Un grand moment de gastronomie chez Toma (Liège)

Par Eric Bernardin

Premier duo : un concombre travaillé comme un kimchi (on retrouve cette aromatique pimentée /fermentaire) et une croquette d'aubergine (fumée) et bonite.  J'ai une nette préférence pour la croquette, aussi intéressante en goût qu'en textures. Elle se marie également mieux avec le champagne – le concombre est un peu trop relevé pour celui-ci. 

Le deuxième duo est autour de la capucine. La fleur est farcie d'un fromage blanc fumé (très très bon) et la feuille est garnie d'un pastrami (extra !).

Le troisième duo  met le vert à l'honneur : à gauche,un hommage à l'Américain frite, à droite une mini tarte al djote, une spécialité de Nivelle à base de fromage blanc, de blette et de persil.  Les deux sont très très bons, avec une légère préférence pour le premier. 

Et pour finir, un bao farci à la vapeur, avec une créme épaisse et une sauce rappellant la caponata. Il a raison de mettre cette bouchée à la fin, car elle dépasse de loin toutes les précédentes. C'est d'une gourmandise diabolique et d'une grande intensité gustative. 

Il nous est demandé de choisir notre couteau à viande, chaque pièce étant unique. Ils se ressemblent tout de même tous pas mal. Après en avoir regardé 3-4, j'ai pris le dernier que j'ai eu dans la main. 

Le couteau brut sans fioriture !

Le pain (excellent, car très goûteux, encore tiède avec une croûte craquante dans tous les sens du terme) et un beurre qui se rappelle encore qu'il fut une crème battue, presque aussi aérien qu'une chantilly. 

Le repas commence vraiment avec cette tartine de Lothar. C'est annoncé comme un rôti de limousin fumé au foin, beurre à l'agastache, récoltes d'après
le jardin. Au départ, je me dis qu'il est sacrément bien planqué sous les feuilles, ce boeuf, car on ne le voit pas.  Il a peur qu'on le mange ? 

En fait, il est encore dans la cocotte où il a été fumé. Il nous en servi trois jolie tranches très odorantes. Puis une vinaigrette pour relever tout ça. 

Et voilà la présentation finale ! Je précise que limousin, c'est la race de la bête, pas son origine. La viande est belge (de Lothar sus-nommé).  Il y a eu pas mal d'échange à propos du vin qu'il fallait pour accompagner ce plat. D'aucuns étaient partis sur du vin rouge, car c'est du boeuf. Mais j'ai prévenu que l'agastache et les autres herbes allaient rendre l'accord très compliqué. Yohan a donc envoyé une liste de blancs disponibles. Parmi eux, il y avait un vin dont je n'avais jamais entendu parler : Appius 2016 de St Michael-Eppan.  C'est du vin du Haut-Adige (grand nord de l'Italie) et réunit le Chardonnay, le Pinot gris, le Pinot Blanc et Sauvignon. Non seulement j'étais curieux de le goûter, mais il me paraissait le plus apte à "affronter" le plat. Nous sommes donc partis sur cet Appius.

Sa robe est bien dorée. Le nez est très complexe, mariant les fruits blancs et les fruits exotiques, mais aussi une pointe d'agrume, et une légère touche fumée. La bouche est droite, tendue, avec une acidité enrobé par une matière dense et mûre dotée d'une belle fraîcheur aromatique. De très belles notes végétales apparaissent, révélée par la dégustation du plat. Au point que l'un et l'autre semblent bientôt ne faire qu'un, l'un poursuivant la phrase qu'a commencé l'autre, avant de chanter en coeur avec jubilation. Un grand accord plein d'émotions.

Comme le plat précédent, cette truite d'Ondenval est arrivée toute seule dans l'assiette. Puis l'équipe est venue rajouter les éléments manquants. D'abord une purée d'herbes (dominée par l'estragon) puis un fumet crémé relevé par des oeufs de truite. La cuisson est évidemmment parfaite : la chair est d'une très grande tendreté. On peut trouver la sauce presque trop salée, mais en fait, c'est idéal, car le vin contient un peu de sucres (mais pas trop), provoquant l'un des nombreux contrastes entre lui et le plat.  

C'est un Mosel Riesling Kirchberg Grosse Lage 2013 d'Heymann Löwenstein amené par Didier. La robe est d'un or intense. Le nez confine au sublime, sur le lemon curd, la verveine, la mangue et l'ananas (et plein, plein d'autres choses). La bouche est élancée, alliant une acidité tranchante à une matière riche, confite, et offrant une fraîcheur aromatique ébouriffante. La finale magnifique monte encore d'un cran dans la puissance et la complexité, sur les agrumes confits, l'ananas et le combava. Grand vin. Et grand accord, mais cette fois dans le multi-contraste, et non la fusion.  

Je vous montre le vin d'abord, amené par Adrien, car c'est autour de lui que le plat suivant s'est construit. Comme Ludovic n'aime pas les moules, le chef nous a proposé de remplacer le plat prévu par du homard (difficile de dire non...). Il nous a demandé quelles étaient les dominantes aromatiques du vin. Citron confit et mousseron. Il est donc allé dans sa réserve de bocaux "fermentés" pour nous sortir des cèpes qui étaient là depuis plusieurs années.

Puis il a fait un tour dans le jardin pour ramasser des herbes :

tagète, camomille, alysse

Puis il a dressé les assiettes juste à côté de nous

Et cela donne ça au final ! Le homard a été fumé durant sa courte cuisson, et le dashi qui l'accompagne est à base des cèpes. La texture du crustacé est délicate, pas si loin de la langoustine, avec ici et là les touches d'agrume apportées par la tagète.  

La robe du Chablis est jaune paille. Le nez fin évoque le citron, le mousseron et le beurre fumé. La bouche aussi large que longue, déployant une matière dense,  minérale, aussi intense que délicate. La finale est longue,  sur le citron confit et la fumée. L'accord avec le homard est superbe (on a de la chance, ce soir !)

Nous continuons avec la tartelette du Mont Pointu

garnie de légumes cuits au jus de fermentation

... arrosée d'un bouillon végétal réduit monté au beurre fumé

Même si l'aspect paraît presque austère, monolithique, cette tartelette est très complexe, avec des goûts et des textures multiples, mais quasi indescriptibles tant on plonge dans l'inconnu. Je suis preneur de la recette ;-)

 Seb a amené un Tavel vintage 2018 du domaine de l'Anglore.  Sa robe est vermillon, légèrement trouble. Le nez complexe sur la grenadine; l'encens et laviolette. La bouche est longiligne, offrant une matière sensuelle, enrobante, dotée d'un fruit gourmand aiguillonné par l'orange amère confite. La finale est tonique, délicieusement amère et subtilement astringente,sur l' écorce d'orange et des notes florales (rose, violette).

Le Tavel se sort superbement du défi qui l'attendait. Il rehausse le plat tout comme le plat le rehausse. Une paire gagnante !

Dernier plat salé : la deuxième partie du Veau de Lothar. Comme un moment passé chez Lothar autour du feu, rôti fumé, parfum du jardin, iode. Le plat le plus classique du repas, même si pas totalement grâce à une touche terre/mer. 


Benoît a apporté un Morey Saint-Denis Clos de la roche 2020 du domaine Lécheneaut. Il avait été prévu pour du pigeon, qui a été remplacée par du veau. Mais finalement, ce n'est peut-être pas plus mal, car il y a du monde dans la bouteille. Il aurait été presque trop puissant pour le volatile. 

Sa robe est grenat sombre, aux reflets pourpres. Le nez est expressif, sur la framboise, la fumée et les épices grillées. La bouche est ronde, ample, veloutée, avec un fruit pur et intense, très frais,  souligné d'une touche fumée. La finale est encore plus fraîche, pétante de fruits, avec toujours cette touche fumée.  Autant dire que ça va très très bien, avec le plat qui met encore plus en avant le fruité du vin.

Nous passons dans le monde du sucré avec des mini desserts autour d'un fruit rarement utilisé en fin de repas : Pan con tomate - Sun Gold farcie - Salade de petits fruits, crème d’amande

Tarte feuilletée, chutney de tomates - Coeur de boeuf concentré, chocolat blanc et piment

C'est à moi qu'on avait confié la tâche de trouver un vin qui puisse aller avec ces desserts à la tomate. J'ai pas mal cherché, et ne trouvant rien qui me convienne, j'ai décidé de le produire moi-même. J'ai donc fait de l'eau de tomates dans laquelle j'ai fait infuser du piment nora fumé, des feuilles de basilic fraîches et du tabasco Chipotle. J'ai réalisé un sirop de tomates fraîches que j'ai associé à mon eau de tomates. Et j'ai gazéifié le tout avec ma Sodastream. 

Au nez, on sent d'abord la tomate, puis un peu le piment fumé, et seulement après, une touche de fraise. La bouche est fraîche tonique, soutenue par un léger perlant, avec une matière fine, fruitée, gourmande, où la tomate domine encore, soulignée par le basilic.  La finale passe le relais à la fraise, prolongée par les notes fumées des piments.  L'accord a (logiquement) bien fonctionné avec les différents desserts.

Ludovic avait prévu de servir en fin de repas un Sauternes 1996 du château d'Yquem., histoire de rendre hommage à Alexandre de Lur Saluces, récemment décédé.  Mais rien n'était prévu dans le menu pour celui-ci. 

L'équipe du restaurant a rémédié au problème avec une délicieuse tarte aux fruits secs et confits, bien caramélisée et d'une glace au lait saupoudrée d'écorces d'agrumes. Le mariage avec le vin était une fois de plus de haut niveau. 

La robe du Sauternes est cuivrée. Le nez est riche, foisonnant, sur l'orange confite, l'abricot sec, le safran, et une légère pointe de truffe. La bouche est élancée, avec une matière séveuse, sensuelle, intense, sur la truffe et les notes confites. La finale est complexe, baroque, d'une grande générosité, avec une persistance sur l'orangette et le safran.  Du Yquem comme on l'aime :-)

Pour finir, quelques délicieuses mignardises (le canelé était extra !)

Nous nous attendions à nous régaler, mais pas à ce point. Et nous n'imaginions pas non plus à quel point les accord seraient réussis. Plus qu'un beau repas, nous avons vécu un grand moment de gastronomie sans la moindre fausse note du début à la fin. Merci à toute l'équipe de ¡Toma ! qui a permis ces 5 heures absolument magiques !