Par Sébastien Thiboumery.
Au cours des neuf derniers mois, Jerome Powell (président de la Fed, la banque centrale américaine) a monté les taux d’intérêt de la façon la plus rapide depuis les années 1980. En effet, l’inflation atteignant les niveaux les plus élevés depuis 40 ans, les officiels de la Fed étaient unanimes sur le fait qu’ils devaient monter les taux de manière agressive. Ce fût la première étape, de loin la plus facile.
Car maintenant que l’inflation semble montrer des signes de ralentissement, la question concernant la hausse des taux directeurs est la suivante : stop ou encore ?
Pour Joseph Stiglitz, c’est stop
Dans une tribune du think tank Roosevelt Institute « All Pain and No Gain from Higher Interest Rates » et traduite dans Les Échos sous le titre : « Hausse des taux : une souffrance inutile », le Nobel d’économie déclare que la lutte contre l’inflation à travers les hausses de taux va provoquer une récession et accentuer les inégalités en fragilisant les plus pauvres avec l’augmentation du chômage. Le remède serait donc pire que le mal. D’autant plus que, selon l’économiste, l’inflation ralentit déjà.
En effet, les derniers chiffres publiés pourraient laisser penser que le pic d’inflation serait atteint, l’indice des prix à la consommation s’établissant à 7,1 % en novembre.
Stiglitz pense que Powell fait une mauvaise analyse des causes de l’inflation, due selon l’économiste à plusieurs chocs d’offres successifs (covid, conflit en Ukraine…). Mais au lieu de chercher à résoudre les goulets d’étranglements, Powell « cogne partout dans l’économie » en voulant faire diminuer la demande :
« Un niveau plus élevé de taux d’intérêt fera-t-il augmenter l’offre de puces électroniques automobiles, ou l’offre de pétrole ? Fera-t-il baisser les prix des produits alimentaires […] ? Évidemment, non. Au contraire, des taux d’intérêt plus élevés rendent encore plus difficile la mobilisation des investissements susceptibles d’atténuer les pénuries d’offres. »
Stiglitz soulève un point intéressant. En effet, si la Fed pense que l’inflation vient d’une inadéquation entre offre et demande, deux approches s’offrent à elle :
- Augmenter l’offre grâce à l’investissement productif.
- Réduire la demande via une baisse des revenus, du pouvoir d’achat et donc des conditions de vie.
La Fed a fait le choix numéro deux car si elle voulait augmenter l’offre elle réduirait les taux d’intérêt. Or, en augmentant les taux, elle souhaite faire baisser les marchés des actions et de l’immobilier afin que les Américains se sentent moins riches, qu’ils achètent moins et que les prix arrêtent de monter. Au vu de l’évolution de l’indice de confiance du consommateur Michigan, les Américains ont déjà le moral dans les chaussettes (ce qui est indicateur de récession).
Et cela ne risque pas de s’arranger (au grand dam de Joseph Stiglitz) si l’on en croît la présidente de la Fed de Kansas City, Esther George, qui pense que le ralentissement de l’inflation doit passer par une récession. Principale raison invoquée selon elle : la force du marché de l’emploi qui ne cale toujours pas. Il y a donc fort à parier que la « souffrance inutile » va continuer.
La Banque centrale européenne n’est pas en reste. Pour sa dernière réunion de l’année, elle a envoyé un message très clair : le combat contre l’inflation est loin d’être terminé et les taux d’intérêt devraient encore augmenter sensiblement à un rythme soutenu. Ainsi, Lagarde marche dans les pas de Powell, marchant lui-même dans les pas de son lointain prédécesseur Volcker.
Au final, si les banquiers centraux adoptent une position dure sur l’évolution des politiques monétaires c’est parce qu’ils n’ont pas vu venir l’inflation en la qualifiant durant trop longtemps de « transitoire ». Après ce diagnostic erroné, ils préfèrent donc en faire trop que pas assez dans le resserrement monétaire afin de ne pas subir de nouvelles critiques (comme par exemple le fait que l’inflation résulte également d’une création monétaire très élevée avec l’expansion massive de la taille de leurs bilans, qu’ils cherchent désormais à réduire).
Mais chut ! Cela risquerait de leur gâcher les fêtes…