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De l'art de rendre le vin visible!

Par Ochato

«Nous devons être spectateurs avant d’être acteurs» dixit Thierry Germain, vigneron philosophe et pragmatique du Domaine des Roches Neuves, en regardant ses vignes*. Voici une maxime qui me rappelle Rousseau…pas Jean-Jacques, mais le Douanier, peintre et garant d’une certaine perception de la Nature, dans laquelle spectateurs et acteurs se substituent les uns aux autres au gré du regard ! Car demeurer « à la même place », c’est l’assurance de rester ancré dans ses certitudes ! Pour les êtres curieux, attentifs, volontaires, épicuriens sous toutes les formes, c’est donc… une chose impossible!

A tous ceux qui en douteraient…rien n’est jamais acquis ! Je l’ai appris en observant les artistes et leurs œuvres au fil des années, puis en discutant continuellement avec eux. Plus tard, j’ai pu saisir le même constat en rencontrant des vignerons passionnés, au fil des dégustations!Que ce soit en art ou en vin, capter, saisir un instant, le rendre visible, tactile et sensible en recueillant humblement la matière, la déposer pour que chacun puisse en disposer, et alors, ensuite repartir, recommencer avec une feuille blanche, ou bien un nouvel hiver,est un exercice qui demande une constante acuité !

ARCHIMBOLDO l'automne
 

Giuseppe Arcimboldo, "l'Automne", 1573

Ainsi va le regard ! Celui-ci peut sembler futile, tant on a l’impression d’en user avec une telle facilité qu’il en devient une habitude, c'est-à-dire une négligence en termes de réflexion ! Car ce qui se donne à voir est à priori ce que l’on voit, et rien d’autre ! Erreur car, sauf cas exceptionnel, ce que l’on voit participe à une image qui se démultiplie, telle une réaction en chaîne, grâce à notre mémoire sensorielle ! Disons, explicitement, qu’une image, nous renvoie à d’autres images : soit des images acquises qui s’en rapprochent mimétiquement et sensoriellement, soit des images subjectives incidemment évoqués par celle(s) qui s’offrent de manière réaliste à nos yeux ! Une toile de Maître n’est jamais ce qu’elle parait, elle agit sur la sensibilité et la mémoire de chacun et s’en trouve ainsi altérée ! Elle contient de la même façon, la sensibilité et la mémoire, c'est-à-dire le « discours » de son auteur, qu’il ne faut en aucun cas négliger ! Idem pour le vin ! La flore, un arbre, et plus particulièrement, un pied de vigne, n’est perceptible que si l’on considère à la fois « l’en dehors », le cep, et sa surface folliculaire, le cycle végétatif lié à tout ce qui lui est extérieur et, au seuil du visible, « l’en dedans », le système racinaire, invisible, sous jacent, inconscient donc, que l’on ne peut

Ceciel Reims l'arbre de vie
qu’imaginer en fonction, souvent, de l’aspect du cep qui porte sur lui les stigmates du Temps interactif : celui qui agit du dehors et celui qui réagit du dedans…et inversement. Flux et reflux, yin et yang, qui convergent et culminent irrémédiablement à l’automne en un seul lieu : la baie du raisin ! Pour le vigneron intègre, c’est à la vendange que l’on doit se saisir de ce que l’on nomme, et ce qui est généralement usurpé, le millésime ! Puis le cycle repart…

C’est grâce à ce processus auto régénérateur dans la diversité (même lieu, nouveau Temps pour le vigneron; autre espace/support, Temps différent, pour l’artiste) qu’il est impossible de négliger, si l’on est quelque peu soucieux de la qualité, de la pertinence, ou de la pérennité de son travail; que l’artiste comme l’artisan doivent chercher l’identité ou la singularité de leur action.

Qui dit action, dit mouvement ; c’est donc, pour chacun, être conscient des fluctuations du vivant. C’est tout mettre en œuvre afin de soutenir ce mouvement, et non pas l’empêcher de continuer, d’évoluer, mais au contraire l’accompagner, le finaliser sans le heurter dans son élan ! De donner du temps au Temps !

Le rapport du vivant avec ses semblables n’est valable et réel que si l’on considère l’évolution, les fluctuations irréversibles de ces deux pôles : l’un est le récepteur (le regardeur ou le dégustateur) l’autre l’émetteur (le dessin, le tableau, le vin, etc). Il faut alors ne jamais omettre la vitalité de chacun et ainsi, la prise en compte des humeurs de l’un comme de l’autre lors du contact !

Cecile Reims Histoires Naturelles
Enfin je devrais dire les contacts. Car voici un mot quelque peu détourné depuis quelques temps ! L’on aurait tendance à le réduire à sa plus « physique » expression, et l’on aurait tort ! Car la prise de contact peut être aussi une prise de conscience et celle-ci s’assujettira au visible comme à l’invisible ! Ainsi pour l’artiste comme pour le vigneron désirant aiguiser son acuité afin de mieux saisir ce qui l’entoure comme ce qui le conditionne, cette nouvelle perception « au-delà des apparences » (souvent trompeuses), l’incitera à « tenter » de recueillir l’essence, voire la quintessence, de ce qui le questionne : le terroir, l’homme, la finitude, l’alchimie d’ éléments encore inconnus, l’imaginaire, l’infinitude, etc …

La quintessence est peut être ce qui apparait avec évidence, et/ou ce qui est perçu avec immanence, pour qui la reçoit… en un instant privilégié ! Car dans tous les cas, si elle est un point précis et vivant, elle demeure instable, fluctuant suivant les humeurs de la matière qui la supporte, elle-même bien vivante, que ce soit sur la toile, le papier ou dans la bouteille !**

In fine, la question de la perception est aussi importante pour le producteur que

Cecile Reims Histoires Naturelles 2
pour le regardeur/dégustateur. L’attente de celui-ci est toujours empreint de sensations diverses telles que la surprise, l’inconnue, le sublime, etc…

Or, il faut en amont que l’attente du vigneron/artiste soit elle aussi portée par le même désir de surprendre en tentant pour l’un, d’appréhender au mieux le terroir qu’il aimerait saisir, et pour l’autre le support, les matières picturales qu’il décidera ou non, de choisir ! 

Cecile Reims la peau
Plus on perçoit la nature instable et fascinante du vivant, plus on tentera de s’approcher de son mystère, de ce qui nous questionne encore aujourd’hui ! Que ce soit par le vin, ou bien par l’art, la "transmission de ce qui est vivant ou qui le devient demeure une source inépuisable de possibilités sensitives et intellectuelles, voire un carrefour fascinant entre « passion » et « raison »….de quoi se sentir à jamais « bien et bon » vivant !!! N’est-ce pas là, l’essentiel !

Christophe Guitard

*Je pourrais ajouter Alain Hasard, Mathieu Barret, Jean-Pierre Monier, Jean-Michel Stéphan, Marc Angelli, Didier Chaffardon, Lalou Bize Leroy, Nicolas Joly, Pascal Roblet-Monot, etc…

**C'est moins évident pour la peinture, qui s'altérera plus lentement qu'un vin par exemple, car le vernis aura beau la protéger, la patine du Temps prendra irrémédiablement le dessus!

Illustrations: gravures burin et pointe sèche de Cécile Reims:

- "L'arbre de vie", 1992

- "Histoires naturelles II", 1998

- "Histoires naturelles", 1998

- "La peau", 2005

 

A ne pas manquer: exposition de Cécile Reims, en compagnie de Fred Deux, à la Halle Saint Pierre, jusqu'au 8 mars!


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