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La Fête des Morts au Mexique n'est-elle qu'un simple événement culturel ?, par Dominique Fournier

Publié le 26 octobre 2022 par Slal

La Fête des Morts au Mexique n'est-elle qu'un simple événement culturel ?

Dominique Fournier, (CNRS-MNHN, UMR 7206)

Il y a dans les fêtes des morts au Mexique un caractère spectaculaire qui ne peut que retenir l'attention de l'observateur. En certains endroits, on note une débauche de tout, fleurs, encens, papiers, bruits, et les circuits touristiques ne manquent jamais de conseiller de passer par ces lieux où le cœur du Mexique semble battre un peu plus fort.

Il en était déjà ainsi en 1973, quand j'en vins à passer par Janitzio sur le lac de Patzcuaro où il fallait absolument se trouver au cimetière lors de la veillée des morts. Et en réalité comment ne pas rester impressionné, après une nuit où la beauté le disputait à une forme d'étrangeté angoissante, par la vue de tous ces hommes –mais il y avait aussi des femmes- ivres morts jonchant les divers chemins de l'île au petit matin ? À l'évidence, les morts avaient dû frapper fort cette nuit-là. Ou bien était-ce autre chose ?

Autel des morts dans une rue d'Ocotepec (Morelos)

(c)D. Fournier
En d'autres lieux, la coutume veut que l'on se retrouve à la maison autour de l'autel familial, ou bien que l'on aille visiter les tombes au cimetière durant la journée au son d'une cloche qui frappe un coup à chaque passage sous le porche d'entrée. Les modalités que peuvent prendre les journées consacrées aux morts sont multiples au Mexique et elles dépendent largement de la communauté où elles se déroulent. On se rappelle d'ailleurs que l'inscription de la fête des morts mexicaine au Patrimoine immatériel de l'Humanité de l'Unesco concerne essentiellement les communautés indigènes, s'imposant de la sorte comme une manière propice de mettre en valeur leur identité culturelle et l'extraordinaire richesse de leur patrimoine intellectuel.

L'ethnologue serait tenté d'évoquer et d'analyser la fête en un lieu bien particulier pour en tirer toute la richesse. Il sera pourtant plutôt question ici d'évoquer certains traits généreusement partagés par diverses populations paysannes de la République. À commencer par la dimension volontiers spectaculaire d'une pratique foncièrement familiale. Cette approche initiale devrait nous amener à comprendre ensuite que la fête ne peut être saisie qu'à la condition de la replacer dans l'ensemble du calendrier et, bien sûr d'évoquer le sens qu'il faut attribuer à la mort au Mexique. Cela nous conduira à la conclusion que la fête pose de façon cruciale le rapport spécifique de la maison à la société dans la mesure où elle met la première en situation d'exposer aux yeux de tous sa volonté de participer généreusement à la survie du groupe en faisant de la mort des siens un élément éminemment positif pour l'ensemble de la société.

La mort à la campagne

Ceux qui séjournent au Mexique au cours du mois d'octobre auront remarqué qu'une ou deux semaines avant la fin du mois, les marchés regorgent déjà de divers objets, puis de produits ou victuailles, et enfin de fleurs, dont le chaland ne fait l'emplette que pour la fête des morts. En quelque sorte, cette dernière semble appartenir déjà au monde de la rue et on s'en apercevra davantage encore au premier des quatre jours de festivité lorsqu'un va-et-vient intense s'établit entre le cimetière et les habitations. Et si nous regardons par terre, nous verrons qu'une sorte de chemin de pétales jaunes de (xempoalxochitl) semble tracé depuis les limites de la rue jusqu'au seuil des maisons. De fait, il s'agit là du moyen qui doit permettre aux enfants morts en bas âge de retrouver plus facilement leur chemin depuis le cimetière où ils ont été enterrés jusqu'à la demeure qu'ils ont à peine eu le temps de connaître. Car l'une des caractéristiques de la fête des morts mexicaine est bien qu'elle se déroule sur quatre jours : le premier est donc dévolu aux angelitos ; le deuxième, aux morts qui ont connu une fin violente (accident, assassinat, ou autre…) ; le troisième, à tous les saints, et le dernier jour aux autres morts dont on se doit de conserver la mémoire quelque temps.

Vente de fleurs sur le marché de Tepoztlan (Morelos)

(c)D. Fournier
Tous ces morts savent qu'ils vont trouver dans la salle principale de leur maison l'autel qui leur est spécialement consacré chaque jour. Ce sont les femmes qui le préparent et le décorent, à leur goût certes, mais aussi selon les règles qui leur sont tacitement imposées. Tout doit donc être prêt à midi le premier jour pour les petits morts, tout doit être beau, propre et bon. Il ne conviendrait pas en effet que l'autel ne témoigne pas d'un réel effort esthétique dans l'aménagement ; il y va de la qualité de la relation qu'on souhaite entretenir avec ses morts, mais aussi, comme on le verra un peu plus loin, de la preuve apportée aux personnes venues de l'extérieur qu'ici, on sait faire les choses dignement.

Tout le monde en convient plus ou moins, les morts au Mexique sont gourmands, et il faut les nourrir au jour qui leur est réservé. Peu importe qu'ils se régalent sur l'autel même ou sur leur tombe, ils entendent manger du mieux qu'il est possible, et c'est pourquoi les plats, même pauvres, qui sont posés sur l'autel représentent ce qu'ils préféraient de leur vivant. Mais ne nous y trompons pas, les âmes ne sauraient se contenter des vagues qualités culinaires des vivants, et c'est pourquoi l'autel dressé doit témoigner de beaucoup plus de choses.

Chaque jour, tout doit paraître propre, neuf, et les plats préparés sont présentés dans la vaisselle en terre cuite neuve qui a été achetée sur le marché au cours des semaines précédentes. En quelque sorte, la fête des morts établit un échange avec le monde extérieur, un échange qui passe par la dépense, et qui rappelle que ce jour n'est pas l'occasion d'un repli de la famille sur elle-même.

Il faudra également recouvrir l'autel d'une nappe immaculée en témoignage de la pureté de l'offrande alimentaire et des sentiments de ceux qui la font. En fait, au cours de cette période, la maison est considérée comme une part du cosmos puisque c'est là que la vie vient à la rencontre de la mort. La vie « brève », celle que chacun connaît sur la terre trouve à s'immiscer dans le temps de la vie « longue », celle que dictent la Nature et les forces cosmiques.

Alors oui, la table de l'autel se doit d'accorder un espace aux quatre éléments fondamentaux qui se retrouvent sous le patronage des saints favoris de la maison. Autour des plats cuisinés, on a d'abord veillé à disposer les fruits de la région et les calebasses témoignant de l'apport généreux de la terre. Ensuite, il y a les papiers découpés, suspendus là pour marquer le passage du vent ou du mouvement, élément essentiel dans le système mexicain car il figure le souffle de la création (rappelons-nous le Quetzalcoatl-Ehecatl), le souffle aussi qui anime le feu domestiqué pour réchauffer les êtres et cuire les tortillas de maïs. Le verre d'eau ne peut évidemment pas manquer, qui n'a alors rien à voir avec l'alcool souvent déposé là pour abreuver un mort un peu soiffard. Et enfin, les femmes ont réparti sur la nappe blanche les bougies, c'est-à-dire le feu, complétant de la sorte l'ensemble des quatre éléments.

Tout est prêt pour la fête

(c)D. Fournier

Mais l'autel ne serait pas complet sans les coupelles d'encens en céramique noire. Ne représentent-elles pas la cinquième direction, essentiellement verticale, qui traduit la dimension métaphysique de l'univers, celle de la transcendance ? Dans un système dualiste, c'est de cette manière que se réduit une vision exclusivement binaire de l'univers : ce jour-là, et à travers la cinquième direction, les femmes assurent le passage entre le bas et le haut, entre le vivant et la mort, entre le sacré et le profane.

En l'espace de ces quelques jours supposés obscurs, l'autel familial est un peu à l'image du Tlalocan, le séjour des morts aztèque où règne l'exubérance végétale censée assurer un équilibre entre tous les éléments.

Les plats servis aux morts ? On l'a déjà dit, ce sont ceux qu'ils préféraient de leur vivant, ou supposés tels, comme le riz au lait pour les angelitos, mais il y a sans doute plus. Bien que chaque plat soit accompagné d'une bougie qui symbolise l'âme, il est souvent pensé comme un plat collectif, plus qu'individuel puisqu'il a vocation à être partagé lorsque le mort aura pris sa part, refusant de le finir par respect pour ceux qui restent. Ici à la maison, mais aussi en dehors, avec les voisins. C'est pourquoi il s'agit souvent d'un mole de volaille, principe même de la commensalité dans diverses régions mexicaines.

Pour finir, on se débrouille pour trouver une petite place permettant de déposer sur l'autel des paniers emplis, l'un de tamales, l'autre de pains de morts. Dans l'État de Puebla, ces tamales sont préparés avec de la masa de maïs mélangée à une purée de haricots noirs. On le voit, maïs et haricot sont des produits typiquement mexicains et ils s'opposent sans doute à la farine de blé utilisée pour confectionner le pan de muertos, pains plutôt durs, et de bonne conservation. Sur l'autel prennent donc place les deux cultures qui finissent par s'unir, à l'image du pain dur et des tamales moulus.

Les marques du calendrier

On le voit bien, la fête des morts au Mexique offre une occasion de rappeler un certain nombre d'oppositions fondamentales, tout en insistant dans le même temps sur la nécessité de les réduire en un moment harmonieux. Il serait donc vain de poser cette fête comme une exception dans la suite des jours, et il nous faut donc trouver un pendant calendaire qui démontrerait parfaitement en quoi consiste pour les Mexicains l'idée de la vie et de la mort.

La fête des morts intervient alors que la nature va s'enfoncer dans l'hiver, alors que les récoltes ont été faites, apportant une certaine sensation d'abondance rassurante. Elle correspond dans le cours de l'année à ce que peut signifier le temps de la semaine sainte, la fin de l'hiver, le moment de la résurrection. Après que la nature a imposé la rigueur de sa volonté à une société contrainte de se replier largement sur elle-même, dans les maisons individuelles, le groupe des humains se doit de prouver (à lui-même surtout) qu'il est à même d'imposer la technique transmise, celle qui permet de domestiquer la nature en la rendant propice à l'agriculture. Les fêtes font alors sortir progressivement les gens de leurs maisons à la période charnière déjà marquée par la folie préfigurative du carnaval. Voici l'entrée du printemps et les célébrations respectueuses d'abord, puis aussitôt joyeuses au moment de l'exaltation de la vie retrouvée.

La mort-résurrection pour tous exprimée dans la rue. Lago de Chapala (Jalisco)

(c)D. Fournier
Sans surprise, la famille consomme en priorité du poisson lors de la première partie de la semaine sainte (lorsqu'elle peut se le permettre). Mais pas n'importe lequel, et pas n'importe comment. En fait, en de nombreux endroits, le plat principal consiste en une sorte d'omelette ou de galette élaborées avec des petits poissons (charales) ou des fruits de mer qui ont été réduits en farine sur le metate, la pierre à moudre. Inutile de rappeler l'importance du poisson dans la religion chrétienne (Tertulien le lie très exactement au baptême et à l'origine), et d'insister sur la symbolique de l'œuf. Mais nous sommes ici au Mexique et non plus en Espagne. Alors il faut s'interroger sur le sens à donner à cette mouture de poissons américaine. J'aurais pour cela tendance à me remémorer l'origine de l'humanité telle que nous la rapporte le mythe aztèque. Pour lui, c'est Quetzalcoatl qui se chargea de fabriquer les hommes actuels en allant chercher dans les enfers les ossements de l'humanité précédente, formée d'hommes ou parfois de singes. Il s'empara donc des os soigneusement rangés, mais il trébucha alors qu'il remontait, laissant choir et répandant sur le sol tous les ossements en un mélange insoluble. À peine troublé par sa maladresse, le Serpent à Plumes, divinité culturelle par excellence, résolut de broyer sa récolte informe sur la pierre à moudre et il humecta la farine qui en résulta de son sperme ou de son sang (eztli) ; c'est de là que les hommes naquirent.

Ne peut-on pas considérer que la préparation principale de la semaine sainte procède de cette tradition ? Ce mélange de farine parfaitement indistincte (et non pas de pâte, comme pour le maïs) et de l'élément liquide confère la vie, non seulement à l'humanité dans son ensemble, mais aux hommes en particulier. Et nous sommes ici dans le monde américain. Mais si nous ajoutons la symbolique européenne à cette technique de préparation culinaire, nous constatons aisément que la semaine sainte affirme la nécessité de ce mélange, à la fois réel et matériel d'un côté, symbolique et interculturel de l'autre. C'est à ce prix que notre monde sera à même d'assurer sa survie.
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La mort aztèque participe de l'abondance attendue de la religion nouvelle. Le syncrétisme espéré des artisans indigènes à l'œuvre dans la chapelle ouverte de Tlalmanalco (México)

(c)D. Fournier
Voilà bien pourquoi il faut lier les deux dates, celle de la mort et celle de la vie, car les Mexicains ne peuvent concevoir que l'une aille sans l'autre. D'ailleurs, si nous reprenons l'action de Quetzalcoatl-créateur, nous apprenons qu'il broie les vestiges de squelettes. Or, nous avons vu qu'un élément essentiel du dispositif de la fête des morts, c'était bel et bien la fabrication des pains des morts. En Espagne, on les produit aussi à cette occasion, et dans certaines régions, ils représentent clairement des ossements.

Tout porte à croire que le pain de morts mexicain symbolise ici ce qui reste après la mort de l'individu lorsque la chair a disparu. En appliquant ce principe au niveau de la société, on se risquera à avancer que ces pains symbolisent la structure qui demeure au contraire de la vie brève des hommes qui ne font que passer sur cette terre. Dans le calendrier que nous impose la nature, il faut assurer le passage de la mort provisoire à la vie qui renaît. Le système dualiste mexicain s'y applique encore dans l'organisation de telles fêtes destinées à rappeler qu'il ne peut y avoir de séparation entre la vie et la mort. Les deux sont parfaitement complémentaires, comme s'il s'agissait de jumeaux dissemblables. C. Lévi-Strauss confirme largement cela quand il remarque que, dans le monde américain, c'est la gémellité inégale qui crée le mouvement entre deux pôles menacés de rester immobiles.

Ces fêtes calendaires sont donc organisées parce qu'il s'agit pour la société, et donc la culture, de dépasser les contraintes liées aux lois de la nature. Mais avant d'en venir à notre conclusion, il serait sans doute intéressant de s'arrêter un court instant sur une autre fête pour comprendre mieux encore ce rôle d'organisateur cérémoniel que s'octroie la société. Parlons maintenant de la candelaria, la chandeleur. En fait, celle-ci commence le 6 janvier, avec les rois. Dans beaucoup d'endroits du Mexique, on tire aussi les rois, mais celui qui reçoit l'équivalent de notre fève s'engage à réunir ses amis ou collègues, civils ou de bureau, de travail, pour leur offrir à boire et à manger (des portions individuelles, et non pas un plat collectif) le jour de la chandeleur.

Notons bien ce qui se passe au cours de cette période charnière : à l'intérieur de la maison, en plein hiver, donc en principe dans une nuit symbolique, le rite laisse une place au hasard pour déterminer celui qui sera chargé de réunir une partie de la société en dehors de l'espace privé pour la faire participer à une consommation encore marquée du sceau de l'individualité. On ne reprendra contact avec la rue et l'ensemble communautaire qu'au moment du carnaval. Au Mexique, le franchissement de cette étape décisive dans le calendrier réclame un passage progressif de la maison à la rue, dans un mouvement comparable à celui qui caractérise la célébration de la Fête des Morts, à l'autre extrémité.

Salut les morts, à l'année prochaine

Revenons pour finir au spectacle de l'autel familial et aux plats préparés pour les défunts. C'est qu'il ne s'agit pas de faire n'importe quoi pour les morts, car si, comme on l'a vu plus haut, la maison devient une parcelle de cosmos pour l'occasion, les morts de la famille se retrouvent assimilés à des esprits appartenant en quelque sorte à une forme de panthéon, et par là même, nul n'oserait douter qu'ils participent à la bonne marche du monde. On leur doit donc un grand respect, non seulement comme esprits de la famille, mais en tant qu'entités transcendantes. S'il fallait illustrer ce propos, je me permettrais une petite anecdote. Je me souviens que la dame qui m'hébergeait dans un village de l'État de Puebla où je résidais pour effectuer quelques-unes de mes recherches ethnographiques, s'inquiétait un peu à la veille de la fête des morts. C'est que son père, don Ramon, qui avait eu la faiblesse de me porter beaucoup d'affection, l'avait menacée avant de mourir de ne pas venir visiter la maison ces jours-là si elle ne s'employait pas à faire la cuisine du mieux qu'elle pouvait. Or Luisa s'était toujours persuadée que la cuisine n'était pas son fort, et qu'en tout cas elle n'aimait pas vraiment se mettre au fourneau, elle qui, suivant la règle, ne s'était jamais mariée afin de s'occuper entièrement de son père devenu veuf. N'y avait-il pas en effet de quoi s'inquiéter, car si don Ramon choisissait de ne pas venir dans ces circonstances particulières, qui sait si sa fille n'allait pas tomber malade. Et puis, comme tout finit par se savoir, les gens n'auraient pas manquer de dire du mal d'elle. Mauvaise fille, mauvaise citoyenne ! Un seul mort vous manque et tout est dépeuplé !

L'autel chez don Ramon (San Luis Ajajalpan - Puebla)

(c)D. Fournier
Pourquoi ? Parce que la notion d'échange prime ces jours-là, un échange globalisé. Tout simplement. Entre les morts et les vivants, et entre les vivants au sein de leurs réseaux sociaux. L'échange de nourriture est fondamental, alors on doit en prévoir pour assurer l'échange vertical, une nourriture témoignant d'un réel savoir-faire, donc d'une connaissance parfaite des règles culturelles. Et les morts, tout émoustillés par les prières, se régaleront de la vision du plat espéré, et de l'odeur. Car l'odeur est fondamentale dans la pensée traditionnelle ; elle communique du sens à la matière qui, sans cela, ne serait probablement rien. Souvenons-nous du mythe de la création des fleurs : elles ne devinrent vraiment fleurs que lorsqu'une chauve-souris leur conféra l'odeur. Souvenons-nous aussi que les codex représentaient souvent l'empereur aztèque, le tlatoani, en train de respirer le parfum d'une fleur. Il paraît que c'était même là une de ses prérogatives exclusives, allez savoir comment on s'arrangeait avec la loi en matière de parfum. Donc, chaque mort se repaît de l'odeur qui vient s'ajouter à l'odeur de l'encens destinée au cosmos en général. Voilà assuré en principe l'échange avec l'au-delà, chaque famille contribuant largement à l'ensemble.

Alors, bien sûr, il reste à manger dans le plat. Et comme il n'est pas question de laisser perdre ce qui est quand même un don de Dieu, la famille s'applique à le partager après en avoir informé le plus grand nombre. C'est pourquoi les maisons restent souvent ouvertes ces jours-là, et que l'on invite volontiers les passants à entrer pour voir l'autel, le nombre des plats, comment la famille a su respecter les normes. La partie matérielle se répartit alors parmi les membres de la famille, les voisins avec qui on entretient des relations spéciales, les amis ou compadres qui entrent en réseau, parfois éloigné. Avant l'endormissement de l'hiver, la famille réaffirme ses liens avec l'ensemble de la société, sa capacité à échanger sur tous les plans et contribuer ainsi à la bonne marche de l'univers. C'est très évidemment l'affirmation que la vie se doit de triompher, coûte que coûte, en toutes circonstances, et que chacun doit y contribuer sincèrement, sachant que la mort appartient à tous.

La mort de l'un sort dans la rue pour apaiser l'Autre et la Nature. Tepoztlan (Morelos)

(c)D. Fournier
Pas étonnant alors qu'on retrouve des hommes ivres-morts dans la rue le lendemain de la veillée : l'ivresse est conçue comme une petite mort qui prélude à la résurrection. Bien souvent, cette ivresse procède d'un authentique système d'échange entre vivants, et dans ce cas, avec les morts, puisqu'il n'existe pas de meilleur moyen de communiquer avec l'au-delà qu'avec l'alcool. Oui, vraiment, on finit toujours par se rejoindre d'une façon ou d'une autre. C'est comme lorsqu'on s'échange des petits crânes en sucre marqués au nom de celui qui le reçoit. Ce jour-là, plus que jamais, les morts sont vivants, et les vivants doivent s'imaginer en morts heureux d'être reconnus à leur juste valeur.

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Comme un spectacle vivant, le concours d'autels (Ocotepec (Morelos)

(c)D. Fournier
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