Chroniques d’un anthropologue au Japon (66)

Reset

Osaka. Umeda. M., 37 ans, japonaise, était infirmière jusqu’en décembre dernier. Son mari est français et livreur pour Amazon. Il travaille beaucoup, et le couple peine à trouver du temps ensemble. Lorsque M. a décidé d’arrêter son travail, elle m’a annoncé faire une pause. Elle partirait pour Aomori, au nord du Japon pour un voyage à durée indéterminée. Selon son humeur. Sans réserver d’hôtel. Elle verrait sur place. Je lui souhaitais bon voyage. Trois jours après, je recevais un mail. Rentrée de voyage, elle voulait prendre une leçon de français. Surpris, je lui répondais, « déjà rentrée ! » pour rire. Ça irait, elle a de l’humour. 

En leçon, elle m’offre une pomme d’Aomori. La spécialité régionale. Je ne vois pas la différence avec les pommes du supermarché, mais je suis touché par son geste. Je lui demande pourquoi elle est rentrée si tôt. Parce qu’il neigeait trop. M. voudrait maintenant utiliser son temps libre pour se cultiver. Depuis début janvier, elle lit un livre de psychologie positive, pour donner du sens à sa vie. Elle m’explique que son livre lui dit de manger peu régulièrement, plutôt que trop d’un coup. Je suis assez d’accord. Je lui demande si elle fait un régime. Elle me répond que non en rigolant. 

Elle me dit qu’elle voudrait faire un « reset ». L’expression empruntée à l’informatique m’inquiète. Sur une console de jeu ou un PC, faire un reset n’est jamais bon signe. On recommence TOUT à zéro. Travail, famille, personnalité, adresse, tout. Je lui demande des précisions : Un reset ? les yeux écarquillés. Oui, réussir à me détendre, oublier le travail. Je suis rassuré. Ah oui, oublier le travail. C’est difficile ça. Moi j’ai cauchemardé dix ans d’un travail pénible dans un hôtel pendant l’été 2001. Mais on finit par tourner la page.

Hier, en sortant de classe je tombe sur l’affiche d’un restaurant. Faites un « Reset » avec nos salades après les fêtes de fin d’année. Je m’aperçois que le mot est à la mode. Que M. ne l’a pas inventé. Elle a dû le lire dans son livre. Je lui demanderai la semaine prochaine.

Remi Brun