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Michael Brenner : "L'Ukraine et le piège de Thucydide" (CF2R)

Publié le 28 mars 2023 par Charles Bwele @blog_e_sphere
Michael Brenner est professeur émérite d'affaires internationales à l'Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l'auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l'économie politique internationale et la sécurité nationale.

Michael Brenner :

" Bref, la cible principale de ce que Washington a fait en Ukraine était la Russie - avec comme gain collatéral un renforcement de l'obéissance traditionnelle des Européens à Washington.Il en résulterait une Russie plus faible, redevable à l'Occident, ou une Russie isolée et impuissante Ces scénarios optimistes avaient en commun l'espoir que le partenariat sino-russe naissant serait considérablement affaibli, ce qui ferait pencher la balance en faveur des États-Unis dans la bataille à venir avec la Chine pour la suprématie mondiale. Comment le plan a-t-il été conçu et décidé ? En réalité, les objectifs généraux étaient en place depuis l'administration Obama.

[...]
Tout comme la politique à l'égard de l'Ukraine doit être considérée dans le contexte de l'attitude ferme de Joe Biden à l'égard de Moscou, la politique à l'égard de la Russie doit être placée dans le contexte plus large de la décision de la nouvelle administration d'affronter ses rivaux - actuels ou potentiels - dans tous les domaines. En d'autres termes, la doctrine Wolfowitz à plein régime.

La stratégie américaine telle qu'elle est décrite ci-dessus n'est donc pas sortie entièrement formée de l'esprit des fonctionnaires de l'administration Biden. Ses principaux éléments sont en place depuis une génération. Pourtant, les prémisses sous-jacentes semblent ne pas correspondre aux réalités stratégiques sur un point fondamental. Objectivement, les États-Unis sont plus à l'abri des dangers extérieurs qu'ils ne l'ont jamais été depuis la veille de la Première Guerre mondiale. Ils n'ont pas d'ennemis capables ou désireux d'utiliser la force militaire contre le territoire national ou contre leurs intérêts fondamentaux à l'étranger. La Chine n'est pas un avatar du Japon impérial et représente un défi d'un tout autre ordre. La Russie de Poutine n'est pas un avatar de l'Union soviétique en termes d'idéologie ou de puissance. La promotion des intérêts nationaux russes et la volonté d'assurer sa place en tant qu'acteur important sur la scène mondiale sont ce que les grands pays ont toujours fait. Ces circonstances semblent ouvrir la possibilité de poursuivre des politiques visant à s'accommoder de ces deux puissances.Toutefois, la perspective américaine quant à sa place dans le monde s'écarte de cette ligne de pensée à deux égards essentiels. Premièrement, la principale préoccupation de Washington n'est pas la sécurité en soi, mais plutôt le maintien de sa position dominante dans les affaires mondiales, avec les prérogatives qui en découlent pour agir et donner la priorité à ses propres intérêts nationaux dans ses relations avec le reste du monde...La grande stratégie présente l'avantage supplémentaire d'être la voie de la moindre résistance intellectuelle. En effet, elle fait revivre le modèle simpliste de la Guerre froide et le superpose à la réalité actuelle, bien plus compliquée et bien moins compréhensible. En effet, cette version très simplifiée - voire primitive - du modèle de Thucydide transforme la stratégie en une forme d'hydraulique politique[5]. La puissance d'un État, transmise par sa force militaire et économique, exerce sur les autres États des pressions auxquelles ils doivent soit succomber, soit résister en générant des contre-pressions. Lorsqu'il s'agit d'une puissance montante menaçant la position de la puissance dominante, l'issue est - la plupart du temps - la guerre. C'est tout ! Cela est illustré par de nombreux exemples historiques, n'en déplaise à ceux qui nient les particularités des circonstances mondiales actuelles."
Texte intégral : Michael Brenner : L'Ukraine et le piège de Thucydide | TRIBUNE LIBRE N°123 / MARS 2023 (Centre Français de Recherche sur le Renseignement)


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