(Article paru dans le supplément télévision du Monde, le 2 octobre 2006)
A côté du football, du tennis et de la formule 1, omniprésents sur les écrans, des disciplines comme l’escrime, le ski, la natation ou le judo cherchent à se rendre plus télégéniques
ON ne s’escrime certes pas tous les jours en si bonne compagnie. Entre les invités de « Taratata » et les Escrocs mais pas trop de Woody Allen, les escrimeurs et escrimeuses tricolores vont connaître ce dimanche 1er octobre des honneurs inédits : ceux du direct sur une chaîne gratuite. L’ordinaire est rarement aussi glorieux. Les championnats du monde d’escrime fréquentent de fait plus souvent la pénombre des nuits blanches que les lumières des fins d’après-midi et de l’« access prime time ».
Mais pas cette fois. France 4 a en effet décidé de diffuser en direct l’intégralité des finales des championnats du monde de Turin, du 1er au 7 octobre. Soit au total quelque 27 heures de direct en une semaine. Un record, sur une chaîne gratuite, fût-elle encore confidentielle. « Bien sûr, on aimerait pourvoir toucher un public plus large, note Frédéric Pietruszka, le président de la fédération française d’escrime (FFE). Mais on s’est suffisamment plaint de n’avoir pas accès à la télévision pour ne pas faire la fine bouche maintenant. Pour nous, ces diffusions sont une aubaine. »
Si tous les quatre ans, à l’occasion des Jeux olympiques, la discipline qui pourvoit le plus le sport français en lauriers a, il est vrai, droit de citer à l’antenne, l’escrime est le reste du temps reléguée sur les chaînes spécialisées, payantes, ou réduite à la portion congrue en fin de programme. Comme beaucoup d’autres sports. En 2004, année des Jeux d’Athènes, d’où l’escrime tricolore a rapporté six médailles dont trois en or, fleurettistes, épéistes et sabreurs avaient ainsi bénéficié de 28 heures 31 minutes et 10 secondes d’antenne sur les chaînes hertziennes, dont un peu plus de 12 heures sur Canal+. L’année précédente, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’avait enregistré, hors magazines généralistes d’information sportive, qu’1 heure 26 d’escrime - le tout sur France 3. En 2005, France 2 et France 3 se sont partagées en parts égales 4 heures 48 minutes de combats à l’arme blanche.
Et encore : grâce à ses résultats, l’escrime est loin d’être la plus mal lotie. Toujours selon les chiffres du CSA, en 2005, la gymnastique n’aurait eu droit qu’à 4 heures et 26 minutes d’antenne, le handball 1 heure et 57 minutes, l’aviron et le judo à peine plus d’une demi-heure chacun.
A titre de comparaison, et toujours en 2005, le football affichait 549 heures de présence à l’écran, le tennis presque 208 heures, le rugby 185 heures et 15 minutes. Au total, note le CSA, « l’ensemble des programmes sportifs de TF1, France 2, France 3, Canal+ et M6 ont atteint, en 2005, un volume de 1 796 heures et 53 minutes, total qui représente une diminution importante, de 509 heures, par rapport à celui de l’année 2001 (3) ». Ce volume, précise encore le rapport, est « ainsi revenu sensiblement au niveau de ce qu’il avait été en 1989 ».
Mais surtout, l’indicateur de diversité de l’offre sportive - qui relève le nombre de disciplines différentes ayant donné matière à au moins une retransmission au cours de l’année - « se révèle très constant ». TF1 a exposé cinq disciplines différentes, France 2, quinze, et France 3 vingt-deux. « Le cahier des charges de la télévision publique ne comporte qu’un seul article en rapport avec le sport, précise-t-on au CSA. Il indique que France Télévisions se doit de proposer l’éventail le plus large de disciplines dans ses émissions d’informations sportives. » Avec son seul magazine « Stade 2 » du dimanche soir, la deuxième chaîne répond donc déjà à ses obligations.
C’est dire si l’initiative de France 4 représente un ballon d’oxygène pour le sport tricolore, globalement en mal d’images. Ce n’est pourtant pas faute de s’apprêter : pour passer à l’antenne, beaucoup de sports sont en effet disposés à s’adapter, voire à sacrifier leurs us et leurs coutumes. Depuis les Jeux d’Athènes, le sabre a ainsi adopté les masques transparents, les appareils électriques sans fil, les diodes lumineuses sous la visière. Les autres armes, fleuret et épée, devraient suivre le mouvement d’ici au prochain rendez-vous olympique de Pékin, en 2008. Le but : rendre l’escrime plus télégénique.
Selon la fédération internationale (FIE), les championnats du monde de Nîmes, en 2001, avaient été vus par 275 millions de téléspectateurs à travers la planète. Ceux de Leipzig, l’an dernier, ont franchi le cap des 300 millions. D’autres sports s’inscrivent également dans cette logique. Le judo, par exemple, qui adopte les kimonos de couleur pour mieux distinguer les combattants.
Mais il y a d’autres changements qui touchent plus à l’essence même du sport, et qui ne sont pas toujours adoptés de plein gré par les sportifs eux-mêmes. « Les relations de plus en plus étroites qu’entretiennent le sport et la télévision suscitent (…) des inquiétudes, notait d’ailleurs le CSA en mars 2000. Perte d’autonomie ou de liberté de l’un des partenaires en raison de la position de force de l’autre ; influence sur les règles et sur l’esprit du jeu. »
L’an dernier, le fleuret a connu une polémique de cette nature. Avant lui, le tennis de table a profondément remanié ses règles : les sets ne se disputent désormais plus en 21 points, mais en 11, afin de parvenir plus vite aux points décisifs et d’intensifier le spectacle. Le diamètre de la balle a été agrandi (passant de 38 à 40 mm) pour ralentir le jeu et le rendre plus visible à l’écran. Le basket américain et ses coupures publicitaires a fini par imposer à tous les « quarts temps », en lieu et place des deux « mi-temps ». Les slaloms parallèles ont tenté en vain de rendre au ski ses lustres télévisuels. La création du super G a répondu aussi aux attentes de la télé d’étoffer quelque peu le programme des championnats du monde. « C’est un échange permanent, estime Bruno Gaston, directeur des programmes de France 4. Au fur et à mesure, on apprend aussi à mieux filmer les sports que l’on diffuse, et cela les rend plus spectaculaires ». La natation a beaucoup gagné en télégénie avec les caméras sous-marines, et la Formule 1 est beaucoup plus spectaculaire filmée depuis les caméras embarquées. France 4, en tout cas, n’entend pas s’arrêter là. Après l’escrime, la chaîne compte s’appuyer sur « l’expérience et le professionnalisme des rédactions sportives de France Télévisions » pour diffuser d’autres disciplines oubliées ou tombées en désuétude. Fin octobre, la chaîne proposera une quotidienne à l’occasion de la Route du rhum. En février 2007, le ski alpin, qui connut autrefois son heure de gloire, sera lui aussi en direct sur France 4. « Pour nous, explique Bruno Gaston, il n’y a pas de sports mineurs. »
Olivier Zilbertin