Par Alain Cohen-Dumouchel.
Le consensus scientifique sur un réchauffement climatique d’origine anthropique est établi. Il peut bien entendu être remis en cause par des publications scientifiques divergentes du consensus actuel, mais en l’état actuel des connaissances, la plupart des gouvernements ont décidé de prendre des mesures pour réduire les émissions de CO2, de méthane et de tous les gaz à effet de serre.
Le dirigisme comme réponse au consensus climatique
Les formes prises par ces mesures sont volontaristes et dirigistes. Il s’agit de produire de l’énergie décarbonée en incitant les producteurs à se tourner vers l’éolien, le solaire, ou de relancer une filière nucléaire, la moins carbonée des énergies.
À ce travail de base entrepris (ou pas) par les gouvernements, s’ajoute un inventaire à la Prévert de mesures coercitives destinées à guider les citoyens et les entreprises sur la voie de la vertu climatique.
On peut citer : les incitations à isoler les logements ; l’élimination des voitures individuelles au profit des vélos ; l’interdiction du chauffage des terrasses des cafés ou des piscines ; l’interdiction de l’éclairage nocturne des commerces ou des manifestations sportives ; l’interdiction de laisser ouverte la porte d’un commerce climatisé ; les propositions pour rendre les trajets en train de moins de 300 km « gratuits » ; les taxes sur les voitures émettrices de CO2 même si elles ne roulent pas ; les primes aux voitures électriques et hybrides qui consomment plus d’énergie que les voitures thermiques ; les limitations de vitesse sur autoroute qui concernent aussi les voitures électriques ; l’interdiction des ampoules incandescentes au profit des leds ; l’interdiction des trajets courts en avion qui pénalise le développement de l’avion électrique ; l’interdiction des chaudières à fuel, etc.
La liste ne va pas s’arrêter. Chaque élu, chaque citoyen, chaque dirigeant d’entreprise se sent investi d’une mission, celle d’inventer de nouvelles mesures coercitives destinées à réduire les émissions de CO2.
En créant des tarifs et des effets de seuil, tous les dispositifs dirigistes proposés ont pour conséquence de fausser les prix de marché, c’est-à-dire de dérégler le formidable système d’information qui permet aux individus d’arbitrer entre plusieurs solutions, donc d’encourager l’innovation. L’interdiction de louer des passoires thermiques va brutalement éliminer du marché des milliers de logements. Interdire l’éclairage nocturne va privilégier d’autres formes de publicité et de sécurité dont on ne s’est pas préoccupé de mesurer l’empreinte CO2 : interdire l’éclairage nocturne (qui se voit) est un non-sens économique (qui ne se voit pas).
Ces mesures ont aussi pour corollaire d’accroître les contrôles, et donc, mécaniquement, le poids de la dépense publique. Ils provoquent une inflation législative qui va se nicher dans les moindres détails de notre vie. Prendre des bains ou partir en vacances deviennent des possibles sujets de vérification et de réprobation. Bien entendu, les émissions de CO2 supplémentaires induites par cette société du contrôle ne sont jamais évaluées.
L’aubaine du réchauffement climatique pour les ennemis du capital
L’école dirigiste décroissantiste trouve un fort soutien dans la mouvance anticapitaliste. Rangés sous la bannière écologiste, les ennemis du capital ont enfin réussi à lui imputer un fléau que l’on peut qualifier d’objectif : le réchauffement.
Et cette fois, il semble bien qu’ils aient raison. Les socialistes reprochaient à la libre disposition du capital humain (qu’ils ont appelé « capitalisme ») l’exploitation et la misère des classes populaires. L’histoire et la science économique leur ont donné tort. Partout où elle s’est installée, l’économie libérale de marché a amélioré le sort des plus démunis et permis un fantastique développement technologique, social et moral. La pauvreté, la violence et l’immoralité ont quant à elles systématiquement accompagné le dirigisme.
Mais pour ce qui concerne les émissions de CO2, l’économie capitaliste paraît désarmée.
Comment la « main invisible » c’est-à-dire l’ordre spontané qui permet de neutraliser les mauvais penchants de la nature humaine pour produire un bien social peut-il fonctionner pour produire un bien climatique ?
Car il est clair qu’une économie libre a tendance à favoriser l’usage des énergies les moins coûteuses et non celles qui émettent le moins de CO2. Il s’agit de produire plus pour moins cher, de toujours faire diminuer la part du travail dans la valeur des biens de consommation, de permettre ainsi à chacun de subvenir plus facilement à ses besoins. Le critère discriminant, celui qui permet aux acteurs du marché d’arbitrer entre les choix qui s’offrent à eux, c’est le système d’information ultra sophistiqué offert par la formation des prix, c’est-à-dire par la multiplicité de solutions concurrentes.
L’aubaine du réchauffement climatique pour les anticapitalistes est telle qu’ils percevraient probablement comme une très mauvaise nouvelle la réfutation scientifique du modèle climatique qui fait aujourd’hui consensus. Car dans cette nouvelle perception de l’économie de marché, ils ont enfin une raison objective de détester les riches. Ceux que le marché récompense parce qu’ils offrent le plus de services aux autres deviennent soudain les plus émetteurs de gaz à effet de serre.
Problème de la taxe carbone : c’est une taxe
Il existe pourtant un moyen simple d’éviter ces effets de seuil et cette inflation législative : il s’agit de la taxe carbone, le dispositif qui taxe les sources d’énergie en fonction de leurs rejets de CO2 dans l’atmosphère.
D’une manière plus générale, une taxe anti-réchauffement cohérente devrait pénaliser toutes les activités productrices de gaz à effet de serre en incluant par exemple l’incinération des ordures ou l’élevage de bovins à proportion du méthane rejeté.
La taxe carbone existe déjà pour les sources d’énergie. Généralisée à toute l’économie, elle présenterait trois inconvénients importants :
Premièrement, c’est une taxe. Taxer plus alors que les dépenses publiques s’élèvent déjà à 60 % du PIB est une folie économique qui a déjà donné lieu à des soulèvements populaires, les Bonnets rouges en 2013 puis les Gilets jaunes en 2019.
Deuxièmement, elle renchérit immédiatement le prix des biens de consommation alors que les effets attendus d’une transition énergétique sont lointains.
Troisièmement, elle crée des effets de bords liés, d’une part à l’importation de produits n’ayant pas subi les mêmes taxes, d’autre part au renchérissement des produits à l’exportation.
Un modèle innovant, l’allocation CO2
Un modèle innovant permettrait d’éliminer immédiatement les deux premiers obstacles.
Au lieu d’alimenter les caisses de l’État, le prélèvement CO2 retournerait directement dans la poche des contribuables sous forme d’une allocation. Toutes les sommes prélevées seraient redistribuées de façon égale à tous les citoyens sur le modèle de l’allocation universelle. Ce dispositif pourrait se dénommer l’allocation CO2.
Quelles seraient les conséquences d’un tel dispositif ?
En renchérissant de façon importante le coût du CO2 et du méthane, il constituerait une externalité négative qui laisserait le marché libre de s’organiser. Chacun pourrait à nouveau « utiliser ce qu’il sait pour rechercher et poursuivre ses propres fins ».
Concrètement, cela voudrait dire qu’au lieu d’interdire les véhicules thermiques ou les chaudières au fuel, on augmenterait considérablement, mais vraiment considérablement, le prix du litre de super, du kérosène ou du fioul, celui du mètre cube de gaz, etc. Mettons cinq fois, donc 10 euros le litre de super. Impossible, me direz-vous, jamais personne ne paiera son litre de super 10 euros. Sauf qu’au jour de la mise en place du dispositif, chacun percevra la taxe qui, devenue allocation, permettra de payer son plein de super au nouveau prix. L’allocation CO2 est donc globalement neutre lors de son lancement. Elle donne à chacun les moyens de payer le CO2 qu’il émet. Elle constitue une prime pour ceux qui émettent le moins (personnes sans domicile, religieux) et pénalise, sans rien interdire, ceux qui utilisent des yachts et des jets privés. Elle est neutre pour la classe moyenne. Enfin, elle n’alimente pas les caisses de l’État, manufacture de l’inefficacité.
L’allocation CO2 au secours du capitalisme
C’est ensuite que le marché joue son rôle. Chacun va être incité à réduire sa consommation de CO2.
La loi du mieux offrant redevient active. Le mieux offrant est celui qui offre des produits ou des services performants à faibles émissions de CO2. L’allocation CO2 vient au secours de la société capitaliste en permettant un fonctionnement optimum du marché. La baisse des émissions de CO2 ne requiert plus une vertu supposée des citoyens (qui n’existe pas). Elle repose au contraire sur un principe très humain qui consiste à profiter au maximum du système pour vivre « aux dépens de tout le monde ». Car si je diminue ma consommation de CO2, je profiterais de la taxe payée par tous ceux qui n’ont pas fait le même effort. Tout le monde va s’efforcer de vivre aux dépens de tout le monde pour, cette fois-ci, produire un bien climatique. Le mécanisme de l’allocation CO2 est une ingénierie sociale qui permet de rétablir le fonctionnement de la main invisible pour, en s’appuyant sur une version réaliste de la nature humaine, produire un bien climatique.
L’allocation CO2 agit dans toutes les couches de la société et va influencer aussi bien les comportements individuels quotidiens que l’offre des PME et des multinationales. Elle est un puissant facteur de décarbonation d’une complexité et d’une capillarité bien supérieure aux grossières mesures dirigistes d’interdictions et de subventions.
Mise en place et fonctionnement, appel aux économistes
Reste le problème des effets aux frontières et du fonctionnement global.
Le dispositif de cette allocation entraîne une hausse de tous les produits, à proportion du CO2 émis pour les produire, sans entraîner de diminution du pouvoir d’achat médian puisque l’allocation CO2 serait reversée à tous.
Mais comment éviter les effets aux frontières, importation de produits non taxés et exportations rendues impossibles ?
Il est sûr que l’exportation doit se faire hors taxe CO2, mais avec l’information du CO2 émis par chaque produit, à charge pour chaque État importateur de fixer sa propre taxe à l’entrée des produits sur son territoire. Il faut donc connaître la quantité de GES émise pour l’élaboration de chaque produit ou service. Contrairement à la TVA qui est facilement calculée par la valeur que chaque acteur économique ajoute au processus de fabrication, la taxe CO2 est généralement payée lors de l’achat de l’énergie. Mais ce n’est pas toujours vrai, le méthane produit par l’élevage est un contre-exemple. Le prix final du produit vendu au consommateur contient toutes les taxes liées aux émissions nécessaires à sa fabrication. Il faut lui adjoindre un prix hors taxe CO2 qui servira tout au long de la chaîne de fabrication. Car pour pouvoir continuer à fonctionner normalement, les entreprises doivent récupérer la taxe CO2 sur le modèle de la TVA, le poids de la taxe pesant uniquement sur le consommateur final et sur les administrations.
Il faut donc trouver une méthode de fonctionnement. Ce billet finira donc par un appel aux économistes. Le concept est-il viable ? Comment le mettre en œuvre, avec quelle progressivité et par quels mécanismes ?
On aura compris que l’enjeu est de taille : sauver l’économie de marché en lui donnant du CO2 à moudre.