’es de retour !! *yeux écarquillés et faux sourire* Bon n’importe quelle nana disons…mais ça peut être très trompeur ! Tu t’attends à ce que l’être humain qui incarne une femme soit une femme elle-même. Ben pas forcément. Ca peut être un homme ! Ou pire, un ado.
- Ah ouais…crado.
- Carrément. (mon perso principal est une nana (à la poitrine avantageuse oui, mais comme dit plus haut on peut guère modeler ce genre d’attribut)) C’est une petite habitude à prendre, mais au fil du temps tu parviens à rapidement savoir quel est le sexe du joueur qui se cache derrière son avatar féminin. Au final, jouer à un MMO, c’est rassembler des gens pour tuer du streum trop hardcore pour toi tout seul. C’est exactement ce que je fais. »

On avance, on avance. La plupart m’écoutent parce qu’ils n’ont rien à faire pendant cette pause et qu’ils préfèrent être intégrés à un petit groupe plutôt qu’errer entre les verres de jus de fruits et les tranches de saucisson les paupières à moitié fermées. Mais je sens que je peux sortir fier de cette conversation. Il ne me reste plus qu’à introduire WoW.

« Bon et maintenant WoW ?
- Quoi quoi, qu’est-ce qu’il se passe ?
- Hein ?
- T’as dit wow !
- Aaah…ok…(ah la vache, les boulets quoi)…Bon…World of Warcraft c’est un bête univers heroic-fantasy que Blizzard use jusqu’à la moëlle depuis de nombreuses années dans…euh…(j’vais quand même pas aborder les jeux de stratégie, si ?)…euh…ben…des livres, voilà ! Un paquet de bouquins…assez pourris en fait mais bon, faut bien une histoire pour faire un jeu hein. Donc en gros y’a les méchants assez méchants -La Légion Ardente (ouais non c’est pas le nom de ma guilde…)- qui veulent prendre le contrôle de tout le monde civilisé qui se divise en deux camps, l’Alliance et la Horde, lesquels se tapent sur la figure depuis des décennies.
- Ah ouais c’est pas terrible quand même.
- C’est sûr, mais je vous passe les nombreux rebondissements et la foultitude de personnages secondaires aux histoires et psychologies très profondes, ça prendrait du temps en fait, je vous limite à l’histoire principale hein … Le but c’est de tuer les sbires du gros méchant, un à un, afin de vous rapprocher du patron de la mafia de la Légion. Ces sbires sont bien chauds sarass à abattre, et ça demande la coordination d’un paquet de joueurs, et ce pendant plusieurs heures, sur plusieurs jours voire semaines pour établir la bonne stratégie de massacre. Voilà voilà !! »

Etant arrivé au bout de ma présentation, je remarque que j’ai non seulement perdu de l’audience (les toasts étaient plutôt pas mauvais ‘faut dire) mais que ceux qui semblaient intrigués par mon accroche de départ réalisent qu’ils viennent de perdre 5 minutes de leur vie. A se demander s’ils vont pas me demander de les rembourser. J’ai bien essayé par tous les moyens de décrire l’action sur le moment, les classes et leurs rôles au cours du combat, mais il faut croire que ça ne marche que chez les personnes un peu sensibilisées au jeu vidéo où l’on donne de ses tripes pour en venir à bout. Alors pensez bien, ces newbies limite réfractaires…

- Ah ça me fait penser, ils en ont pas fait un film ? Genre Donjons & Dragons, ou quelque chose dans le genre ?
- Euh moui mais…je ne pense pas l’avoir vu, en fait *air très convaincu*
- Ah mais moi je crois que j’ai vu des pubs pour WoW à la télé, y’avait le type d’Agences tout Risques et Van Damme aussi. Ca avait l’air bien pourri haha.
- Moi une fois j’ai entendu dire qu’un Coréen est mort sur ses chiottes après avoir joué 3 jours d’affilée à ce jeu.
- Non c’est un chinois je crois, là-bas ils jouent 26 heures par jour pour occuper leur vie car y’a pas assez de travail dans leur pays. »

Ca y est, j’avais dû fâcher un dieu pour que l’audience amène sur le tapis la plupart des sujets de discussions qu’on devrait éviter comme la peste quand on aborde le cas WoW. J’étais assailli par cette soudaine mauvaise foi et ne trouvais comme seule échappatoire que la présence de singe à trois têtes derrière la baie vitrée. Bien sûr j’aurais pu leur parler de la première conférence scientifique s’étant tenue in game il y a quelques semaines mais pour être honnête, je ne vois pas ce que ça aurait de rassurant, ni pour WoW ni vraiment pour la communauté scientifique. Perdu, j’avais perdu. Et je m’apprêtais à baisser mes oreilles d’elfe bien bas et à en prendre pour mon grade quand, miraculeusement, un collègue m’ouvre la porte vers la lumière. Prétendant m’avoir entendu évoquer WoW, il me sauve la vie et commence à me demander la classe que je joue.

Je lui serai à jamais redevable. Je lui envoie déjà des fleurs et des chocolats à domicile chaque samedi.

Ainsi entama-t-il :
« Aaaah, prêtre ombre c’est pas mal du tout. En PvE par contre, parce qu’en PvP c’est un peu la misère.
- C’est clair. T’as guère que le boubou et le fear de zone, qui ont des CDs inimaginables, pis quand tu veux t’auto-heal, tu dois sortir de ta forme d’ombre, ça te bouffe ta mana. Au CaC en shadow tu te fais démonte, nan c’est pas une spé pratique.
- Moi je joue à mort en PvP, avec ma démo affli. C’est vraiment top. Tu fearlock tout le monde, tu spam TAB, et bam, DoT DoT DoT à gogo, un gros drain life si tu commences à galérer. Pis si tu tombes sur un war un peu coriace, t’envoies le gangregarde pour l’emmerder un peu. »

Un troisième interlocuteur entendit alors notre conversation :

« Waaah hé, putain de démo SL, comment c’est cheaté, même en rogue tu fais rien face à ces classes de merde. Tu cours comme un dératé avec 4 debuff qui te cuisent à petit feu, c’est cool tu fais rien.
- Ouais enfin te plains pas trop, t’as vu tes skills que tu te payes en rogue, vanish, stun, blind, si t’as pas le médaillon up, tu te fais aussi trancher petit à petit hein !! »

La caméra fit alors un large dézoom sur la conversation, ne laissant que des bribes de phrases s’échapper du brouhaha ambiant.

« Mouahaha DoT DoT DoT.
Olol tromper la mort + cloak of shadows
Cheated WF, proc crit crit, + PA = le bien
FD ordre de tuer, flèche-baîllon FTW
Palret mongoose L2P et stop CS Elwynn
PH4T TAUNT owi
Même ta mère elle EXECUT mieux que toi
Noraj go skillshop ou go delete IRL WTF »

Aaah, encore une belle histoire d’où on sort tellement bien instruit.