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Au bloc : quand on aime, on ne compte pas

Par Isabelledelyon

Dans une semaine, je retourne au bloc. Je vais enfin avoir droit à la seconde étape de ma reconstruction mais dans un autre hôpital.

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Que je vous raconte un peu mes tribulations depuis mon précédent billet. Suite à sa publication par une journaliste, avec mon accord, sur le site de Contrepoints https://goo.gl/okziZx J'ai reçu des messages de soutien et trois offres sortant de l'ordinaire :

  • Un courtier en assurance voulait m'offrir gratuitement le fruit de son travail en me trouvant une assurance à l'étranger me permettant de faire baisser ce reste à ma charge.
  • Un généreux donateur voulait régler la facture de ce reste à ma charge.
  • Un directeur d'hôpitaux parisiens m'offrait l'accès à l'un de ses établissements en me garantissant aucun restant à ma charge côté hospitalisation et obtenant de son équipe médicale qu'un chirurgien accepte de m'opérer sans dépassement d'honoraires.

Après un passage "moral dans les chaussettes" suite à ce renoncement, je suis repartie euphorique et j'ai décidé de saisir la troisième offre, me faire opérer à Paris sans rien à ma charge en bénéficiant de l'expertise de très bons médecins. Hélas, malgré l'excellente réputation de cet établissement, le praticien rencontré m'a proposé une reconstruction avec prothèse en précisant que c'était à Lyon que se trouvaient les experts de la reconstruction avec du lipomodelage (ma propre graisse). J'ai refusé la mise en place d'une prothèse. Je voulais qu'on termine le projet initial de reconstruction déjà entamé.
Je suis rentrée à Lyon, dépitée. Retour à la case départ.

En suivant les réactions au partage de mon article sur les effets pervers du CAS sur les patients, je suis tombée sur une information que j'ignorais et qui pouvait régler mon problème de restant à charge :
Lorsqu'on est en ALD, toute intervention chirurgicale liée à cette ALD, en hôpital public, ne donne lieu à aucun dépassement d'honoraires.
Dommage que la sécu n'ait jamais eu l'idée de m'en informer au lieu de me proposer d'aller me faire opérer à 250km de mon domicile en ne prenant en charge que 100km de déplacement.

J'étais bien en ALD mais j'étais suivie en hôpital privé. Il fallait que je m'adresse à un hôpital public si je ne voulais pas attendre un RDV avec le chirurgien du centre anti-cancer.

Pour information, il y a trois cas, où un patient ne peut pas se retrouver avec des frais chirurgicaux à sa charge quelle que soit sa mutuelle, quelle que soit l'adhésion (ou pas) du chirurgien au CAS :

  • en ALD, en hôpital public pour une intervention liée à cette ALD.
  • en étant opéré suite à une admission depuis les urgences, que ce soit en établissement privé ou public, sans retour à son domicile avec prise de RDV depuis chez soi mais en restant bien dans le circuit des urgences. On arrive aux urgences, on nous garde, on nous transfère dans un service et on est opéré dans la foulée sans retour chez soi.
  • si on est en CMU.

    Et uniquement dans le cas du cancer, en étant opéré dans un centre anti-cancer.

J'ai décidé de feuilleter les annuaires des hôpitaux publics de Lyon à la recherche d'un nom connu. Et là, j'ai eu une surprise de taille ! Mon chirurgien, celui qui avait fait la première partie de la reconstruction par petit lambeau de grand dorsal en hôpital privé, figurait dans l'annuaire d'un de ces hôpitaux publics lyonnais. Je n'en revenais pas. J'ai pu prendre conscience du fossé qui existe entre un médecin et un patient. Je remuais ciel et terre pour trouver une solution à cette situation générée par le CAS et en fait la solution était juste là, à portée de mains. Mon chirurgien n'en avait strictement rien à faire. Ce qui lui importe, c'est le travail bien fait. Il n'est pas assistante sociale, il n'a pas de problème d'empathie, il opère et on paye. Sinon passez votre chemin. J'ai pris mon téléphone, obtenu un RDV dès le mois suivant, il ne reçoit qu'une journée par mois, c'est dire qu'il ne fait pas de pub sur sa présence dans cet hôpital...
Je suis allée le rencontrer avec mon mari. Il a été estomaqué de nous voir et m'a déclaré qu'ici, c'était pour les gens qui n'avaient pas d'argent, les CMU et que de toute façon il avait des délais d'attente de 4 ans...

Incrédule devant une telle réaction.
Comme quoi quand on est patient, on est tellement dépendant des médecins qu'on les place un peu trop sur un piédestal. Là au moins, il a poursuivi la chute entreprise dans mon estime depuis la découverte de son nom dans l'annuaire. Il s'est retrouvé face à face avec moi, mon corps atrophié, ma féminité mise à mal et cette difficulté à me réapproprier mon corps que je n'arrivais pas à surmonter. Il s'est ressaisi, est retourné sur le plan technique où il excelle et m'a dit qu'il allait me mettre prioritaire. Il m'a demandé de revenir en novembre et qu'il me donnerait un RDV à ce moment-là.

Je suis repartie écoeurée avec l'idée que je ne rappellerai jamais. Et puis le temps a fait son oeuvre, j'ai réussi à accepter en partie ce corps, en partie seulement ! J'ai énormément de mal à vivre au quotidien avec cette atteinte à ma féminité. J'ai dû me racheter des sous-vêtements, des maillots de bain qui cache tout, l'horrible cicatrice hyper large du dos comprise. En essayant mes anciens maillots de bain, j'ai réalisé le deuil de mon corps qu'il allait encore falloir faire. Aucun haut ne couvrait assez le dos. Aucun ne serait mettable. Je ne peux plus porter des décolletés en V, je les ai remplacés par des cols ronds. J'ai abandonné les vêtements près du corps, je préfère des hauts plus larges. Ma prothèse externe est posée sur un sein de tout petit volume, pas sur du plat, donc elle glisse tout doucement et finalement mes seins se retrouvent régulièrement désaxés. Avec un haut près du corps, ça se voit. Avec un haut évasé, ça ne se voit pas vraiment.
Si je reçois des copines de mes filles à dormir, je mets ma prothèse sous mon pyjama dès que je sors de mon lit pour qu'elles ne voient pas cette dissymétrie hors norme. J'ai renoncé à beaucoup de mes vêtements. J'ai envie de cacher mon corps. Je ne l'aime pas et j'aime encore moins le cancer qui est responsable de ce chantier.

En mai 2016, j'ai fait mes bilans mammaires. J'étais tout sourire, persuadée de ne pas avoir à subir une énième biopsie puisque je n'avais plus ce sein cancéreux. Le radiologue m'a ramenée à la réalité du cancer. Dans mon sein normal, il a vu un petit nodule qui était passé de 6mm à 8mm. J'ai eu une biopsie dans ce sein. Il n'était pas inquiet.
Je venais encore une fois d'être ramenée à ma condition de cancéreuse jamais guérie, jamais sortie d'affaire. C'est lourd parfois à porter, surtout des jours comme celui-ci.
C'était la première fois que je faisais un bilan avec ce sein en moins. Mon radiologue était étonné que mon chirurgien ait dû faire face à une nécrose, ça ne lui arrive jamais. A moi, ça m'arrive. D'ailleurs c'est pour cette raison que je ne voulais pas de prothèse dans mon sein, lorsque le chirurgien a évoqué les risques de rejet, de coque, je me suis tout de suite sentie concernée et je refusais de courir ce risque et de mette en l'air définitivement ce sein.
Finalement les résultats de l'analyse de la biopsie n'ont rien trouvé d'anormal.

De toute façon avec cette récidive, j'ai pris encore un peu plus conscience que je ne sortirai jamais du cancer, que les passages au bloc se succéderaient tout au long de ma vie, qu'un de ces jours, on m'enlèverait l'autre sein. Que c'était le prix à payer pour ma vie.

Pendant l'été 2016, je suis partie faire un beau voyage dans les Cyclades, en Grèce, on a visité 4 îles en trois semaines. J'ai pu profiter comme jamais de la mer, de la chaleur, de la beauté des lieux. Il suffisait de me souvenir de mon été précédent avec mes pansements et mes mèches à enfoncer tous les jours dans la plaie de mon sein, la galère des toilettes quotidiennes, l'interdiction de me baigner... Je préfère travailler malgré le cancer et les traitements pour me payer de tels voyages avec mon mari et mes filles plutôt que de financer les conséquences du cancer. C'est mon choix.

Début septembre 2016, est venu le jour où il fallait sauter sur son téléphone pour prendre RDV pour 2017, au centre anti-cancer, avec le chirurgien inventeur de cette méthode de reconstruction. Les rendez-vous pour une année partent en une journée. Seule option qu'il me restait puisque ma mutuelle ne paierait plus les dépassements en privé depuis le CAS. A cause d'une alarme mal programmée, j'étais au travail, je n'ai appelé qu'à 10h, j'ai eu un RDV mi-juin 2017. Sachant que le délai pour être opérée après le RDV est de 8-10 mois. De toute façon, je m'étais résignée à patienter.

Finalement, en octobre, j'ai pris un RDV avec mon chirurgien, celui que je ne voulais plus voir, en hôpital public, j'avais finalement décidé de profiter de sa technicité et je trouvais que c'était pas mal que ça soit lui qui finisse le chantier commencé sur ce sein. Je l'ai vu en novembre, il m'a proposé de m'opérer en décembre 2016, un mois après notre RDV. C'était difficile pour moi de passer les fêtes immobiles, je devais gérer mes filles. Il m'a proposé une autre date alternative, janvier 2017. J'ai accepté. Je suis ressortie sans devis à transmettre à ma mutuelle. Je suis retournée dans l'hôpital faire ma pré-admission, rencontrer un anesthésiste, toujours aucun devis. J'ai demandé une chambre individuelle, ma mutuelle prend encore cet avantage à sa charge.

Je pourrais craindre qu'il me fasse une opération au rabais puisque nous sommes dans un lieu qu'il estime de seconde zone. J'espère qu'il est assez pro dans son boulot, pour qu'une fois le nez sur mes seins misérables, il fasse correctement son travail et me permette de retrouver deux seins de même volume alignés. Histoire que j'arrive à retrouver un aspect féminin, important pour mon bien-être.

L'opération va durer 2h30, on va me mettre un petit coup de morphine. il va gonfler le sein reconstruit avec ma graisse, transformer la peau du dos greffée au milieu de ce sein en un mamelon, prélever de la peau de l'autre sein pour faire une aréole. Diminuer l'autre sein en volume, déplacer le mamelon et l'aréole pour les centrer sur ce nouveau volume. Aspirer le bourrelet sous mon aisselle, là où il avait fait glisser le lambeau lors de la précédente intervention.

Il restera un second temps de lipomodelage pour peaufiner les volumes entre les deux seins, tatouer l'aréole. Et lorsque la peau du dos sera plus souple, reprendre la cicatrice du dos, réinjecter de la graisse pour rééquilibrer le volume entre les deux parties de mon dos. Je pense que ça sera fait par le centre anti-cancer, pas par lui. Il n'en parle plus. Je le soupçonne de vouloir se débarrasser le plus vite possible de moi. Il m'a demandé de ne pas ébruiter cette opération dans cet hôpital. C'est une faveur qu'il me fait.

Je suis partie pour quelques semaines d'arrêt.
Et j'ai oublié une autre nouvelle, la maison du département a refusé de renouveler mes cartes handicapé. Je suis reconnue comme travailleur handicapé mais je n'ai pas de priorité pour les files d'attente, le stationnement. Je suis trop bien portante.
Je vais tenter de refaire un dossier à ma sortie d'hôpital.

J'ai aussi compris que tous ces services gérant la misère humaine comme la sécu, la maison du département, n'étaient pas là pour aider mais pour contrôler et limiter les dépassements. Tout cas est suspect et cherche à outrepasser ses droits. Comme la pharmacie qui rechigne parfois à me délivrer 2 bétadines pour 1 mois, mes traitements étant toutes les trois semaines, des fois que je voudrais économiser sur mon gel douche et me laver à la bétadine...
Il reste les recours mais j'avoue que là je commence à fatiguer avec les paperasses pour prouver ce à quoi j'ai droit.

J'aimerais tant trouver un peu plus d'humanité dans ces services, à la pharmacie, chez les médecins. Je me sentirai un peu moins seule dans mon combat pour rester digne.

En parlant de combat, toutes mes pensées vont à deux femmes exceptionnelles, toutes deux ont des métastases cérébrales après une lutte de plusieurs années contre leur cancer. Je vous aime Hélène et Manuela.

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
Comme je comprends ces espoirs, ces déconvenues, ces tâtonnements, cette recherche d'humanité, d'humanitude ou quelque soit le nom qu'on lui donne. Je n'ai pas encore pris le chemin de cette longue route de la reconstruction et j'en frémis d'avance. Et pourtant, je suis soignante... Mille bises pailletées Isabelle et merci pour tous ces articles dans lesquels nous sommes une foultitude à nous reconnaître - Corinne

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
Ce petit mot pour te dire merci , merci de nous faire partager ton expérience , de nous donner de l espoir face à cette maladie , je suis her2+++ , beaucoup d angoisse que ton vécu m a aidée à dépasser . Je me retrouve complètement dans tes paroles , incompréhension de la part des médecins , soigne toi et tais toi ! Il faut se battre pour faire admettre les douleurs , le mal être , la fatigue , les effets secondaires (que mon MT minimise , voir met en doute ) j ai la chance d avoir un conjoint et des enfants qui me soutiennent . Pour moi fin herceptin en 07/2017 , le chir m a dit de prendre RV 1 mois après pour poursuivre la reconstruction stoppée à cause de la chimio . Cela fait 1 an que je n ai plus mon sein , et comme toi je mets des vêtements plus larges , j ai du revoir ma garde robe . J appréhende et en même temps j aspire cette reconstruction . Retrouver mon corps de femme qui a été meurtri . Je te souhaite de longues et belles années encore malgré cette fichue maladie , merci Isabelledelyon 😉 Bises de Pascale 👍 🍀🍀🍀🍀🍀🍀🍀🍀🍀🍀🍀

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
Quel parcours dingue ,Isabelle .Mais les médecins m'étonneront toujours devant telles choses et ne se rendent pas compte de ce qu'ils nous font subir. A moins que ça soit une femme-médecin qui soit atteinte de cela (mais ses collègues seront là dans les priorités ,c'est sur.!!!!.)
Bien à vous chère Isabelle

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
Je croise les doigts pour toi.
Pour la pharmacie, c'est plus simple, tu peux facilement changer de pharmacie. Mon pharmacien est adorable et cherche toujours les meilleurs crèmes, les meilleures solutions ... Bon, c'est vrai que j'y passe toutes les semaines et j'y laisse pas mal de sous (les crèmes cicatrisantes ne sont pas remboursées ...). Alors j'ai choisi le plus sympa ...
Bon courage. Bisous.

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
Je te souhaite que tout se passe bien et qu'enfin dans quelques mois tu retrouves un corps qui te plaira à toi.
Je compte commencer ce chemin de la reconstruction dans deux mois. J'ai rdv avec le chirurgien dans une semaine pour mettre au point l'opération. Mais, je me demande souvent si je le fais pour moi ou pour mon compagnon. Il a été près de moi moralement, mais je vois bien qu'un seul sein pour lui, ben ce n'est pas possible... Je suis pressée d'y passer et en même temps j'ai si peur de repartir dans les opérations et les soins. Bon courage.

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
Je croise les doigts pour toi chère Isabelle. Peu de gens s'imaginent ce que le cancer peut faire endurer, ton témoignage est important pour nous.
Tu es sans doute sortie de l'hôpital et j'espère que tu vas bien.
Je t'embrasse.

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
bonsoir Isabelle ,je vous souhaite toutes les meilleures chances , je vous souhaite de réussir ,
je ne pouvais pas écrire depuis 1 an , car la santé de nôtre fille baissait au fil des mois , elle est partie à 45 ans rejoindre ses soeurs de combat contre cette horrible maladie il y a 13 jours , le 18 janvier , je suis triste de voir le nouvel article concernant Hélène la crabahuteuse , je lisais souvent son blog , elle aussi s'est battue ,et ce maudit crabe l'a emmenée aussi -
faites attention , soyez attentive, prudente , bon courage - bises

Au bloc : quand on aime, on ne compte pas
Quel témoignage émouvant, on ne devrait pas avoir à batailler ainsi quand on est atteint d'un cancer. Et encore, notre couverture de santé est très acceptable par rapport à d'autres pays, je n'imagine même pas comment cela doit être ailleurs..
Je vous souhaite bon courage pour la suite.


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