Chroniques d’un anthropologue au Japon (69)

Striptease

Ligne Hankyu Osaka-Takarazuka, Samedi 20h30. retour du travail, fatigué, le ventre vide, perdu dans mes pensées, les écouteurs vissés sur les oreilles.

Je remarque un homme bedonnant, la cinquantaine, qui se tortille comme un serpent, debout, accroché à une poignée du train. Il essaie de dormir. Son corps sursaute chaque fois qu’il plonge dans le sommeil et manque de tomber. Ses jambes semblent étonnamment courtes, proportionnellement à la taille de son corps. C’est en fait son pantalon, en train de tomber, qui créé cet effet d’optique.

Cinq minutes plus tard, le pantalon est presque au niveau des genoux. Le caleçon, heureusement noir, est maintenant le seul rempart entre mes yeux et son intimité. Mais l’homme est soit trop fatigué, soit trop éméché pour s’en rendre compte. Il se met à tousser et racler derrière un masque sale et mal mis. Il semble quand même avoir remarqué que tout ne va pas bien en bas. Dans un effort surhumain, les yeux toujours fermés, il remonte nonchalamment son pantalon. Derrière le caleçon, sa verge fait malheureusement obstacle. Il s’arrête au niveau des cuisses, laissant la masse noire obscène dépasser. Il replonge dans le sommeil accroché à sa barre, reprenant sa danse sulfureuse.

Le striptease de l’enfer. Je te le dis, mieux vaut te couper un bras ou t’arracher les deux yeux plutôt que d’assister au striptease de l’enfer. La fille à côté de moi se lève calmement et sort du train. Je prie pour que le stripteaser ne vienne pas s’assoir près de moi et me refiler ses morpions ou me cracher son corona. Il ne bouge pas. Je continue de prier.

Deux stations plus loin, l’homme sort du train en titubant. Je souffle enfin. Personne autour ne fait mine d’avoir remarqué quelque chose de spécial.

Rémi Brun