Normatif & Normopathe

 Dans la série "J'ai trop d'amis qui dorment avec un flingue" et "Approchez il en reste un peu au fond"

Normatif & Normopathe

Sans aller jusqu’à l’admiration inconditionnelle, j’ai du respect pour quelques amis. 

Ce sont des adultes normatifs. 

Ils ont compris le sens de la vie. Se mettre en sécurité ! Ils savent la nécessité du maintien de l’ordre avec pour corollaire la loi et son application. Souvent les plus méritants sont ceux qui ont franchi le pas de la libre entreprise. Certains se plantent, d’autres réussissent, tous se sont frottés aux lois. Sociales, fiscales, sécuritaires, ils ont compris que c’est un moyen légal de se faire tondre sans tomber dans le piège de l’anti-parlementarisme. 

Bien sûr, personne n’est dupe. Les gredins qui votent les lois ne s’y soumettent pas avec la même rigueur. A coup de « La démocratie est le moins pire des systèmes politiques » ils s’en accommodent tant qu’il y a du rosé pamplemousse au Lidl et du super pas trop cher à Karouf. 

Et surtout, contre un avis d’imposition et un bulletin de vote, t’as droit aux chiens de garde. Certains font partie de l’élite, médaille au bout du collier. Bon ! Médaille, de la soumission ou de la résistance, c’est le même mot qui désigne celui qui a supporté les ongles arrachés le temps que les copains évacuent le bivouac des campeurs de 39/45, que le préfet qui en accroche une sur l’élite qui a éborgné quelques violents gilets jaunes sans toucher aux casseurs. D’où le concept tireur d’élite : viser le jaune ! 

Bon, ils n’empêchent pas les bagnoles de brûler, ni le bordel dans la téci mais ils rassurent pour le cas où un petit con-duit sans permis de tuer ses potes à la sortie des classes. 

Je me demande ce qu’il y a de colère, de lâcheté, d’honneur, de barbarie, de haine, de jouissance à tirer sur un ado à quelques centimètres de son visage en croisant son regard.

Je me demande ce qu’il faut de colère, de lâcheté, d’honneur, de barbarie, de haine pour mentir dans la certitude acquise de la protection de celui qui a fait son devoir sans prendre d’autres risques que la nouvelle récompense du pas vu-pas pris.

 Je me demande ce qu’il faut de colère, de lâcheté, de déshonneur, de barbarie, de haine, de jouissance semi molle pour  se satisfaire d’être protégé par des gens comme ça

Le normatif est devenu  normopathe. Le maintien pathologique de l’ordre l'obsède quoi qu’il en coûte de colère, de lâcheté, de déshonneur, de barbarie, de peur et de haine

"La peur a toujours des complices, qui trouvent là occasion de faire carrière, des gens inertes, silencieux, redoutables. La peur des étudiants rencontre le besoin de certain d'entre nous, longtemps contrarié, de jouer au professeur, comme on peut jouer au douanier ou au flic. Ils portent un regard acéré sur la conformité des devoirs, vérifient la dimension des marges, et le nombre des parties, qu'il s'agisse de Rimbaud ou d'un film de Renoir. Et ils mettent parfois de sales notes. Un grand psychanalyste, Jean Oury, définit une folie très répandue chez les gens qui ne sont pas dans les asiles, ceux qu'il appelle les normopathes, en ces termes : des gens qui se prennent pour leur fonction". 

Marie Depussé