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Un Kangoo pour la route

Publié le 13 novembre 2022 par Alexcessif
Un Kangoo pour la route

On ne fait même plus attention à ces petits instants. Le froissement des mousses sur les joues quand on enfile le casque, la griffure de la fermeture éclair qui remonte sur le blouson, le crépitement imperceptible des bottes emmenant encore quelques pas sur le bitume avant de se pacser avec  les cale-pieds. On entend juste le clac quand la visière se referme et le djiii de l'injection quand la clé a tourné dans le contacteur.

Un Kangoo pour la route

Ma passagère prends ses aises bien calée sur le top case, les jambes s'ajustant contre les malles alu coordonnées qui donnent à la britannique l’allure teutonne pour filer à l’anglaise. Si "on" m’avait dit que j’allais "mochir" Bonnie à coup de top case! 

Moquant les mecs qui transformaient leur engin en Kangoo, j’ai trahie mon âme de routard blasé où végétait, stupide, utopique et inachevé, le projet d’avoir un jour une trekkeuse pour passagère. Rêveur comme tous les perdants, j’avais concédé un strapontin ridicule et inutile sur une fausse Harley avec un dosseret mesquin bien indigne de cette passante de retour dans mon environnement périphérique immédiat pour un autre tour de manège


Un Kangoo pour la route

Correction de trajectoire, raccord avec notre rapprochement moléculaire : une Bonnie toujours mais avec une vrai selle biplace, de l’intercom pour se chanter des trucs dans les oreilles et de la bagagerie afin de profiter de l’étape en vulgum pecus sans se faire remarquer avec les attributs du motard.

C'est devenu trop habituel. On mange du kilomètre et de l'adrénaline sans chercher l'essentiel. Sauf ici et maintenant, devant un petit bout de territoire anglais de moins d'1 m2. Face à une Bonneville T 120, il nous appartient d'apercevoir une frontière, celle où le temps devient relatif. On ne voit ni le passé ni la bannière du constructeur, simplement un engin vintage avide de décontraction et de plaisir patiné au look obsolète. Et pourtant si prompt à japper dans le métal, par le muscle plus que par le timbre. On prête alors plus d'attention à l'ambiance, aux chromes, aux ailettes de refroidissement... on attend... on veut la désirer... elle n'attendra pas trop non plus.

Ce feu rouge est long. Et on s'en fout. Sur la T120, la décontraction est telle que ses petits agacements du quotidien n'atteignent pas l'équipage. Sereins, on en profite pour redonner de l'attention à certains détails. Le cerclage chromé des compteurs, les petits chiffres discrets et la foule d'infos dans les fenêtres digitales à l’électronique bien planquée sous l’esthétique rétros du siècle dernier... L'aiguille du compte-tours à la tremblote, hésitant à demeurer froidement calée sur les chiffres. Ceux-ci flanqueraient un infarctus à un pistard. Avec une zone rouge commençant à un régime de bagnole, soit 7000 tr/mn, le bicylindre anglais risque d'avoir le souffle court. Le vert est mis, allons voir si les promesses du constructeur se dévoileront. Et c'est maintenant que l'enchantement commence vraiment.
Fine, élégante, la Bonneville se faufile en ville avec aisance. D'une simplicité redoutable, elle se laisse emmener avec la facilité d'une jouvencelle. Elle sait mettre à l'aise dans chaque situation, gratifiant au passage d'une souplesse moteur bien utile dans les endroits encombrés ou ralentis. On laisse le régime tomber tranquillement vers 1500 trs et on repart sur le filet. Une pichenette à droite pour rejoindre la route périphérique et nous voici en approche de vitesses plus enjouées. Du coup, le seuil de souplesse est relevé, le 1200 appréciant moins de descendre sous les 2000 trs une fois ancré sur le 5eme ou 6eme rapport.

   Bonnie & moi sommes complices à présent, 5 minutes après notre rencontre. La route grimpe, c'est le pied. Un petit bouton sur l'intérieur de la poignée gauche permet d'enclencher les poignées chauffantes, sur trois niveaux de chauffe. Le fond de l'air est frais et cette perfusion de chaleur s'avère très agréable. Détente sweet home. La conduite est parfaitement naturelle, l'assise confortable, la position du pilote digne d'une balade en vélo. Tilt !!! Tout est là : la balade. La T120 ne l'a pas dit tout de suite mais c'est un véritable piège à promenades. A son guidon, pas besoin ni l'envie d'arsouiller, aucune prétention au touring, pas la moindre allusion au raid, à la parade ou au chrono. Les divers plaisirs que peuvent procurer les catégories de motos (sportives, customs, trail, roadster, etc) s'annihilent face à ce bonheur simple : rouler, juste rouler. Pas pour aller du point A au point B, faire un voyage ou s'injecter de grosses sensations. Non, se promener main dans le guidon, sans but, sans limite, avec l'esprit comme seule frontière.

   Les virages sont une formalité, les relances jamais prises au dépourvues. Le souffle du bicylindre est présent tout le temps, très tôt, avec la puissance latente d'un cœur bien rempli. Nul besoin de le provoquer, le couple et ses 10 mkg porte avec légèreté l'équipage. On musarde, on admire, et j'avais presque l'envie de dévier de la route pour nous perdre dans quelques chemins. Transformer la flânerie en randonnée entre les sapins et les noisettes ; la Triumph ne s'y prête pas mais l'envie n'est pas loin. Ah oui, il faut songer à la Scrambler du catalogue dans ces cas-là.
Pris dans le délicieux piège de la balade, j'ai laissé au placard mon naturel d'excité. Mais chassez le naturel et il revient au galop. Une ribambelle de voiture semble s'être décidée à monter cette route sur le ralenti en 5eme avec le frein à main. Aucune importance à cet instant. Sauf qu'une Porsche Boxter juste en queue de file n'entend pas rester calme. Une épingle est passée, l'horizon est libre. Ni d'une ni deux, la sportive allemande vient de tomber une douzaine de rapports et gicle du cortège. L'anglaise entre mes mains ne s'est pas fait prier : j'averti ma passagère que l'on quitte le peloton - vive l'intercom -  un coup de botte dans le sélecteur, l'aiguille du cadran RPM varappe entre 30 et 40, la main droite tourne vivement et la Bonneville bondit. La dimension tranquille change instantanément : saisi dans le gras du couple et son muscle généreux, le moteur propulse la moto avec vigueur. Quelle force ! C'est comme une grosse déferlante qui vous entraine vers l'avant, qui s'enroule autour de vous et vous envoie au-dessus de l'écume pour rattraper les vagues précédentes. Sauf que là, c'est une Porsche qu'elle veut rattraper. Le rythme est devenu nettement plus dynamique, mettant en avant une sportivité plus proche d'un match de polo que d'une virée en avion de chasse. La Bonnie ne se laisse pas distancer, contient la distance sans s'imposer sur le Box
ter. Chaque virage se ponctue d'un "Sscriiitch" métal/goudron crié par les cale-pieds, chaque bout droit laisse la mécanique se prononcer. Sans esbroufe mais pas sans conviction, elle grimpe dans les tours sans jamais donner l'impression de s'essouffler. Et la traction semble s'étirer très loin dans les bielles, à tel point que la zone rouge n'est pas atteinte aussi vite qu'on l'ait cru au début. Pour ainsi dire, point n'est utile d'aller chercher des watts au-dessus des 6000 trs/mns. On préfère user et abuser des régimes intermédiaires, où les relances sont sans fin et le punch virulent. Chaque passage de rapport laisse une délicate impression dans le pied. Le rapport est pris instantanément avec un clac rapide, ferme et précis. Un régal, qui donne envie qu'il y ait encore plus de vitesses.
Sans critique coté fondamentaux, la T120 se laisse conduire à n'importe quel tempo sans arrière pensée. L'ABS et le contrôle de traction en mode "Road" ou "Rain" veillent au grain. La matinée étant superbe, les sécurités électroniques n'ont jamais été mises à l'épreuve. Cependant, les jours humides, il sera bon d'avoir dans un coin de la tête l'assurance que les dérobades seront jugulées. 

Puisqu'Elle aime chanter sous la pluie, ma passagère



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