Les conséquences de ces grèves sont cependant loin d'être désastreuses aujourd'hui : en effet, la " L'enjeu est considérable : maintenir l'acquis au profit des générations futures dépend, au-delà de la démographie et de l'économie, de notre capacité à actualiser le pacte de solidarité qui lie les générations entre elles. (...) Il s'agit de préparer l'avenir des jeunes générations pour que notre société, demain, continue à reconnaître à ses anciens la place et le niveau de vie qui leur revient. " (Michel Rocard, Premier Ministre, préface du Livre blanc sur les retraites, 15 avril 1991).
Ce mardi 31 janvier 2023, c'est une nouvelle journée de manifestations et de grèves contre la réforme des retraites du gouvernement. Principalement dans le secteur public, notamment dans les transports (SNCF, RATP), l'éducation (écoles), les grèves ont pour objectif de créer un rapport de forces avec le gouvernement.
pandémie de covid-19 est passée par là et la plupart des personnes qui souhaitent quand même travailler cette journée le peuvent désormais, sans prendre les transports en commun, sans non plus saturer la circulation automobile (c'est cela qui est nouveau), car il existe maintenant le télétravail. Seules, les grèves continues pourraient affaiblir l'économie, mais un jour par semaine ne paraît plus en mesure de créer un rapport de forces.
Je ne doute pas de la sincérité de tous ceux qui manifestent ou qui font grève pour sauver les retraites par répartition. Et en quelque sorte, malgré le côté râleur d'un peuple français pourtant souvent responsable et sérieux, c'est une chance : le consensus reste très fort pour que le principe de notre système de retraite, généralisé depuis la Libération, reste par répartition. Car c'est aussi l'objectif du gouvernement, sauver nos retraites par répartition. Un objectif commun, c'est déjà cela. Je suis convaincu qu'un tel consensus n'existera jamais aux États-Unis sur ce sujet, par exemple.
En revanche, si nous voulons vraiment sauver nos retraites par répartition, il nous faut être lucides et anticiper. Sans cela, nous risquons de nous fracasser contre un mur qui est le mur comptable. C'est vrai, le peuple français a envie de rêver.
Les électeurs de François Hollande l'ont cru lorsqu'il disait au Bourget le 22 janvier 2012 que son principal adversaire, c'était le monde de la finance : " Mais avant d'évoquer mon projet, je vais vous confier une chose. Dans cette bataille qui s'engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance. (...) Cette emprise est devenue un empire. ". Comment des électeurs de gauche, trompés déjà mille fois par le verbe de François Mitterrand, ont-ils pu retomber dans le panneau ? Cela reste pour moi un grand mystère.
Toujours est-il que le peuple français a envie de rêver, a envie de grandes épopées, qu'elles soient napoléoniennes ou gaulliennes, ou qu'elles soient socialisantes avec le Front populaire, la victoire de François Mitterrand et quelques autres aventures. Plus généralement, les électeurs français croient aux promesses des candidats qui vont gagner, ce qui est terrible et justifie a posteriori la dévaluation de la parole en politique. On veut croire au Père Noël, on veut raser gratis. Les rêves idylliques finissent toujours en cauchemars dans la réalité du monde. La France, heureusement, n'est pas tombée ni dans le nazisme ou le fascisme, ni dans le stalinisme, même si elle n'a pas beaucoup de leçons à donner aux autres peuples quand on observe le bilan humain de Napoléon.
Il y a un véritable contresens dont sont très conscients les meneurs de cette confrontation sociale : on ne remet pas en cause les retraites par répartition quand on recule l'âge légal de la retraite de 62 à 64 ans. Au contraire, cela permet d'anticiper et de les préserver.
Rappelons une chose importante : on cite souvent le programme du CNR (Conseil National de la Résistance). La première chose, c'est qu'il date de 80 ans et qu'il s'est passé beaucoup de choses entre-temps pour ne pas reprendre un vieux programme. Néanmoins, quelques principes fondateurs ont porté notre modèle social qu'il faut préserver (le consensus reste celui-là). La deuxième chose, c'est qu'il n'a jamais promu la retraite à 60 ans ! La généralisation de la Sécurité sociale, y compris des retraites, a été adopté le 26 avril 1946. Et la retraite était à 65 ans avec une espérance de vie bien moindre que maintenant.
En effet, jusqu'en 1981, l'âge légal de départ à la retraite était de 65 ans et personne n'avait protesté. À l'époque (1946-1981), la situation des retraites était très favorable à la répartition : beaucoup de cotisants (avec le baby boom) et peu de retraités (à cause de la guerre). Les actifs pouvaient aisément contribuer au financement des pensions de leurs aînés sans être trop plombés financièrement.
Mais alors que la tendance démographique allait s'inverser (beaucoup de retraités à partir des années 2010 et baisse de la natalité à partir des années 1980), le gouvernement socialo-communiste de 1981 n'a pas trouvé mieux que de réduire de cinq ans l'âge légal de départ de la retraite, ce qui a augmenté fortement le nombre de retraités (et réduit d'autant le nombre de cotisants). Mesure aussi irresponsable que plus tard, les 35 heures, mais qui jouit, dans la vie politique, d'une sorte de nostalgie sociale du Front populaire.
On a laissé croire aux Français qu'ils pouvaient gagner plus en travaillant moins, et cela au moment où la France s'ouvrait dans une globalisation des échanges économiques qui allait rendre la compétition commerciale beaucoup plus rude.
Si le Président Emmanuel Macron voulait détruire les retraites par répartition, il lui suffirait de ne rien faire mais aussi, de ne pas faire payer les déficits déjà actuels des caisses de retraite par les contribuables (on compte actuellement 30 milliards d'euros de financement par l'État des caisses de retraite et cela va croître sans réforme, je reviendrai sur les chiffres dans un autre article).
C'est parce qu'Emmanuel Macron veut justement les sauver, ces retraites par répartition, à l'instar d'une très grande majorité de personnes dans le pays, qu'il souhaite rendre le système structurellement équilibré et supprimer définitivement l'hypothèse d'une faillite et d'un effondrement du système (qui affectera en premier lieu les moins aisés). C'est à son effondrement qu'on devra proposer la retraite par capitalisation pour compenser. Mais c'est justement ce que le gouvernement veut éviter.
Inversement, si un actif veut être le maître des horloges et le maître de sa vie, décider l'âge de sa retraite en toute liberté, selon ses impératifs et ses envies, ses projets et ses contraintes, la retraite par capitalisation est sa solution : s'il épargne plus pendant sa vie professionnelle, il peut espérer partir plus tôt ; au contraire, s'il dépense toute sa rémunération tout de suite, il lui faudra travailler plus. Ce système par capitalisation est un système individuel, chacun fait comme il le souhaite. J'avais une très proche collègue américaine et elle me disait qu'elle souhaitait prendre sa retraite un peu après ses 50 ans, son désir était de s'acheter un ranch au Texas (d'où elle venait) et de vivre ainsi encore en bon état dans la campagne. Aux États-Unis, chacun décide comme il l'entend.
Bien que jaloux de mes libertés et plutôt individualiste, je préfère quand même le système par répartition qui est un système avant tout de solidarité : solidarité entre les générations (les jeunes paient pour les moins jeunes), mais aussi au sein d'une même génération avec le minimum vieillesse (revalorisé à l'occasion de cette réforme) que n'aurait pas le salarié pauvre dans un système par capitalisation.
Une autre raison aussi : c'est que ma collègue américaine, après la grave crise de l'automne 2001 (éclatement de la bulle des télécommunications), a dû se mettre dans l'idée de travailler encore plus longtemps, car tout son pécule économisé avait été consumé par la crise. C'est l'intérêt du système par répartition, on n'est pas tributaire de crises boursières qui affecteront le montant des pensions dans trente ans. Cette évidence explique le consensus : la France des Lumières, ce n'est pas chacun pour soi.
La répartition, c'est un avantage compétitif énorme. Mais cela exige un sérieux raisonnement pour que le système ne se casse pas la gueule comme dans une pyramide de Ponzi. Pour cela, il faut s'assurer qu'il y ait toujours assez de cotisants pour payer les pensions des plus âgés. En clair, cela signifie une natalité dynamique. Candidat à l'élection présidentielle de 1981, Michel Debré, dont le thème de la natalité l'avait enfermé dans une sorte de niche politique, avait anticipé les conséquences d'une baisse notable de la natalité. François Bayrou, le Haut commissaire au plan, l'a aussi écrit dans un rapport remis le 17 mai 2021. Il proposait deux voies pour augmenter la population active : ou une politique nataliste volontariste (ce qui n'a pas été fait depuis une cinquantaine d'années), ou un accueil de population jeune immigrée pour faire tourner notre modèle social.
L'autre solution, ce que préconise le gouvernement, c'est que les Français travaillent un peu plus qu'auparavant. Comme je l'indiquais dans un précédent article, cet effort demandé aux Français, dont le but est de sauver nos retraites par répartition, doit se faire dans la plus grande justice sociale, c'est-à-dire effectivement que les carrières longues et la pénibilité du travail soient prises en compte réellement et sérieusement. C'est en refusant obstinément de négocier avec le gouvernement que les syndicats s'empêchent d'améliorer la réforme actuelle, ce qui n'est pas très constructif.
De son côté, le gouvernement ira jusqu'au bout ( Élisabeth Borne a confirmé sur France Info le 29 janvier 2023 que l'âge de 64 ans n'était pas négociable), et sa détermination est plus financière que politique ou idéologique : il faut sauver nos retraites par répartition.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Sauver nos retraites par répartition.
Réforme des retraites 2023 : le projet du gouvernement est-il amendable ?
Dossier des retraites du gouvernement publié le 10 janvier 2023 (document à télécharger).
Conférence de presse de la Première Ministre Élisabeth Borne le 10 janvier 2023 à Matignon (texte intégral et vidéo).
Comprendre la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ce mardi 10 janvier 2023.
Le non-totem d'Élisabeth Borne sur les retraites.
Le coronavirus supplante la réforme des retraites de 2019-2020.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230130-reforme-retraites.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sauver-nos-retraites-par-246282
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/01/31/39797926.html