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Le principe Transcendance (suite) - 7/- De quoi Dieu est-il le nom

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

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" Dieuestcirconférence etcentre,luiquiestpartoutetnullepart".

NicolasdeCues

On ne peut pas prouver que Dieu existe. Pascal a tenté, par un "pari", detrouverremèdeàcetteimpossibilité." Quim'aimemecrée", ditAragon,résolvant ainsi en partie le problème de Pascal : Dieu est créé par l'amour.L'amour donne sens à la vie humaine et existence à Dieu. L'hypothèse Dieu estune façon de poser la question du principe Transcendance, mais affirmer "parl'amour, Dieu existe" ne démontre rien quant à l'hypothèse Dieu. De mêmeaffirmer que "Dieu n'existe pas" ne démontre rien quant à l'hypothèse "non-Dieu". Dire "Dieu est mort" ne nie pas son existence, mais l'affirme,car nepeut mourir que ce qui vit. Au-delà de la question toujours irrésolue de sonexistence, question que Les Lumières, fondées sur le rationalisme et l'anti-métaphysique, avaient tenté de trancher au 18esiècle, poser l'hypothèse Dieuest donc exercer une certaine façon de penser, qui ne refuse ni la grandeur nilespostulatsetquiinterpelleaussibienlesathéesqueles"croyants".

L'amour de Dieu, fait de fusion entre le monde et l'au-delà du monde, entreimmanenceettranscendancen'estpasradicalementdifférentdel'amourhumain.

L'amourdivinn'estabandontotaldansletranscendantqu'àtravers l'expériencemystiquequi,paruneprofondeméditation-l'oraison-,permetàl'amantd'accédersansintermédiaireàla connaissancedeDieu.Rousseau lui-même aspire à cette expérience : " Que d'hommes entre Dieu etmoi !" regrette le Vicaire savoyarddans " L'Emile". Thérèse d'Avila et Jean delaCroixl'ontpratiquée,jusqu'àlamortpourcedernier,sanspouvoir en établir un manuel de savoir-faire car les " choses de l'oraison" sont " bienobscurespourceluiquin'enapasl'expérience".

Jean de la Croix ne peut que décrire l'oraison. Retrait total du monde et de soi-même et abandon dans les mains de Dieu. Sensibilité d'abord, puis raison,s'effacentdansune" nuitobscure"s'achevantenradieuseaurore.Même " priervocalement "oupratiquerquelquesdévotionsdevientimpossiblependantl'oraison.

L'expérience mystique est par définition incommunicable. Pour paraphraserWittgenstein,latranscendanceabsoluenepeutêtredite,ellese montre.L'Eglisecatholiqueproposantuneméthodepour" savoirfaireoraison",assimilant celle-ci à une simple variété de la prière, en en déterminant lesconditionsmatériellesetledéroulement,metdelalumièreoùilfautl'obscurité, du rite où il faut de l'informulé. En vérité, bien qu'ignorant tout del'oraison, Aragon en parle infiniment mieux lorsque, dans " Le Fou d'Elsa ", ilglorifieainsiJean dela Croix:

" Jean delaCroixjete reconnaisturessembles

Atousceuxpourquileriteetledogme étaient prisons Et qui cherchèrent chemin droit vers Dieu laissant les lacets interminablesdelaraison

" Jean de la Croix tu n'es que le nom chrétien de tous ceux qui se damnentd'amour .

Quedevient lafoi danscesconditions ?

Ecartons d'emblée toute tentative de prouver l'existence de Dieu. Karl Jaspersaffirme dans son " Introduction à la philosophie" : " Un Dieu prouvé n'est pasDieu;ilneseraitqu' unechosedanslemonde".QuandSaintAugustindit:

" Sans la foi vous ne comprendrez pas", il ne veut pas dire que la foi donneaccès immédiat à la compréhension de Dieu, il veut dire que la foi ouvre unevoie oùpeuvent opérer pleinementles outils que sont les sens et la raison.Dansl'espritaugustinien,lafoiestaussilasourceinspiranteoùl'athées'abreuve, pour accéder, grâce aux sensations et à la raison, au vrai et au beau,qui sont des formes de l'idéal propres à tout homme, même sans-dieu. Leproblèmedelafoidépassedonclaseulefoiendieu.Al'anarchiste,quiproclame " Ni Dieu, ni maître ! ", au communiste qui travaille à façonner uneJérusalemterrestre,iln'estpas justededénierunefoienunidéal.

Làoùilyafoi,il y arupture,nouveautéettranscendancepossible.

Rupture, la foi l'est d'abord par rapport à la preuve. La preuve est contenue dans son objet, l'intelligence doit pénétrer l'objet pour la découvrir et l'expliciter. La foi est extérieure à son objet, elle est un faisceau de lumière dirigé sur lui. De la foi laïcisée, la même chose peut être dite : le beau, le vrai, l'idéal, ne peuvent être déduits d'un réel observé, analysé, décortiqué et finalement réduit à une formule logique. Ils proviennent d'ailleurs que de la sphère Monde. Comme Dieu qui " pour pouvoir paraître en ce monde... s'enretire" et " pouryfaireéprouversonomniprésence...estcontraintdes'absenter", paradoxe qu'après Lacan, relève François Jullien dans " Philosophie du vivre ", le beau, le vrai et l'idéal sont forcément extérieurs au monde donné, sans quoi ils ne nous attireraient pas à la frontière de ce monde, là où nous avons le pouvoir d'aller les chercher.

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Entre 1514 et 1525, dans les états allemands réformés, la Guerre des paysans fournit un exemple riche d'enseignements par ce qu'elle montre du point de vue social et politique mais aussi par ce qu'elle dit de la transcendance et des conceptions que s'en font les uns et les autres, les croyants s'y révélant parfois en réalité hommes "de peu de foi" et d'une immanence dogmatique.

Pour Alain Badiou l'Eglise est " l'avatar étatique" du christianisme, comme le stalinisme fut celui du communisme, et le protestant Paul Ricœur, penseur majeur de l'herméneutique - l'art d'interpréter -, voit dans la religion une " aliénation de la foi" . Dans la guerre des paysans, les églises, expressions institutionnelles variables de la foi en Dieu, ont imposé par les armes leur conception formaliste et inhumaine de la transcendance. A Thomas Münzer prêchant un royaume de Dieu que Marx et Engels considèreront plus tard comme le programme communiste le plus avancé de l'époque, le

"réformateur"Lutherrépondenexigeantdesprincessouabesqu'ilsécrasent " lesbandespaysannesassassinesetvoleuses"etrétablissentainsiune suzeraineté...qu'ilstiennentdeDieu!Luther,endivinisantaprèsSaintPaul " l'autoritétemporelleetl'obéissancequiluiestdue "faitdumouvementreligieuxpopulaireettransformateurdelaRéformeunconservatismepolitiqueprincier ;etlepaysanallemand,dépourvudetoutdroit,saufexceptionslocales,restejusqu'audébutdu19esièclelapropriétédesonseigneur.

Précurseur du totalitarisme pour les uns, prophète du communisme libérateur pour d'autres, ThomasMünzer(1489-1525)fut un des premiers "théologiens de la libération". Prédicateur d'un communisme millénariste, il conduisit la Guerre des paysans qui mit le feu à l'Allemagne et à l'est de la France actuelle, et pour cela avec ses compagnons fut arrêté, torturé, et décapité, par l'armée des princes.

ErnstBlochdanslechapitre5de" ThomasMünzer,théologiendelarévolution" témoigne de l'état d'esprit d'un philosophe du 20e siècle tournéversl'émancipationdeshommesàtraversla pratiqued'unetranscendancesans dieu, messianismeséculier dont un certain marxisme pouvait alors êtrevecteur. " Laissons cequi estmort, nous adjure Bloch. Riennenous retientplus là où le festin est terminé, nous allons de l'avant, nous nous projetons enrêve dans notre avenir. L'élan vital de notre temps, immensément accru, senourrit déjà à de nouvelles sources ; son évidence incontestable instaure unefoi secrète, encore cachée. Si de puissantes forces réussissent à prendre appuisur cette foi, l'homme enfin quittera le sol, il s'élancera vigoureusement versles hauteurs[...]. Cetteforcequi créalamachine etqui, transformantlevouloir, pousse vers le socialisme, c'est elle justement qui instaure aussi cetteautreréalitémystérieuse,encorelatentedanslesocialisme,queMarxaméconnue,qu'ilnepouvaitpointnepasméconnaître[...].Unnouveaumessianisme se prépare... non point aspiration à la tranquillité du sol ferme,desœuvresfigées,desfaussescathédrales,d'unetranscendancerecuite,coupée maintenant de toutes ses sources, - mais aspiration à la lumière del'instant même que nous vivons, à l'adéquation de notre émerveillement, denotre pressentiment, de notre rêve continu et profond de bonheur, de vérité,de désensorcellement de nous-mêmes, de déification et de gloire intérieure...Ainsis'unissentfinalementlemarxismeetlerêvedel'inconditionné, allantdu même pas, incorporés dans lemêmeplandecampagne-puissancedeprogrèsetfindetoutcetuniversambiantoù

l'homme ne fut qu'un être accablé, méprisé, anéanti - reconstruction de laplanète Terre, vocation, création, saisie violente du Royaume. Avec tous lesMillénaristes,Münzerresteceluiquiappelaleshommesàcetorageuxpèlerinage".

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Dans"siècle, les églises historiques assurent-elles autre chosequ'une sorte de" Dieu, unitinéraire", RégisDebraynousavertit : " Dumonothéismetout a été dit, et son contraire. Qu'il est un humanisme, et une barbarie. Unelibérationetunfléau.Laguérisondenotremal-être,etlanévrosedesubstitution" servicepublicde la transcendance" comme le reconnaîtl'Evêque Hippolyte Simon dans son ouvrage " Vers une France païenne" ? Ceconstatfaitquelesreligions,c'est-à-direleséglisesetlecultequ'ellesstructurent,nepeuventpasouplusnousfournirl'imaged'unefoifondamentale faite de rupture et de création. Une théologie négative - seul ceque Dieu n'est pas peut être énoncé - préserve au moins la liberté de l'homme,àsavoirsacapacitéàrompreavecunpassédépasséetàinventerindividuellementetcollectivementunavenir.Leservicepublicdelatranscendancen'arien detranscendant.. Au 21 ème

Que faire du concept Dieu ? Quand Copernic et Kepler décrivent un universlimité par des sphères fixes, Giordano Bruno pense que l'univers est infini,car Dieu, cause infinie, ne peut produire que de l'infini. L'infini, c'est le " Tout-Un"où" l'âmedumonde"produiteparDieuimprègneles" monades "-unités les plus simples composantles formes etla matière. Dieuetlemondene font qu'un ; à quoi bon donc se quereller, souvent dans le sang, comme lefontles religieuxfanatiques.

Que nous dit Teilhard de Chardin, accusé lui aussi de panthéisme à uneautre époque, de l'accès à Dieu ? " Saisir [...] la Transcendance créatrice àtraversl'Immanenceévolutive ".ToutTeilhardneseréduitpasàcetypede formulesquiabondentcependantdanssonœuvre,maiselleditbiencependant la rupture avec l'orthodoxie catholique, y compris avec Saint Pauldont pourtant le père ne se démarque jamais explicitement, et la continuitéavec Giordano Bruno sur l'idée que dieu peut être rencontré en toute chose dumonde.

a vécu et pensé avec Marx, Jésus et Muhammad, mais, quelle quesoitlacommunautéreligieuseoupolitiqueoùilmilita,ilyfitsiennel'aspiration du maître soufiste Ibn Arabi : " Devenir l'homme universel, c'est-à-dire faire de sa propre vie un lieu de la manifestation du divin". Ibn Arabidénonce aussi l'illusion consistant à " imaginer que le monde est une réalitéautonome, séparéde Dieu, alorsqu'iln'estrien en soi[...]. Iln'ya dansl'existence que ce qui désigne l'Un ; il n'y a dans l'imagination que ce quidésignelemultiple"(cemultiplequeTeilhardappelleaussi" dispersion")et " touteparticuledumondeestlemondeentier". Lafiliationestévidente.Décrivant son propre itinéraire, Garaudy écrit : " Venu vers l'Islam avec laBiblesousunbrasetMarxsousl'autre,jem'efforcedefairevivredansl'Islam,commedanslemarxisme,lesdimensionsd'intériorité,detranscendance et d'amour", dimensions qui, font de Dieu " ni un être ni unmaître...maisun acte :dire Dieuc'est choisirunemanière de vivre",assume r

" une présence en nous de l'exigence, responsable et libre, de notre propredépassement... Dieu est plus près de nous que notre veine jugulaire, dit leCoran ".

Le panthéisme "par en bas", postulant Dieu partout, finit par ne le voir nullepart, ouvrant ainsi sur un athéisme de fait. Le panthéisme "par en-haut", auclassique "dieu en toutes choses" ajoute, en réciprocité, "toute chose - et touthomme - en dieu" : " Tous les êtres sont en moi et moi je ne suis pas contenuen eux... Porteur des êtres et non enfermé en eux, je suis l'acte qui fait être ",ditlaBhagavadGita,un deslivressaints desHindous


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