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Retraites : assaut sur le modèle de protection sociale

Publié le 09 février 2023 par Raphael57
Retraites : assaut sur le modèle de protection sociale

Après deux articles consacrés à la réforme des retraites, l'un présentant les tenants et aboutissants du projet de loi et l'autre le rôle tenu par le taux d'emploi des seniors, restons dans la thématique en évoquant les deux principaux types de système de protection sociale : le modèle bismarckien et le modèle beveridgien. Cela permettra de comprendre en quoi la volonté du gouvernement français de passer du premier au second, notamment en matière de chômage et de retraite, est porteur de graves désillusions. Et une fois n'est pas coutume, nous terminerons ce billet par un petit florilège des arguments abracadabrantesques avancés par certains politiques pour justifier cette réforme des retraites.

Le modèle bismarckien

Comprenant le danger des désordres sociaux engendrés par la pauvreté et la misère, dans un contexte de développement du socialisme, le chancelier de fer (Bismarck) choisit de mettre en place un système de protection sociale novateur en cette fin de XIXe siècle, avec une protection contre les risques maladie (1883), les accidents de travail (1884), la vieillesse et l'invalidité (1889).

Selon les époques, les systèmes bismarckiens ont pu varier quelque peu, mais pour l'essentiel ils sont fondés sur l'accumulation de droits à la protection sociale liés au travail. La participation financière des ouvriers et des employeurs prend alors la forme de cotisations sociales, et non de "charges sociales", vocable patronal qui trahit une vision purement comptable des prélèvements obligatoires. Dans une vision socialisée du risque, celles-ci sont par conséquent fonction croissante des salaires et non du risque lui-même. Les membres de la famille sont du reste souvent couverts au titre des ayants droit. Enfin, par construction, le fonctionnement d'un tel système de protection sociale est dévolu aux salariés et aux employeurs.

Le modèle beveridgien

Ce deuxième modèle de protection sociale repose sur un célèbre rapport de 1942 (Rapport au Parlement sur la Sécurité sociale et les prestations connexes), rédigé par l’économiste William Beveridge sur demande du gouvernement britannique. Il s'agissait de repenser le modèle d'assurance maladie, dont le développement semblait peu satisfaisant au gouvernement. Lord Beveridge proposait de "libérer l’homme du besoin et du risque", afin d'assurer un développement économique et social pérenne.

Depuis, l'on qualifie de beveridgien tout système de protection sociale fondé l'universalité de la protection sociale (tous les risques et toutes les personnes sont couverts), l'uniformité des prestations (même montant versé à tous) et sur l'unicité du financement. Ce dernier point signifie qu'un système beveridgien n'est donc pas contributif (pas de cotisations sociales), mais repose sur des impôts, d'où une gestion par l'État de la protection sociale généralement au moyen d’une assurance nationale. C'est pourquoi les systèmes beverigiens sont aussi souvent qualifiés d'assurantiels.

Le passage à un modèle beveridgien

Chacun en son temps, Bismarck et Beveridge ont participé à l'édification de l’État social, notion que ses détracteurs ont fini par qualifier péjorativement d'État-providence. Mais faut-il en déduire que par son universalité, le modèle beveridgien est préférable au modèle bismarckien ? Ce serait oublié un peu vite ce que recouvrent ces formes de protection sociale ! Comme le rappelle avec brio Pierre-Cyrille Hautcoeur dans une chronique au Monde, basculer d'un système de retraite bismarckien à un système de retraite beveridgien est l'objectif suivi depuis deux décennies en France comme en témoignent notamment les exonérations de cotisations sociales compensées par de savants fléchages de rentrées fiscales.

Bref, des impôts à la place des cotisations sociales, et encore pas toujours pour le même montant malgré l'obligation issue de la loi du 25 juillet 1994 (loi Veil), ce qui asphyxie toujours un peu plus la Sécurité sociale, comme je l'ai expliqué dans ce billet, et permet ensuite d'invoquer les caisses vides comme argument massue pour réformer, voire privatiser.  Or, dans un système beveridgien, l'universalité de la prestation va (trop) souvent de pair avec un montant faible (qu'il suffise de jeter un œil aux États-Unis pour s'en convaincre...), ce qui conduit les personnes à recourir - si elles le peuvent - à la capitalisation individuelle ou collective, dans l'espoir de gagner de quoi vivre une retraite à peu près correcte. Pourtant, derrière les beaux discours de la retraite par capitalisation se cachent toujours des réalités moins agréables à entendre : les marchés financiers sont loin de garantir une prestation définie lorsque l'heure de la retraite aura sonné, une crise pouvant emporter tous ces espoirs (et les fonds déposés) vers les tréfonds...

C'est bien pour cela que le système de retraite est par répartition en France depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui témoigne d'une solidarité intergénérationnelle et d'une solidarité d'intérêts entre employeurs et employés (ils gèrent en effet ensemble le système de protection sociale), quelle que soit leur classe sociale. Dans un système beveridgien, au contraire, Pierre-Cyrille Hautcoeur rappelle que les intérêts financiers des classes moyennes et des plus riches convergent en matière de gestion de l'épargne. Bref, les plus pauvres sont persuadés que l'impôt est forcément mauvais et que l'universalité du système les protège, alors qu'en vérité ce système les abandonne souvent à leur sort avec une maigre prestation uniforme.

Des arguments abracadabrantesques

Pour finir ce billet dans un mouvement rabelaisien, rions-nous des arguments abracadabrantesques avancés par certains politiques pour justifier cette réforme des retraites (je laisse le lecteur compléter à sa guise cet  embryon d'inventaire) :

 * la faillite du système des retraites (un grand classique, pourtant démenti par le rapport du COR);

 * sans réforme, les pensions des retraités baisseraient de 20 % (Olivier Dussopt en grande verve) ;

 * "les mesures ne sont pas comprises, appréciées à leur juste valeur" (Laurent Marcangeli) ;

 * la réforme permettra aux aides à domicile de travailler jusqu'à 64 ans (grand prix "le mal de dos n'est pas une fatalité") ;

 * "Si nous devions augmenter les cotisations, de fait on baisserait les salaires" (Olivier Véran)

 * "Aucun Français ne verra sa retraite baisser" (Paul Midy)

 * "La retraite, c'est le capital de ceux qui n'en n'ont pas" (Stanislas Guerini inventant la notion de capital fondant)

 * les cotisations sociales n'ont pas vocation à financer notre système de retraite (Nadia Hai, grandiose !)

 * "1 200 euros de pension minimale" (Bruno Le Maire récitant des éléments de langage repris sous d'autres formes par d'autres politiques, argument démonté par Michaël Zemmour)

P.S. L'image de ce billet est une capture d'écran d'une petite vidéo de Dessine-moi l'éco.


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