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À peine un petit mouchoir bleu, de Françoise Matthey

Publié le 29 mai 2023 par Francisrichard @francisrichard
À peine un petit mouchoir bleu, de Françoise Matthey

Du ciel on ne sait rien. À peine un petit mouchoir bleu dans sa poche.

Dans un monde incertain, arrivée au soir de sa vie:

Avec. Il faudra faire avec, elle dit. Ou plutôt... sans. Avec sans. Sans plus d'élans, sans plus de chemins, d'enjambées dans les herbes sauvages, d'empreintes dans la terre mouillée. Faire avec. Ce qui n'est plus. Qu'on a perdu. Ce qu'on aimerait dire. Qu'on ne sait pas dire.

Comme on ne sait jamais ce que la vie réserve, il faut l'inventer, l'inventer encore, perpétuellement, même à ce moment-là, au risque de la perdre:

Inventer la vie dans son déclin exige une foi immense, elle dit.

Faire avec, c'est peut-être faire, tout simplement, sans rime ni raison:

Étrangement, ce n'est que lorsqu'elle cesse de raisonner qu'elle s'apaise.

Faire avec, c'est s'accommoder de ce qui arrive comme si on l'avait choisi:

Depuis qu'elle a retiré toute illusion de ses ombreux combats, elle ne se raidit plus, pleure moins salé.

Faire avec, c'est ne plus se donner d'objectif mais une direction:

Sa décision est prise: elle ne se forcera plus à atteindre quoi que ce soit. Disons, rien qui ne soit essentiel.

Faire avec, c'est accepter le miracle de vivre:

Quelque chose venu on ne sait d'où et qui repartira.

Faire avec, c'est aimer tout de suite, sinon ça ne compte pas.

Faire avec, c'est mettre un pas devant l'autre, ne pas rester immobile, n'en déplaise à Ramuz 1:

Confier sa vie à la vie, avance-t-elle pudiquement, est un mouvement, un mouvement vers l'étonnement, vers le risque peut-être de chanceler dans l'écheveau des traces, le noué du passé.

Faire avec, c'est évoluer, bon an, mal an, dans le labyrinthe des questions sans réponse.

Faire avec, c'est ne pas lutter inutilement contre le courant et, quand on est entraîné au fond, s'abandonner au rien:

Là, dans le creux de l'intime, elle découvre alors en ses propres confins, des ornières fleuries, et tout au fond, des rivages oubliés, stratifiés en un socle solide, sur lequel elle parvient à prendre appui, pour lentement remonter à la vie.

Faire avec, c'est ne pas regarder derrière soi, aller à la rencontre de l'autre:

Tout compte fait, il n'y a rien de plus que le visage de l'autre, sa singularité, sa fragilité qui révèle l'absolu de notre humanité, se dévoile là, dans l'insignifiant, dans les échanges anodins du banal, entre l'insondable du passé et celui de demain.

Faire avec, c'est ne plus s'obstiner à comprendre, mais livrer passage à l'ineffable et à l'amour, qui est plus fort que la mort.

Faire avec, c'est, quand son corps est à bout et sa voix inaudible, faire en sorte que tout devienne simple, accueillir la vérité indicible, glisser sous les étoiles:

Elle n'est plus celle qui attend, n'est plus celle qui apprend, qui patiente. Elle est.

Francis Richard

1 - L'homme ne vit pleinement qu'immobile. Il faut que rien autour de lui ne le détache de lui-même. (Journal)

À peine un petit mouchoir bleu, Françoise Matthey, 88 pages, Éditions de l'Aire

Livres précédents:

À la croisée des brides (2016)

Dans la lumière oblique (2019)

Feux de sauge (2021)

L'Arche des fous (2022)


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