Par Johan Rivalland.
« Laissez-nous faire, laissez passer le grain. »
Voilà le cri du cœur lancé par un certain Legendre, marchand de son État, répondant à Colbert sur les moyens d’aider le commerce. Une formule sortie de son contexte et manipulée par la suite… mais toujours d’actualité.
Douzième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».
La liberté d’action et de circulation
Voici ce que rappelait Jean-Yves Naudet, en lien avec l’actualité en 2014, à ce sujet :
« Il faut remonter au XVIIe siècle et à Colbert. Celui-ci recevait une délégation de chefs d’entreprises menée par Legendre. Colbert, en interventionniste fondateur du colbertisme, leur demande « que puis-je faire pour vous aider ? ». Dans son esprit, cela signifie : subventions, privilèges, monopoles, réglementations, fermeture des professions… La réaction de Legendre a laissé Colbert perplexe : « Laissez-nous faire ». Nous n’avons pas besoin de votre aide et de vos fonctionnaires, pas besoin que l’État se mêle de ce que nous savons faire nous-mêmes. Mais au moins ne nous mettez pas de bâtons dans les roues, rendez-nous notre liberté, le reste, nous nous en chargeons. »
Cet épisode et ce Legendre ont-ils vraiment existé ou s’agit-il d’une formule qui serait en réalité l’œuvre de Vincent de Gournay, dont Turgot dressait un éloge vibrant, celui-ci l’ayant largement inspiré dans ses réflexions et ses actions ?
Peu importe.
Ce qui est sûr est que les disettes étaient courantes encore à l’époque et qu’il était d’une complète aberration et proprement inouï que, par ses mesures réglementaires et protectionnistes, empêchant la libre-circulation des grains d’une contrée à une autre en France, des gens souffrent ou meurent alors même qu’à quelques kilomètres à peine de chez eux des excédents de récoltes leur auraient permis de manger à leur faim. Tout cela parce que, par son interventionnisme criminel, l’État empêchait la liberté du commerce.
Et on voudrait incriminer le libéralisme, lui prêter des intentions dites « égoïstes » n’ayant rien à voir avec ses principes ? Nous n’avons affaire là qu’à pure ignorance. Et il est un fait que l’ignorance prend bien plus souvent le pas sur la connaissance que l’inverse.
Laissez-nous faire, cessez de nous mettre des bâtons dans les roues !
Plus de 300 ans après, c’est un autre cri du cœur similaire qui est lancé par le maire de Mandelieu-la-Napoule le 25 novembre 2019, suite aux inondations qui ont touché de manière impressionnante les Alpes-Maritimes. Là encore, on peut qualifier l’interventionnisme de criminel – même si ce n’est bien évidemment nullement intentionnel – pour ne pas dire absurde, en tous les cas inconséquent.
Car c’est une nouvelle fois le poids de la réglementation – pire, ses contradictions parfois absurdes – qui mène à la catastrophe et à la mort d’individus. Lisons un extrait de l’article de presse mis en lien ci-dessus concernant l’appel de ce maire (et de plusieurs autres responsables publics locaux en accord avec ses propos) :
« … Il dénonce « une contrainte totalement contradictoire » en matière d’urbanisme : « On nous demande de faire des logements en nombre – je dois en faire 2500 pour être dans la loi et on me punit de ne pas les faire et de l’autre côté on me demande de rendre à la nature le plus de sols possible », explique-t-il. « Moi, je préfère privilégier la lutte contre l’inondation mais pour faire des aménagements contre l’inondation, il me faut des dizaines d’années de procédures puisque c’est très compliqué », poursuit-il. « J’en appelle donc au président de la République et aux parlementaires : je leur demande de simplifier la législation, de simplifier les réglementations, de rendre le pouvoir aux locaux pour pouvoir aménager. Laissez-nous faire, on peut le faire, mais laissez-nous agir et arrêtez de nous contraindre avec des procédures qui n’en finissent pas.
Le libéralisme, un « laisser-aller » ?
Le « laisser-fairisme » n’est donc qu’une simple vision de l’esprit créée par des ennemis du libéralisme, puis répandue médiatiquement, pour s’ancrer dans les esprits de tout un chacun de manière insidieuse et difficilement réversible.
La philosophie libérale est bien plus fine que les caricatures que l’on veut bien en dresser de manière souvent scandaleuse. Et lorsque d’aucuns prônent le « laissez faire » (avec un « z » et non un « r ») dans tel ou tel domaine ce n’est jamais avec l’intention qui lui est généralement prêtée.
Pire encore, il en va de même avec cette idée parfaitement insidieuse qui consiste à associer le libéralisme avec le « laisser-aller ». Une nouvelle fois nous sommes dans la grossière caricature. Et le plus désolant est que des gens, même de bonne foi, sont parfaitement convaincus de la validité de ce type d’assertion.
Hier encore, j’écoutais face à moi quelqu’un de tout à fait sympathique et agréable, nullement mal intentionné et plutôt assez instruit, qui devisait – à la veille des grandes grèves qui allaient débuter ce 5 décembre 2019 – sur les risques et dérives de notre société actuelle. Les inquiétudes face aux mouvements sociaux, les Gilets jaunes, casseurs et autres voyous venant de banlieues jusqu’à Paris, Christophe Guilluy et la France périphérique… jusqu’au moment où, évoquant certains quartiers fermés à la police où règne la loi des dealers, cette personne se met à sortir un couplet sur l’ultralibéralisme qui régnerait dans ces quartiers.
Je n’ai rien dit – parfois c’est vain et je n’avais de toute façon pas du tout le temps car j’étais très occupé – mais c’était hélas tout à fait représentatif ce que beaucoup pensent, emportés par leurs croyances et ignorants des fondements philosophiques du libéralisme. Poursuivant sa pensée, cette personne mélangeait alors loi de la cité, absence d’autorité, trafic en toute impunité, règlements de comptes par le moyen d’une balle dans la tête et « ultralibéralisme » à la Alain Madelin (qui, si d’aventure il lit ces lignes, ne pourra que s’en attrister, tant cette caricature est d’une ignominie consternante). Je ne pouvais que prendre ma plume pour tenter de lutter à ma toute petite échelle contre de telles horreurs d’attributions intellectuelles…
Laisser-aller et État-gendarme
Ceci m’a aussi laissé entrevoir la contradiction incroyable qui peut régner dans certains esprits (universitaires) entre d’un côté cette idée absurde que nous venons d’évoquer d’un « laisser-aller », et une autre facette souvent caricaturale – en parfaite contradiction – prêtée au libéralisme, souvent apparenté à une sorte « d’État-gendarme ». Avec toute l’évocation péjorative que l’on peut imaginer derrière cette formule réductrice… Comme quoi nous ne sommes plus à une contradiction près et que lorsqu’on évoque le libéralisme, on ne sait pas très bien de quoi on parle, si ce n’est d’une sorte d’épouvantail protéiforme qui a bon dos et permet une forme de défoulement apaisante.
Rappelons, si besoin est, que le libéralisme est par nature attaché au respect des droits des individus, aux libertés fondamentales, au droit de propriété, à la protection de la personne à la fois dans son intégrité physique et morale, à la responsabilité.
Comment imaginer un seul instant que « loi de la cité » et libéralisme auraient quoi que ce soit à voir ensemble ?
Laisser-aller : mais de qui parlons-nous ?
Pour conclure, car le thème de cet article pourrait largement occuper un ouvrage entier à lui seul – mais il faut ici faire court – j’aurais tendance à renverser les propos contenus dans les idées reçues esquissées précédemment en faisant remarquer que c’est plutôt l’État, par son interventionnisme excessif, qui a tendance – malgré lui – à conduire dans de nombreux domaines au laisser-aller. Joli paradoxe. À vouloir se mêler de tout et de rien il finit par être très souvent inefficace et causeur de troubles. Cela ne date pas d’hier, ainsi que nous l’avons vu, et ses interventions, par leur absurdité parfois et leurs contradictions comme nous l’avons vu aussi, peuvent s’avérer nuisibles.
Un seul exemple – en lien avec l’actualité : le système des retraites. Avec un petit rappel à tous ceux qui marquent leur refus inflexible de toute réforme (ou changement de système) quelle qu’elle soit : à force de laisser-aller et d’inconséquence politique de la part de « l’État » et ceux qui le représentent, la Grèce dos au mur a fini par devoir consentir d’autorité une baisse généralisée des retraites de 30 % du jour au lendemain. Voilà qui laisse songeur. Et qui pourrait bien nous arriver. Mais c’est sans doute là un autre sujet… quoique.
À lire : articles de la série « Ce que le libéralisme n’est pas » :
- Ce que le libéralisme n’est pas
- Pourquoi le libéralisme n’est pas une idéologie
- Pourquoi le libéralisme n’est pas « sauvage »
- Pourquoi le libéralisme n’est pas la défense du grand capital
- Pourquoi le libéralisme n’est pas la marchandisation de la culture
- Le libéralisme n’est ni responsable, ni coupable, de la « casse sociale »
- Pourquoi il ne faut pas confondre libéralisme et matérialisme
- Le libéralisme ne peut être réduit à une doctrine économique
- Le libéralisme défend des individus, non des élites
- Non, le libéralisme ne recherche pas l’intérêt général
- Non, le libéralisme n’est pas un déterminisme
- Pourquoi le libéralisme n’est ni le laisser-faire, ni le laisser-aller
- Pourquoi le libéralisme n’est pas du tout ce que croit Michel Onfray
- Pourquoi le libéralisme n’est pas bien vu d’une grande partie des Français
- Pourquoi le cataclysme du Covid-19 n’a aucun rapport avec le libéralisme
- Non, le libéralisme n’est pas mort avec la crise sanitaire
- Néolibéralisme, le bouc émissaire bien commode