Peut-on encore faire confiance aux médias canadiens pour relater correctement les faits quand il s’agit de questions environnementales controversées? Bien entendu, on ne saurait généraliser pour l’ensemble des médias et des journalistes, mais la récente couverture des répercussions de l’industrie forestière sur les changements climatiques soulève une série de questions troublantes sur l’objectivité et la fiabilité de certains médias de premier plan et journalistes reconnus.
Le 18 octobre 2022, La Presse Canadienne a publié un article, repris par Radio-Canada, qui reprend sans le moindre discernement les conclusions d’un rapport du Natural Resources Defense Council (NRDC) et de Nature Canada. Dans le rapport, ces ONG affirment que le Canada comptabilise mal la contribution du secteur forestier aux changements climatiques « afin de masquer ses émissions ».
Deux semaines plus tard, un journaliste du Toronto Star a publié un article semblable où – à l’exception d’une brève réfutation de la part d’une association de l’industrie forestière – les projecteurs sont braqués sur les affirmations du NRDC, et près de la moitié du texte n’est que citations d’activistes environnementaux.
Ceux et celles qui s’occupent de faire ce genre de couverture ne devraient-ils pas explorer différents points de vue, plutôt que de prendre tout ce que publie une richissime ONG américaine comme la vérité infuse lorsqu’il tente d’influencer nos politiques intérieures touchant un secteur clé? Malheureusement, loin de rapporter avec précision les faits entourant l’industrie forestière canadienne, ces articles se contentent de relayer les propos du communiqué de presse du NRDC sans y poser de regard critique.
Penchons-nous sur certaines des affirmations de l’article de La Presse Canadienne. On y lit d’abord que le rapport du NRDC « utilise une méthodologie et des données fédérales pour tenter de déterminer la quantité de carbone émise par le secteur forestier canadien ».
En réalité, le NRDC a inventé une nouvelle méthodologie de toutes pièces pour en arriver à une conclusion préétablie. Pour estimer les émissions et absorptions de carbone des forêts, Ressources naturelles Canada (RNCan) s’appuie pour sa part sur des standards reconnus à l’échelle internationale et utilisés par les scientifiques depuis une trentaine d’années. De plus, contrairement à l’approche du NRDC, les méthodes d’inventaire de gaz à effet de serre (GES) du Canada se fondent sur la recherche évaluée par les pairs.
L’ONG rapporte ensuite que les calculs du gouvernement sont « faussés » puisque, selon l’article, « Environnement Canada déclare les émissions directes pour presque tous les secteurs de l’économie, mais pour l’exploitation forestière, ces émissions sont calculées au moyen de ‘‘flux nets combinés’’, qui tiennent compte à la fois des processus naturels et des activités industrielles ».
Si le journaliste avait bien fait ses recherches, il aurait pu expliquer aux lecteurs que, dans les faits, la récolte du bois n’est qu’un petit aspect de la gestion globale et de l’utilisation des terres dans les forêts canadiennes, puisque seulement 0,21 % de la forêt canadienne est exploitée annuellement. En comparaison, 4 % des forêts sont touchées par les insectes chaque année, et 0,06 % par les incendies. Plus important encore, 100 % des zones exploitées sont régénérées soit par la plantation d’arbres, soit naturellement, comme l’exige la loi canadienne.
C’est pourquoi la mesure des émissions globales pour l’ensemble de la forêt aménagée constitue une méthode beaucoup plus instructive pour comprendre le rôle climatique des forêts.
En effet, comme le souligne RNCan, « les émissions et absorptions annuelles de GES pour une vaste zone forestière ne peuvent être mesurées directement ». Pour avancer des estimations raisonnables, les scientifiques doivent tenir compte aussi bien des émissions d’origine humaine que des émissions dues aux perturbations naturelles.
Sur la foi de ces fausses affirmations du NRDC, l’article de La Presse Canadienne insinue que la déclaration des émissions du secteur forestier canadien ne serait pas au diapason des normes scientifiques généralement acceptées. « Le gouvernement exclut les émissions de carbone dues aux feux incontrôlés de son calcul pour le secteur, explique le journaliste, mais il accorde des crédits de carbone pour l’absorption due à la repousse forestière, même dans le cas des forêts qui n’ont jamais été exploitées et dont la régénération ne dépend pas des humains. »
Or, il n’y a rien de plus faux, comme l’auraient facilement confirmé des recherches même sommaires. Les émissions dues aux feux incontrôlés et l’absorption due à la repousse forestière sont bel et bien prises en compte, dans la catégorie « perturbations naturelles ». En ce qui concerne les forêts de 70 à 100 ans (l’âge de maturité pour le commerce), elles entrent dans la catégorie des activités humaines. Cette approche, comme l’explique RNCan, permet aux autorités de réglementation de mieux comprendre l’incidence des activités humaines sur les forêts et d’orienter les efforts visant à augmenter la séquestration du carbone par les forêts.
Il convient de le répéter : seulement 0,21 % de la forêt canadienne est exploitée annuellement. Ainsi, il serait absurde de déclarer les émissions provenant de zones exploitées récemment tout en ignorant l’absorption du reste des forêts aménagées, où l’on trouve notamment des zones précédemment exploitées qui, en se régénérant, absorbent maintenant davantage de CO2.
Au lieu de croire aveuglément les affirmations du NRDC, La Presse Canadienne aurait pu communiquer avec un scientifique indépendant puis rapporter ces faits si importants à ses lecteurs.
Le NRDC affirme également que le gouvernement sous-estime la déforestation et les émissions de carbone associées attribuables aux « cicatrices d’exploitation », c’est-à-dire les zones où aucune repousse n’a eu lieu en raison des effets persistants des chemins forestiers et d’autres activités qui étaient plus courantes il y a une trentaine d’années. Mais ces pratiques forestières sont maintenant dépassées, et les pratiques actuelles ont une empreinte nettement moindre.
Le Canada est reconnu mondialement depuis longtemps pour ses pratiques d’aménagement forestier durable et détient actuellement 35 % de la superficie forestière certifiée dans le monde. En outre, des études indépendantes ont démontré que le Canada regagne actuellement des forêts.
Le journaliste aurait pu mentionner ces points pour contrebalancer les fausses affirmations du NRDC s’il avait vraiment voulu « être impartial en traitant des nouvelles concernant des parties ou des sujets controversés » et « donner une voix équitable à toutes les parties », selon les principes de La Presse Canadienne. Mais ce n’est pas ce qu’il a fait, et son article est truffé d’erreurs grossières qui auraient aisément pu être rectifiées ne serait-ce qu’avec un brin de recherche.
De toute évidence, le NRDC tente de ternir la réputation d’un énorme secteur de l’économie canadienne pour des raisons idéologiques. Son discours est assez clair : la foresterie est nuisible et devrait être restreinte. Toute donnée qui n’appuie pas cette idée est rejetée.
Naturellement, chaque personne a le droit d’avoir des opinions et d’essayer de les faire circuler. Par contre, tout organe de presse sérieux devrait se montrer doublement vigilant et s’assurer d’obtenir l’avis d’experts pour vérifier l’exactitude de ses observations avant de les présenter comme des faits, surtout lorsqu’il est question d’un sujet technique et complexe.
Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.