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Les Caraïbes sont devenues une terre d’élection pour l’escrime

Publié le 15 août 2008 par Oz

Paru dans Le Monde daté du 6 octobre 2003.

Les championnats du monde se déroulent à La Havane du dimanche 5 au samedi 11 octobre. A Cuba, l’escrime s’appuie sur plus d’un siècle de tradition. Les Antilles, converties plus récemment, fournissent aujourd’hui un quart des effectifs des équipes de France 

L’image, saisie sur le vif, peut sembler incongrue. En toile de fond, la mer des Caraïbes. La plage, le soleil et les beaux quartiers diplomatiques de Miramar, qui étirent vers le Malecon, le front de mer, leurs maisons bariolées, leurs portes forgées et leurs rues ombragées par les grandes feuilles de bananiers.Au premier plan, le treillage métallique d’un masque d’escrime posé à terre, comme oublié sous une palme verte, découpe en petits carrés lumineux les pointes acérées du soleil cubain. Un peu plus loin, le cliquetis des armes d’acier a cessé, des gants de cuir tannés et des plastrons blancs sèchent au vent marin.Bienvenue à La Havane, capitale mondiale de l’escrime. Le temps de championnats du monde, dont le coup d’envoi sera donné dimanche 5 octobre. Un rendez-vous attendu depuis trente-quatre ans et les derniers championnats du monde organisés ici, en 1969.Entre Cuba et l’escrime, il s’agit d’une longue et vieille histoire. Une histoire qui dure au moins depuis que Ramon Fonst devint en 1900 le premier champion olympique de l’histoire du sport cubain, médaillé d’or à l’épée individuelle aux Jeux de Paris. Ramon Fonst, qui fut aussi le premier champion olympique de toute l’Amérique latine, remporta encore trois autres titres olympiques entre les Jeux de Paris et ceux de Saint-Louis, quatre ans plus tard. Lors des Jeux de 1904, les escrimeurs cubains glanèrent au total cinq médailles d’or, trois d’argent et trois de bronze. Mais il faudra attendre 1972 pour voir de nouveau la bannière cubaine hissée au plus haut mât olympique, et par trois fois. Ce fut, cette fois, grâce à ses boxeurs. L’escrime constitue un pan entier de la fierté sportive cubaine, aux côtés de la boxe - « l’escrime des poings » : il n’y a pas de hasard - et du judo féminin, mais loin derrière le base-ball et le volley-ball, les sports rois.Difficile, en réalité, d’expliquer ce penchant des Caraïbes pour un sport comme l’escrime, quand plages, soleil, chaleur, grandes étendues donnent envie de tout sauf de s’enfermer entre quatre murs sur une piste électrique, respirer à travers le grillage métallique d’un masque, sous la double épaisseur d’une cuirasse en kevlar. Et plus difficile encore d’expliquer la réussite des Antillais dans une discipline technique et issue d’une tradition qui n’est pas la leur.UN LENT DÉCLINA Cuba, les plus anciens rappellent que l’île fut, en d’autres temps, le casino géant d’Européens fortunés et prompts à croiser le fer, que dettes de jeu et d’honneur s’y soldaient parfois au premier sang, et que, du coup, quelques salles et maîtres d’armes avaient pris leurs quartiers à La Havane, Santiago et Guantanamo. Que la suite de l’Histoire fit venir sur l’île des maîtres soviétiques qui apportèrent avec eux l’une des plus belles techniques du Vieux Continent. Et qu’enfin le sport fut et demeure une des vitrines et l’une des priorités du régime castriste.L’escrime cubaine a partagé avec l’île une partie de son histoire mais aussi de ses drames. Le 6 octobre 1976, un avion de Cubana de Aviacion était victime d’un attentat et explosait en plein vol. Parmi les soixante-treize victimes figuraient les équipes nationales d’escrime, sur le chemin du retour d’un championnat d’Amérique centrale et de la Caraïbe victorieux. Leurs portraits et leurs noms sont toujours affichés sur les murs de l’Institut national du sport de La Havane.« L’escrime cubaine a commencé à revenir véritablement en pointe au début des années 1980, précise Philippe Omnès, champion olympique de fleuret en 1992 et aujourd’hui directeur technique national de l’escrime française. Je me souviens d’Universiades très difficiles face aux Cubains dès 1981, à Bucarest. »Dix ans plus tard, Philippe Omnès sera également le témoin privilégié du véritable retour du fleuret cubain au plus haut niveau : après avoir étrillé l’Italie, tenante du titre, en quarts de finale, l’équipe cubaine de fleuret masculin éliminait la France, dont il était le capitaine, en demi-finale du championnat du monde de Budapest. En finale, les cinq mousquetaires cubains ne laissèrent pas la moindre chance aux Allemands. Ils récidiveront quelques années plus tard : en 1997, il s’en faudra d’un rien que Cuba ne finisse à la première place du classement des nations, toutes armes confondues.La France, elle aussi, s’est mise aux couleurs de l’escrime caraïbe. Sur les vingt-quatre bretteurs et bretteuses français qui s’apprêtent à entrer en piste aux championnats du monde de La Havane, cinq sont originaires des îles. Il y a, bien sûr, Laura Flessel-Colovic, née à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), et sa jeune coéquipière Maureen Nisima l’épéiste, il y a Jérôme et Fabrice Jeannet, les deux frères de Fort-de-France (Martinique), il y a aussi Loïc Attely, originaire de la Martinique.Il faudrait leur ajouter le petit dernier, Ulrich Robeiri, l’épéiste né à Cayenne (Guyane), qui est en train de faire un malheur sur les pistes internationales. « S’il est vrai que les escrimeurs et escrimeuses des Caraïbes ont des qualités physiques exceptionnelles, ils possèdent aussi des aptitudes mentales, note Philippe Omnès. Une forme de nonchalance et de décontraction, plus perçue que réelle, d’ailleurs. Ils abordent le combat d’une autre manière, indéfinissable. »Indéfinissable, en effet. Ceux qui ont vu arriver sur la scène internationale les fleurettistes cubains des années 1980 et 1990 en témoignent toujours avec un brin d’émotion dans la voix : cette escrime chaloupée et tout en mouvements, en nuances, en rythme et contretemps, comme mise en musique, a profondément bouleversé le concert international, alors un peu engoncé dans sa technique rigide.Les armes françaises mettront quelques années à en faire une synthèse. Du coup, alors que l’escrime cubaine, faute de moyen, semble aujourd’hui engagée vers un lent déclin, c’est peut-être à l’équipe de France qu’il reviendra de défendre, durant cette semaine mondiale de La Havane, l’honneur de l’escrime caraïbe.Olivier Zilbertin (La Havane).


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