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Petite histoire du jeu d'échecs moderne (partie 1). Du XVè siècle au premier tournoi de l'histoire.

Publié le 28 avril 2023 par Tarswelder

 Voici la réécriture d'article que j'avais réalisé il y a 10 ans sur l'histoire des échecs et de la pensée échiquéenne. Cette série se concentre sur la version moderne du jeu, apparue au XVè siècle et principalement à partir du milieu du XIXè siècle où apparaissent les premières compétitions et les grands champions légendaires.

Petite histoire du jeu d'échecs moderne (partie 1). Du XVè siècle au premier tournoi de l'histoire.

On estime que le jeu d'échecs a été inventé en Inde, il y a environ 1500 ans. Ce jeu d'élite, cette reproduction de la guerre, qui se jouait à quatre (le Chaturanga) suit les grandes évolutions de son époque, comme les échecs l'ont fait ensuite. Les échanges commerciaux l'ont fait évolué vers l'Asie orientale, vers la version chinoise, ou vers l'Ouest, pour devenir le jeu des Rois.

En suivant les caravanes, le jeu d'échecs arrive en Europe. Dans le monde arabo-musulman, il transcende les classes sociales : tout le monde y joue. En Europe, il est beaucoup plus marqué socialement. Mais il inspire aussi la méfiance. Un pape veut l'interdire et il réprimande même un évêque qui s'y adonnait trop.
Le jeu lui-même change dans le nom des pièces. En Occident, le visage de la femme apparaît, là où en Orient, la dame, la reine reste le ministre. Le fou est fou, ou évêque ou un coureur ou reste l'éléphant. Le cavalier reste un chevalier. Enfin le char est devenu une tour, qui défend les ailes du château royal.

Les règles modernes du jeu s'établissent à la toute fin du Moyen Âge, vers le XVè siècle. Au coeur des contacts entre les mondes musulman et chrétien, l'Espagne se trouve aussi au centre de l'évolution du jeu. Le roi Alphonse le Sage évoque ce jeu oriental dans le livre des jeux au XIIIè siècle. Le manuscrit de Göttingen est attribué à l'Espagnol Lucena (fin XVè).
Et les premiers tournois, les premiers matchs connus se jouent en Espagne. Le moine Ruy Lopez affronte à la cour de Philippe II l'Italien Leonardo di Bona, à la fin du XVIè siècle. D'un côté, le moine (qui a laissé son nom à la partie Espagnole ou Ruy Lopez) qui peut symboliser la puissance mais aussi l'intransigeance religieuse -dans une Espagne fortement marquée par l'Inquisition et la lutte acharnée contre la Réforme protestante-. De l'autre, le juriste italien, celui d'une Renaissance qui s'est achevée, d'une Italie qui n'est plus au coeur des grandes luttes des décennies précédentes, mais qui demeure un foyer intellectuel vivace. Lopez l'emporta mais Leonardo finit par prendre le dessus.

Au XVIIè siècle, c'est l'image du Greco le Calabrais qui l'emporte. Champion exceptionnel pour son époque, il meurt en Amérique à la recherche d'un rêve.

Le XVIIIè siècle est celui où le centre de gravité de l'Europe bascule vers le Nord. L'Angleterre et la France sont à la fois les rivaux et les piliers de la géopolitique européenne. Il en est de même sur le plan intellectuel. En 1749, le musicien François-André Danican Philidor publie "L'analyse du jeu d'échecs". Ce traité est un des plus importants de l'histoire. Au-delà des règles expliquées, Philidor y apporte une nouvelle dimension : une approche, une réflexion sur le jeu. Considéré comme le meilleur joueur à son époque (il a écrasé le Syrien Stamma bien qu'il lui a accordé le fait qu'une nulle serait une victoire pour lui), il laisse une trace majeure par une citation :"Les pions sont l'âme du jeu d'échecs". Est-ce une intuition ? Oui ? Cela peut-il se raccrocher à son époque ? Certainement. Le siècle des Lumières est celui où on remet en cause l'Ancien Régime et évoquer l'importance de la piétaille (le paysan en Allemand) rappelle aussi qu'il y a un peuple, qui peut émerger et définir la nature de la partie.
Tout ceci ne constituait pas une réflexion aussi poussée que d'autres ont eu plus tard.

Philidor voyageait beaucoup entre Paris et Londres. La Révolution l'a contraint à l'exil et il meurt à Londres en 1795.

Pourtant, les Français continuent de dominer, de ce que l'on sait. Le général Deschapelles n'a pas le jeu de Philidor : il est beaucoup plus brillant, plus offensif et plus risqué. Puis c'est son héritier, De Labourdonnais qui devient le meilleur joueur. Mais signe des temps, les Anglais et les Français ne sont plus la guerre sur le champ de bataille mais ailleurs. En 1834, Labourdonnais affronte dans une série de matchs l'Irlandais McDonnell. Le Français domine largement le premier match mais les autres sont plus équilibrés et McDonnell gagne même le cinquième. Sa mort met fin à la première confrontation épique de l'histoire des échecs. C'est aussi pendant ce match qu'on a une idée : et si on notait les parties pour les conserver, les étudier et les transmettre aux autres ? C'est le début de la connaissance. Le jeu d'échecs repose énormément sur le savoir passé. Et on découvre quelques chefs d'œuvre échiquéen à l'occasion de ce match.

Labourdonnais joue des positions comme on les aurait joué Steinitz

Une attaque magnifique de Labourdonnais avec une position finale hors du commun

Un sacrifice de dame de McDonnell

Labourdonnais meurt en 1840 mais la rivalité franco-anglais continue. Elle oppose Pierre de Saint-Amant à Howard Staunton, un écrivain spécialiste de Shakespeare et de la mauvaise foi. Saint-Amant gagne le premier match mais Staunton le surclasse largement dans le second. Il se proclame meilleur joueur du monde. Mais comme il ne peut que le proclamer, il faut le démontrer devant l'échiquier. Or, les meilleurs joueurs de chaque pays ne s'affrontent pas. Il faut alors créer l'occasion de le faire.
A suivre.


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